Confirmant les promesses de son élection, le pape François a
posé un double geste visionnaire. D’une part, il a décidé de la tenue d’un
Synode sur la famille, divisé en deux sessions, l’une qui a eu lieu en octobre
2014, l’autre qui se tiendra en octobre 2015. D’autre part, refusant de se
cantonner aux seuls avis des autorités ecclésiastiques, il a, à deux reprises,
demandé celui de l’ensemble des fidèles de l’Église.
Ces deux gestes étaient visionnaires en ce qu’ils
répondaient à deux des grands défis de l’Église catholique aujourd’hui. D’une
part, son traitement rigide des questions de morale sexuelle et familiale expliquent
pour une part importante le divorce entre l’Église et le reste de la société,
au moins en Occident, et le départ, bruyant ou silencieux, de très nombreux
fidèles depuis 1968 et l’encyclique de Paul VI Humanæ vitæ ; tenir un Synode sur ce thème revenait donc à
refuser de mettre la poussière sous le tapis et à affronter le problème à
bras-le-corps. D’autre part, l’Église catholique concentre beaucoup trop le
pouvoir décisionnel dans les mains des seuls évêques et, pour tout dire, de la
seule Curie, et ne sait pas encore écouter suffisamment les laïcs et le sensus fidei ; demander l’avis des
fidèles sur ces sujets représentait donc, là encore, un pas dans la bonne
direction.
Malheureusement, ces gestes révolutionnaires du pape
François n’ont pas trouvé l’écho mérité auprès de la majorité du reste des évêques.
Les conférences épiscopales, à quelques exceptions près (notamment en
Allemagne), ne se sont pas saisies des outils mis à leur disposition et ne les
ont pas diffusés vers les fidèles, ce qui a fait que seuls les plus déterminés
des individus ou des associations ont pu donner leur avis. Et surtout, ce qui
est plus grave, quand il a été donné, cet avis semble n’avoir pas été écouté et
pris en compte – on pourrait dire qu’il semble n’avoir même pas été entendu.
Le Synode extraordinaire de 2014 commençait pourtant
bien : les débats y avaient été ouverts et francs ; les évêques
participants n’étaient pas tous d’accord, loin de là, mais la nouveauté
résidait justement dans ce que les désaccords pouvaient s’exprimer. Les évêques
avaient pu, en toute conscience, défendre ouvertement et avec foi leurs
convictions, que ce soit pour des réformes et des évolutions ou au contraire
pour le maintien du statu quo. Le
premier document issu du Synode, la Relatio
post-disceptationem – document certes provisoire, mais néanmoins revêtu
d’un caractère officiel –, avait fait état de ces débats et donné des signes
encourageants d’ouverture.
La première déception était venue doucher l’espérance de
nombreux fidèles avec la publication du compte-rendu définitif du Synode, la Relatio Synodi. Beaucoup moins ambitieux
et courageux que le texte qui l’avait préparé, il se contentait, sur les
questions les plus sensibles, de rappeler la doctrine actuelle de l’Église,
sans plus faire état d’aucune possibilité de réelle évolution. Il nous restait
cependant une lueur d’espoir, puisque, avant de servir de base de travail pour
le Synode ordinaire de 2015, cette Relatio
Synodi devait à nouveau être soumise aux fidèles, interrogés une fois de
plus par la volonté du pape.
L’Instrumentum laboris,
le texte définitif qui servira de fil directeur au Synode d’octobre prochain,
est malheureusement venu tuer cette espérance. Basé sur la Relatio Synodi, il était pourtant censé avoir intégré les
observations et contributions des fidèles et des différentes institutions et
organisations catholiques ; mais il semble en fait n’avoir pris en compte
que les contributions qui allaient dans le sens du Magistère et de la Relatio Synodi elle-même. Le texte
définitif apparaît donc bien plus comme un simple développement de la Relatio Synodi que comme sa mise en
dialogue, au risque de la contradiction, avec les fidèles.
Sur presque tous les sujets essentiels, les désaccords qui
séparent les catholiques sont niés et passés sous silence. Sur la séparation
entre sexualité et procréation, sur le contrôle des naissances, sur
l’avortement, sur l’euthanasie, sur l’homosexualité, sur la place des femmes et
des célibataires non consacrés dans l’Église, l’Instrumentum laboris se montre franchement insuffisant, naviguant
entre idées simplistes et simple répétition de la doctrine actuelle de
l’Église. Ce sont les sujets sur lesquels les voix divergentes des fidèles sont
le plus étouffées, alors même que de nombreuses associations ont rendu
publiques leurs contributions dans le sens d’une remise en question du
Magistère. Les autorités ecclésiales, sur ces sujets, cherchent donc à nier
l’évidence, et s’enferrent dans le déni.
D’autres thèmes, en particulier la communauté de vie avant
le mariage, sont traités sans clarté, en termes flous et confus, et surtout
sans aucune proposition concrète.
Le texte propose quelques ouvertures sur la question des
divorcés remariés ; mais elles sont bien maigres et cèdent vite place aux
vieilles lunes qui n’offriront pas à l’Église l’échappatoire qu’elle espère y
trouver, en particulier la communion seulement spirituelle ou une facilitation
des recours en nullité, qui ne sont pas ce qu’attend la majorité des fidèles
concernés. Les propositions plus audacieuses sont conditionnées à des exigences
parfaitement inacceptables, en particulier l’engagement à vivre dans la
continence.
Comme d’habitude, l’Église reconnaît que la plupart des gens
ne vivent pas selon ses préceptes, mais elle ferme complètement les yeux sur le
fait que ces derniers sont également refusés, que ce soit seulement en acte ou
également en paroles, de manière assumée, par une majorité (plus ou moins
importante selon les sujets) de catholiques pratiquants. On avance encore et
toujours l’idée que ce rejet des catholiques, même pratiquants, se résumerait à
un simple problème de langage, qui ne serait plus compris et devrait être
adapté. En mettant ainsi sur le compte de la forme un problème qui relève du
fond, l’Église est dans le déni : on peut dire de n’importe quelle manière
qu’il ne faut pas utiliser de moyens contraceptifs ou que l’homosexualité est
objectivement un mal, une majorité des fidèles continuera à le refuser.
Le texte comprend pourtant des points très positifs, en
particulier la reconnaissance des défauts intrinsèques du système capitaliste
libéral actuel et des difficultés dans lesquelles il plonge de nombreuses
familles (§14 et 15), la reconnaissance de la crise écologique (§16),
l’insistance sur l’importance des personnes âgées (§17 et 18).
De même, l’Instrumentum
laboris souligne avec raison l’importance de la famille comme Église
domestique, premier lieu de vie et d’éducation, et la nécessité de la soutenir
dans un monde souvent violent, surtout dans la sphère économique. Mais
justement, cette insistance sur le rôle de la famille s’accorde mal avec le
refus obstiné de reconnaître toutes
les familles : ce rejet des familles homoparentales ou recomposées tend
finalement à affaiblir la famille que l’Église prétend – et devrait – défendre
de manière inconditionnelle.
Les quelques ouvertures et points positifs de ce texte ne
suffisent donc pas à contrebalancer ses aspects inquiétants pour le déroulement
du Synode d’octobre prochain. On a du mal à se départir de l’idée que les
propositions d’ouverture et de réformes du pape François risquent fort d’être
étouffées, tant par une Curie frileuse et conservatrice, assistée de la frange
de l’épiscopat qui soutiendra un immobilisme pourtant mortifère, que par les
initiatives de fidèles qu’on voit se multiplier pour réclamer ce même immobilisme.
Dans ce contexte, il nous semble urgent de demander une
nouvelle fois à l’Église d’entendre les voix de tous ses enfants, et pas
uniquement de ceux qui sont d’accord en tout avec ce qu’elle enseigne ; de
demander, en d’autres termes, qu’elle se montre un peu plus Mater et un peu moins Magistra. Nous pensons, en pesant nos
mots, que sa survie en dépend.
Merci pour cette analyse lucide, mais que j'espère, toutefois, trop pessimiste. S'il venait à souffler un peu d'air frais pour rafraîchir les idées des participants au second synode...
RépondreSupprimerL'Eglise catholique ne peut pas ne pas rester catholique.
RépondreSupprimerA la base de l’édifice catholique se trouvent des « idées fixes », des idées « toutes faites » et – parce que soi-disant d’origine divine – intouchables.
RépondreSupprimerCertaines de ces « idées fixes » ne sont pas toujours irréprochables et sont donc souvent perfectibles.
Or que constate-t-on : elles ne changent jamais, au grand jamais, sous aucun prétexte.
Pareille rigidité compromet la pérennité de l’édifice.
Exemples d’ « idées fixes » prises pour argent comptant :
- Ouverture à la vie (cf. Humanae vitae)
- Dieu est au ciel
- Péché originel
- Mariage indissoluble
- Rejet de l’homosexualité
- Exclusion des femmes du sacerdoce T
- Transsubstantiation
- Universalité des doctrines (leur défaut de « localisation »)
Dans son propos intitulé « La foi qui sauve » (ci-dessous), le philosophe Alain fait clairement la distinction entre foi et croyance.
www.aquarelles-expert.be/La_foi_qui_sauve.pdf
Adhérer aux « idées fixes » dont question ci-dessus se situe, à mon avis, au niveau de la « croyance ».
Tant que le Magistère de l’Église catholique n’aura pas abandonné son « idée fixe » - selon laquelle la femme doit être subordonnée à l’homme, sa partition ancestrale de l’humanité selon les deux sexes – masculin et féminin, avec les êtres de sexe masculin dominant ceux de sexe féminin – risque de ne jamais être en phase avec les conclusions scientifiques récentes, y compris celles des « Études de genre ».
RépondreSupprimerMême si le Magistère s’accorde pour reconnaître que l’égalité homme-femme est « évangéliquement plus correcte », le concept de subordination de la femme par rapport à l’homme risque toutefois d’être long à éradiquer au sein de l’Église catholique, comme en témoignent les documents ci-dessous :
Encyclique Mulieris dignitatem (Jean-Paul II, 1988)
http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/apost_letters/1988/documents/hf_jp-ii_apl_19880815_mulieris-dignitatem.html
La théologie de la femme du Saint-Siège (Denise Couture, 2011)
http://www.lautreparole.org/articles/751)
La femme déchue selon Jean-Paul II (Denise Couture, 2011)
http://www.lautreparole.org/articles/751
Le Déni : Enquête sur l’Église et l’égalité des sexes » de Maud Amandier et Alice Chablis (Bayard, 2014, extrait)
http://www.aquarelles-expert.be/Indiff_remanent.pdf