Avec sa loi visant à interdire complètement l’avortement, à
quelque stade de la grossesse que ce soit, sauf en cas de viol ou de danger
vital pour la mère, le gouvernement espagnol peut au moins se vanter de
soulever de bonnes questions – à défaut d’y apporter les bonnes réponses.
Sur le fond du problème, tous les lecteurs réguliers de ce
blog connaissent ma position. Je refuse de me laisser enfermer dans une
opposition entre défense de la vie et droit des femmes à disposer de leur
corps. J’estime que la question essentielle est de savoir à partir de quand ce
qui se développe dans l’utérus de la femme devient un être humain à part
entière. Ne pensant pas que l’homme se réduise à ses gènes, ni même se
définisse principalement par son patrimoine génétique, je ne considère pas qu’il
y ait un être humain dès la fécondation de l’ovule par un spermatozoïde, même dans
les cas – car c’est loin d’être toujours vrai ! – où l’ovule fécondé
possède tout le matériel génétique pour aboutir à un être humain. Pour moi, la
fécondation n’est jamais le début d’une vie humaine.
À mon sens, le fœtus ne devient un être humain qu’à partir
du moment où son système nerveux central (SNC) entre en activité, c’est-à-dire entre
la 10e et la 14e semaine d’aménorrhée. Mais à partir de
ce seuil, il devient un être humain à part entière, différent de sa mère, même si
son corps est encore dépendant du sien, et acquiert donc des droits, dont celui
de continuer à vivre.
De ces considérations théoriques découle ma position pratique :
puisque, avant que ne fonctionne son SNC, l’embryon n’est pas un être humain,
ni même un être vivant, il n’a pas de droits spécifiques et les parents (ou la
mère en cas de désaccord, puisqu’il faut bien que quelqu’un tranche) ont le
droit de le supprimer. Après ce seuil, en revanche, je considère que l’avortement
constituerait la mise à mort d’un être humain, et devrait donc être interdit –
sauf si la grossesse ou l’accouchement mettent en danger la vie de la mère, auquel
cas il devrait être autorisé (mais pas obligatoire, bien sûr : là encore,
le choix doit être laissé aux parents et, in
fine, à la mère), la vie de l’enfant ne valant pas davantage que celle de
la mère.
Considérons à présent quelques évolutions problématiques. De
manière évidente pour qui a compris mes présupposés théoriques, je suis
favorable à l’évolution législative proposée par le gouvernement français :
avant la 12e semaine (plus ou moins) d’aménorrhée, je ne vois aucune
raison de limiter l’avortement aux situations de « détresse » pour la
mère. De deux choses l’une : soit, avant ce seuil, l’embryon est déjà un être
humain, et une situation de détresse ne saurait justifier sa mise à mort ;
soit il ne l’est pas, et on n’a pas besoin de justifier d’une détresse
particulière pour s’en débarrasser.
Toujours avant ce seuil de la mise en route du SNC, l’avortement
doit-il être considéré comme un droit, comme le propose, là encore, le gouvernement
français ? Pour moi, à l’évidence, oui. L’embryon n’est pas encore un être
vivant, le supprimer n’est donc pas un crime ; mais si les choses suivent
leur cours naturel, il va le devenir. Affirmer que l’avortement ne serait pas
un droit, mais seulement une possibilité offerte par la loi, mais qui pourrait
également être remise en question, cela reviendrait à retirer aux parents le
choix de garder ou non l’enfant à venir (ce qui, pour une famille, implique des
changements considérables, je peux en témoigner), et ce sans aucune raison valable.
C’est pour cela que la proposition de loi espagnole n’est
pas seulement une grave régression sociale ; c’est surtout une atteinte à
une liberté fondamentale des couples et des femmes : le contrôle de leur
fécondité. C’est là le point essentiel. Ce n’est pas encore le cas, mais l’avortement
avant la 12e semaine d’aménorrhée doit devenir un droit fondamental.
Parce que la venue d’un enfant bouleverse complètement la vie d’une femme ou d’un
couple, on ne peut pas les contraindre à accepter ce bouleversement sans une
excellente raison. L’interdit du meurtre, c’est une excellente raison ;
mais tant qu’il n’y a pas meurtre, il n’y a aucune raison d’imposer l’enfant à
un couple.
Doit-on conserver ou mettre en place les « clauses de
conscience » qui permettent aux médecins de refuser de pratiquer un
avortement ? A priori, j’aurais
tendance à répondre « non », comme je réponds (sans aucune hésitation
cette fois) « non » aux maires qui veulent pouvoir refuser de marier
des couples homosexuels. Mais comme on touche à des questions fondamentales, et
que des médecins peuvent vivre extrêmement mal la pratique d’un acte
profondément contraire à leurs croyances (et même si je considère ces croyances
comme dénuées de tout fondement), pourquoi pas. À la condition sine qua non que cela n’entrave pas la
possibilité d’avorter facilement pour les couples qui souhaitent le faire, ce
qui signifie qu’il serait de la responsabilité du médecin ayant refusé de pratiquer
une IVG de trouver dans un délai court (trois jours au plus) un autre praticien
qui accepterait de le faire, et ce dans un lieu proche.
Certains me font remarquer que mon échafaudage théorique et
juridique est fragilisé par le fait qu’il est difficile pour une femme de
savoir qu’elle est enceinte avant la 12e semaine d’aménorrhée. À
cela je réponds trois choses. La première, c’est que ma proposition n’est sans
doute pas parfaite, mais qu’elle me semble un compromis préférable à des
positions plus radicales, dans un sens ou dans l’autre. La seconde, c’est qu’à
ce stade, la plupart des femmes doivent quand même savoir qu’elles sont
enceintes. À 5 semaines d’aménorrhées, je suppose que tout le monde commence à
s’inquiéter : il en reste 7 pour vérifier qu’on est enceinte, prendre la
décision et, le cas échéant, avorter. La troisième, c’est que pour les cas
difficiles ou limite, on pourrait développer d’autres solutions : par
exemple, il me semblerait normal de légaliser l’abandon à la naissance au
profit d’un couple adoptant, l’accord ayant été conclus au préalable et ne
pouvant faire l’objet d’aucune rémunération ou compensation, qu’elle soit
financière ou en nature – l’être humain ne pouvant devenir l’objet d’aucune
marchandisation.
Deux remarques pour finir. Cette question est très polémique
et déclenche des passions qui prennent parfois des tournures violentes, voire
disproportionnées, de la part des « pro-vie » comme de celle des « pro-choix ».
Il est donc fondamental de rappeler que la liberté d’avorter que je défends, ou
le respect dû à tout être humain à partir du moment où il le devient, doivent être
mis en balance avec les autres libertés fondamentales.
Ainsi, les « pro-choix » ne peuvent prétendre
interdire aux opposants à l’avortement de s’exprimer. Il serait dramatique pour
la liberté d’expression d’aller vers une interdiction ou un contrôle trop
drastique des sites Internet « pro-vie », par exemple. Les
adversaires de l’avortement doivent pouvoir continuer à exprimer leur
opposition, y compris par des propos ou des images qui peuvent sembler
choquants, agressifs, durs pour les femmes qui avortent. Ils doivent pouvoir
continuer à manifester publiquement, même aux abords des hôpitaux qui
pratiquent les IVG. Sur ce sujet, je ne suis plus d’accord du tout avec le gouvernement
français, qui souhaite justement interdire ces manifestations. Les libertés ne
se marchandent pas, ne se négocient pas, et ne sauraient être piétinées pour le
confort des femmes qui avortent. Un monde libre, c’est forcément plus
inconfortable, mais c’est mieux qu’un monde non libre.
Inversement, le gouvernement espagnol ne peut interdire aux
adversaires de l’actuel projet de loi de manifester, comme il cherche pourtant
à le faire. La loi « sécurité citoyenne » adoptée par le conseil des
ministres espagnol est dangereuse. Il est terrifiant de voir qu’un gouvernement
européen peut mettre en place une loi qui obligera les groupes sur les réseaux
sociaux à se déclarer, sous peine de 30 000€ d’amende, ou qui interdira de
critiquer la nation espagnole. C’est la preuve, une fois de plus, que la
démocratie n’est aucunement la garantie du respect des libertés fondamentales.
Touche finale ? Le pape François a publiquement
soutenu les « marches pour la vie ». On dira qu’il joue son rôle, et en
effet je ne m’attendais pas à autre chose. Mais il aurait pu n rien dire ;
c’est la première fois qu’il me déçoit vraiment. Au moins, ça me donne l’occasion,
comme lors du débat sur le mariage pour tous, de réaffirmer haut et fort
(enfin, aussi fort que je peux) que non, tous les catholiques ne sont pas d’accord
avec les positions morales du Magistère romain.
I too have tried to not become trapped by this debate. I have justified my view by this simple premise: I am not a woman, if i were, I would not choose abortion, but I am not. Secondly, if having an abortion IS something that God deems wrong, only those who choose this course will be judged for that choice. It is not my right to judge them. I feel women should be free to make this choice, and will be judged by their choices, by God...not by me.
RépondreSupprimerWisdom talking. ;-)
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