Je suis anéanti : je crois bien que je viens de
découvrir une injustice dans nos lois. Et, qui pis est, une injustice qui
profite aux partis politiques. Franchement, qui aurait cru cela possible ?
Ça m’est tombé dessus à l’occasion de l’affaire Dieudonné.
En suivant un peu la chose, je m’aperçois que ce monsieur doit au Trésor public
quelque 65 000€ correspondant aux amendes auxquelles il a été condamné au
pénal, et qu’il n’a jamais payées. Là, je vous sens intéressés : comment
a-t-il fait pour ne pas les payer, ses amendes ? C’est sûr que l’info
pourrait être utile.
Mais ne rêvez pas trop, Dieudonné semble avoir en fait
savamment organisé son insolvabilité : les parts de la société qui gère
les revenus de ses spectacles appartiennent à sa mère et à la compagne. En
gros, alors qu’il n’est pas précisément dans le besoin, il semblerait qu’il ne
possédât aucun bien en propre que la justice pourrait saisir. Un peu comme
Largo Winch, quoi, en beaucoup moins cool évidemment. Il va sans dire qu’agir ainsi
est (et c’est bien normal) parfaitement illégal.
Autre pratique apparemment courante de Dieudonné :
faire appel aux dons de ses fans pour payer ses amendes. Et ça aussi, c’est
illégal, me dit-on. La raison m’en saute moins aux yeux : je comprends
bien l’intention derrière la loi, mais elle me semble si facile à contourner que
je n’en vois pas franchement l’intérêt. Qu’est-ce qui pourrait légalement
empêcher quelqu’un de lancer un appel aux dons pour un tout autre motif, mais
qui aurait quand même pour effet de lui rembourser son amende ? Est-il
raisonnable d’interdire ce qu’on ne peut pas empêcher ?
Mais bon, c’est illégal, et donc l’administration française,
Valls en tête, se dit que ce serait sympa de le faire condamner pour ça aussi.
Et c’est là que j’ai fait le lien – je ne sais pas si je suis le seul – avec les
petits problèmes financiers de l’UMP l’été dernier. Rappel des faits : l’UMP
ayant menti sur ses comptes de campagne, ces derniers ont été invalidés par le
Conseil constitutionnel ; à la suite de quoi le parti a été frappé d’une
sanction financière, et privé de près de 11 millions d’euros de remboursement
de ses frais de campagne. Coup dur ? Ah non. Parce que Sarkozy, trop
heureux d’avoir une occasion de redescendre dans l’arène, a immédiatement
organisé un « Sarkothon » ; concrètement, un appel aux fans
(euh, pardon, aux adhérents et aux sympathisants) de l’UMP pour qu’ils
remboursent lesdits frais de campagne à la place de l’État. Aussitôt dit, aussitôt
fait : en quelques semaines, les 11 millions ont été atteints.
D’où ma question : pourquoi ce qui est illégal pour
Dieudonné était-il légal pour Sarko et l’UMP ? On va me dire que ce n’est
pas exactement pareil. Que l’UMP n’a pas été condamné à une amende au pénal.
Mais bon, dans la loi, la lettre tue, c’est l’esprit qui vivifie, pas vrai ?
Or, dans les deux cas, on a un comportement contraire à la loi sanctionné par
une sanction financière ; dans les deux cas, le coupable fait appel à des
supporters pour que la sanction soit sans conséquence pratique pour lui ; mais
contre un particulier, on engage une procédure judiciaire, alors que contre un
gros parti politique, on se contente de grommeler. On ne peut pas vraiment se
départir de l’idée que le gouvernement, l’administration et la justice font deux
poids, deux mesures.
De manière générale, le principe même de l’amende, telle qu’elle
est formulée dans notre droit, me gêne profondément. Il ne me semble pas normal
que la loi fixe les amendes en valeur absolue (pour tel délit, tant d’euros d’amende),
car cela créée de fait une inégalité devant la justice. Pour certains, une
amende de 10 000 euros sera une véritable catastrophe qui aura des conséquences
jusqu’à la fin de leurs jours ; pour d’autres, elle ne se verra même pas à
la fin du mois. Cela signifie que les plus riches peuvent se permettre de faire
des entorses à la loi bien plus aisément que les plus pauvres. Les amendes ne
devraient donc pas être exprimées en valeur absolue, mais en proportion du
revenu et du patrimoine du condamné, et remplacées par des jours-amendes pour
ceux qui n’ont ni l’un ni l’autre.
Mais en attendant cette réforme qui ne viendra jamais (car
les riches, évidemment, ont à la fois intérêt à l’empêcher à tout prix, et assez
de moyens de peser sur les politiques pour être sûrs qu’elle ne soit jamais examinée), ou en attendant Tol Ardor où je propose qu’on fasse comme ça, il faut au moins que gros et petits soient, devant la justice et ses sanctions,
aussi égaux que possible. Un ministre de l’intérieur peut difficilement engager
des poursuites judiciaires contre un humoriste qui se serait fait rembourser 65 000€
d’amendes par ses fans, alors que son collègue de l’économie, contre un parti
qui s’est fait rembourser 11 millions d’euros par les siens, s’est contenté de marmonner :
« J’aimerais qu’on n’oublie pas qu’il s’agit d’une amende qui est payée
par quelqu’un qui a fraudé. »
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