Là, j’ai envie de crier « halte ». Bien sûr, je suis content de voir tant de gens, passionnés qu’ils sont pour une affaire qui n’a strictement aucun intérêt, démontrer brillamment ma thèse, à savoir que décidément, la politique, ce n’est pas l’affaire de tout le monde ; mais enfin, ce faisant, ils contribuent quand même à mettre la vie privée en vrai danger, et ça, ça me navre.
Sur l’affaire elle-même, bien sûr, il n’y a rien à dire, ou
presque. Je ne devrais même pas avoir à écrire ce billet. Oui, de toute
évidence, un Président de la République, ou un Roi, ou un
Empereur-du-monde-à-vie même, a droit à une vie privée. Qu’est-ce que vous vous
imaginiez, que vous étiez gouvernés par un robot ? Eh oui, Hollande, comme
tout le monde, dort, ronfle, baise, pisse, reprend de la dinde, va grignoter dans
le frigo à minuit, et fait ainsi tout un tas de trucs qu’il est en droit le
plus absolu, comme n’importe quel citoyen, de garder pour lui. Tant qu’il ne
commet rien d’illégal, tant qu’il ne viole pas, tant qu’il ne couche pas avec
des petits enfants ou avec des animaux, là où il fourre, c’est son problème,
celui des femmes avec qui il le fait, celui de Dieu, mais pas le nôtre. Et donc,
je ne veux même pas le savoir, parce que je n’ai pas à le savoir, parce que
rien ne m’autorise à le savoir ; et si je l’apprends, je veux que soient
condamnés avec la dernière fermeté ceux par qui je l’apprends, parce qu’ils ont
violé la vie privée d’un citoyen, et que c’est grave.
Serais-je (ô terreur) un « vieux con » ? C’est
peut-être ce que penserait Jean-Marc Manach, l’auteur du (pourtant très bon)
blog Bug Brother, lui qui défend une
évolution de notre représentation de la vie privée. C’est en tout cas sans
aucun doute ce que penserait Vint Cerf, un des pères fondateurs d’Internet, qui
travaille actuellement pour Google (…) chez qui il occupe le poste de « chef
évangéliste de l’Internet » (re-…) : le 20 novembre dernier, il a dit
sans ciller que « la vie privée pourrait bien être une anomalie ».
Ça vous fait flipper ? Moi aussi. Mais on ne doit pas être
si nombreux que ça : la vidéo-surveillance, habilement renommée vidéo-protection,
se développe dans des proportions démesurées sans que ça choque grand-monde ;
la plupart trouvent même ça très bien (on se sent quand même plus en sécurité,
ma bonne dame). Dans le même tonneau, le projet de loi de programmation militaire,
examiné à l’Assemblée en novembre dernier, rend plus efficace la surveillance
des internautes, et légalise (on dit « encadre », évidemment) des pratiques
pour le moins douteuses. Et là encore, tout le monde applaudit comme à Guignol.
Est-ce que je suis de la génération des « parents »
plutôt que de celles des « transparents » ? Je ne suis pas dans l’air
du temps, c’est sûr. Non seulement les jeunes (mon Dieu, je dis « les
jeunes »…) exposent de plus en plus leur vie privée sur le Net, mais (pire)
ils trouvent cela normal, et (pire encore) ils attendent de plus en plus que
tout le monde en fasse autant. Et on nous ressort les vieux poncifs (« si
vous n’avez rien à vous reprocher, qu’est-ce que ça peut vous faire qu’on vous
espionne ? »).
Eh bien moi ça me fait, et ce monde qu’on construit ne me va
pas. D’abord, parce que j’estime que la vie privée est un droit, un droit fondamental de l’être humain, et qu’elle doit donc être
protégée. J’ai le droit de faire l’amour, de manger, de dormir en n’étant
regardé que par les personnes de mon choix. Ensuite parce que ceux qui ne s’inquiètent
pas de cette évolution n’en voient pas les évolutions inévitables. Qu’est-ce
que j’ai à me reprocher ? Mais un État que, pour une raison ou pour une
autre, je dérangerai (et il y a mille manière de déranger l’État, l’administration
ou ceux qui en ont la charge), ils trouveront toujours dans ma vie privée quelque
chose à me reprocher. Et les lois changent : ce qui était légal en 1938 ne
l’était plus forcément en 1942, et tout un tas de gens avaient soudain une
foule de choses à « se reprocher ».
Ce qui sépare les totalitarismes des dictatures, c’est
avant tout le fait qu’ils essayent de supprimer la vie privée, d’avoir un contrôle
total, justement, sur la société et
sur les individus qui la composent. Il y en a peut-être que ça ne dérange pas
de vivre dans un totalitarisme. Moi ça me dérange.
I am in total agreement!
RépondreSupprimerJe ne dis pas que la vie privée est un "problème de vieux cons", ce pourquoi il y a un point d'interrogation à la fin de mon article/livre, bien au contraire, on a jamais autant parler de "vie privée" qu'aujourd'hui, parce qu'elle est de plus en plus menacée (discours que je tiens depuis des années, et bien avant les révélations Snowden qui n'ont fait que confirmer, en pire, ce que l'on craignait).
RépondreSupprimerIl n'y a pas de libertés sans vie privée, ce pour quoi la défense de la vie privée est un impératif dans nos démocraties, ce pourquoi les dictateurs abolissent aussi la vie privée.
Damned, vous avez repéré que je parlais de vous ! Vous travaillez pour la NSA ou quoi ? ;-)
SupprimerA vrai dire, je n'ai pas lu votre livre en entier, seulement la version courte postée sur votre blog (si ma mémoire est bonne), et je n'étais pas sûr d'avoir très bien compris votre avis personnel sur la question ; d'où la prudence de ma formulation ("c'est peut-être ce que penserait Jean-Marc Manach...").
Cela dit, même une "évolution" de notre vision de la vie privée me semble potentiellement très dangereuse. On peut penser qu'elle est inéluctable, bien sûr, mais je ne le crois pas, et je crois surtout qu'il ne faut pas l'encourager, ne serait-ce que parce que nous n'aurions aucun contrôle sur ce à quoi cette évolution pourrait mener. Entre "évolution" et "révolution", il n'y a qu'une lettre d'écart...