La monarchie espagnole ne donne pas franchement le bon
exemple. Le roi Juan Carlos, menant grand train dans un pays en crise – on se souvient
de l’épisode de la chasse à l’éléphant – et soupçonné de corruption, a
démissionné en juin 2014. Le nouveau roi, son fils Felipe, a ensuite retiré à
sa sœur, l’infante Cristina, son titre de duchesse, en raison des délits
fiscaux dont elle est accusée et de l’affaire de corruption qui implique son
mari.
On trouve des scandales similaires dans d’autres monarchies
européennes. En 2007, le prince hollandais Willem-Alexander et sa femme ont été
épinglés pour avoir, là encore en des temps de crise économique et d’austérité
pour leur pays, acheté une luxueuse villa dans un parc du Mozambique. Forcés de
présenter des excuses, ils ont finalement revendu leur domaine pour en acheter
un autre… en Grèce. Et tout cela n’est évidemment pas nouveau : en 1959,
le prince Bernhard de Hollande, mari de la reine Juliana et père de Beatrix,
avait déjà été mêlé à un scandale financier.
En d’autres termes, les familles royales européennes peuvent
s’analyser actuellement de deux manières complémentaires. D’une part, par leur
fonction officielle : elles représentent l’unité nationale de leurs pays
respectifs. Ce rôle leur donne une grande visibilité dans les médias, ce dont
elles profitent avec diversement d’enthousiasme. La famille royale anglaise, en
particulier la jeune génération, ou encore la famille royale monégasque,
semblent avoir plutôt bien pris leur parti de faire régulièrement la une de la
presse people de caniveau. D’autres –
les familles royales belge ou suédoise, par exemple – font montre de davantage
de discrétion et de pudeur.
Mais quoi qu’il en soit, il faut insister sur le fait qu’il
ne s’agit jamais que de symbole et de représentation : derrière, il n’y a
presque aucun pouvoir, et très peu d’engagement concret en faveur de l’amélioration
du sort du monde. La reine d’Angleterre, sans doute la plus puissante et la
plus importante en Europe, doit se contenter de rencontrer chaque semaine le
premier ministre pour un entretien privé. C’est mieux que rien, mais ça reste
bien peu. Et à côté de cette absence de pouvoir gouvernemental, on voit peu ces
gens utiliser leur visibilité médiatique ou leur fortune, souvent immense, pour
sauver la planète.
Ce qui est assez naturel, et recoupe le second axe d’analyse :
les familles royales européennes, en plus d’avoir un rôle de figures d’unité
nationale, sont avant tout composées de riches privilégiés qui cherchent à
profiter de leur fortune pour s’amuser.
Historiquement, cela se comprend. La vague de
bouleversements politiques qui a accompagné l’industrialisation de l’Europe, et
qu’on peut analyser, sur le long terme, comme un tsunami démocrate contre les
anciennes monarchies traditionnelles, a privé les familles royales de leur
pouvoir – parfois violemment, comme en France ; parfois dans la douceur,
comme au Royaume-Uni – sans les priver de leur fortune. Quand on est riche et
qu’on n’a rien de mieux à faire, effectivement, autant s’amuser.
Mais dans ce cas-là, on voit mal à quoi servent ces monarchies
traditionnelles : dans ce qu’accomplit un roi, qu’est-ce que n’accomplit
pas tout aussi bien le Président de la République allemande ou italienne (le
cas de la France est tout à fait particulier) ? En France, plusieurs familles
se disputent non pas le trône, mais la prétention au trône : orléanistes,
légitimistes, bonapartistes. Mais à quel titre devrions-nous les accepter ?
Louis XX, prétendant des légitimistes, est un banquier – de ceux donc qui ont
largement contribué à notre ruine actuelle – qui a passé sa vie entre l’Espagne
et le Venezuela. Tout ce qu’il a trouvé à faire en matière de positionnement politique
ou social, c’est de s’opposer à la loi Taubira, puis d’applaudir aux
restrictions sur l’avortement que le gouvernement conservateur de Rajoy avait
tenté d’imposer en Espagne. Jean-Christophe Napoléon, prétendant des
bonapartistes, est lui aussi banquier ; ayant vécu à Londres puis à
New-York, il ne vient plus en France que très exceptionnellement. Il est vrai
que les Orléans s’en tirent un peu mieux ; mais Henri, le prétendant
actuel, a plus de 80 ans, et son successeur est encore un sarkozyste opposé au
mariage homosexuel – pas précisément un visionnaire, donc.
Il faut par conséquent admettre l’échec des monarchies traditionnelles
européennes. Je suis moi-même royaliste, mais je n’ai pas oublié le principe fondamental
de la royauté : l’hérédité est accessoire, c’est la compétence qui
détermine tout. Le principe héréditaire n’est là que pour assurer cette
compétence : le roi est compétent parce qu’il a été formé à sa fonction
par ses parents et leur entourage. Mais s’il n’est pas compétent, il n’a pas à
être roi, même s’il a l’hérédité pour lui.
Si je suis monarchiste, c’est principalement parce que je
pense que la Crise que traversent nos sociétés impose des décisions
impopulaires et des politiques de très longue durée, toutes choses que les
démocraties sont absolument incapables de fournir. Mais les vieilles familles
royales européennes ne le sont pas davantage. Loin de représenter une
alternative au Système dans lequel nous sommes pour l’instant enfermés, elles
ne sont qu’une lointaine survivance d’un autre système encore plus ancien et
qui ne reviendra pas, survivance qui a d’ailleurs su profiter largement de la
démocratie capitaliste, libérale et technicienne.
Amis royalistes, laissez donc sans regret à Stéphane Bern les
guignols qui voudraient vous servir de recours, leurs couronne en toc et leur
manque de vision pour l’avenir. Il nous faut des rois, mais des rois neufs pour
construire une société neuve ; car dans de vieilles outres, on ne met pas
du vin nouveau.
Franchement, comment peut-on imaginer confier le trône
à quelqu’un qui est incapable de répondre à la question : « Comment
voudriez-vous qu’on se souvienne de vous après votre mort ? Quelle trace aimeriez-vous
laisser dans l’Histoire ? »
*** EDIT – 17/01/2017 ***
Je viens de passer presque une heure à écouter une interview
du prétendu Louis XX sur KTO. Pour que ce ne soit pas tout à fait une heure
perdue, autant en faire un bilan. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça
confirme tout ce que j’avais écrit dans ce billet. Pas très aidé, il est vrai,
par une journaliste – Emmanuelle Dancourt – pour le moins complaisante, évitant
soigneusement les questions qui pourraient vraiment fâcher ou plus généralement
toute forme d’approfondissement d’un sujet, le prétendant au trône de France démontre
sa totale absence de légitimité pour monter dessus.
Passons sur les incohérences flagrantes : « non,
je ne veux pas m’engager en politique, le Roi doit rester un arbitre au-dessus
de la mêlée » ; immédiatement suivi de « oui, je me suis exprimé
contre la loi Taubira, il faut savoir s’engager ». L’exemple est pourtant révélateur :
les très rares prises de position sont autant de preuves d’un manque à peu près
total de vision et de lucidité sur ce que sont vraiment les enjeux de notre
temps. Plus généralement, on avoue n’avoir reçu aucune éducation pouvant
préparer à la fonction, on aligne les platitudes, on ne revient surtout pas sur
les aspects les plus discutables de la monarchie française traditionnelle –
comme la place des femmes ou le droit d’aînesse –, les choses les plus
intéressantes semblent être le sport, la vie de famille et la gestion de
patrimoine – avec des perles du genre « les banquiers sont les nouveaux confesseurs »…
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