mardi 10 juin 2014

Aimable avis aux détracteurs du FN


Depuis que, de manière bien prévisible, le Front national a remporté haut la main les élections européennes, l’intelligentsia de notre douce France, cher pays de mon enfance, est consternée. Plus du tout bercés de tendre insouciance, ils tirent la gueule comme si on leur avait annoncé la nomination de Justin Bieber au poste de directeur de l’Opéra de Paris. Moi le premier, notez bien, qui suis tout ce qu’il y a de plus intelligentsien. Je l’avoue, le FN me fait peur, l’idée qu’ils se rapprochent chaque semaine du pouvoir me terrifie, et je ne tire qu’une maigre consolation de l’idée que j’ai eu raison dans mes pronostics et que le bon peuple s’acharne à valider toute ma théorie politique. Seulement, il y a une chose qui me consterne peut-être encore plus que le vote sans espoir d’un quart des votants, c’est la réaction des autres.

Déjà, avant les élections, je le leur disais. En lisant les articles du Monde, en regardant des débats télévisés, en parcourant les réseaux sociaux qui affichaient fièrement « les cinq preuves que Marine Le Pen se trompe sur l’euro », je leur disais qu’ils faisaient fausse route et que ce n’était pas comme ça qu’on allait empêcher sa victoire. Et en effet, on ne l’a pas empêchée. Problème : apparemment, personne n’a compris la leçon, et c’est reparti pour un tour de démonstrations, d’argumentations et de réflexions, toutes aussi stériles, aussi inutiles les unes que les autres.

Puisque empiriquement mes copains intellos ne comprennent pas ce qui est à l’œuvre, essayons par l’analyse. À ce titre, un article publié sur le site delitsdopinion.com est assez révélateur. Il analyse le vote FN en fonction de plusieurs facteurs. Un des plus marquants est sans doute celui qui se base sur les diplômes :



Là, c’est parfaitement clair : plus on a un diplôme élevé, moins on vote FN. Sans vouloir établir un lien direct de cause à effet entre diplômes et intelligence (plusieurs de mes amis, que je considère comme très intelligents, n’ont que le bac, voire moins, et inversement je connais des docteurs assez sots), on peut quand même souligner que le vote FN est principalement le fait de gens peu habitués à la réflexion ou aux théories abstraites. Peu de chances, donc, de les toucher par ce biais.

Ce premier diagramme est confirmé par un autre, qui prend en compte la profession des électeurs :


Là encore, on voit que les électeurs du FN sont surtout des gens dont la profession ne les pousse pas à la réflexion. Mais ce schéma peut aussi se lire d’une autre manière : le vote FN, c’est le vote des gens qui galèrent. Les ouvriers et les employés ne sont pas seulement des gens peu habitués aux grandes théorisations politiques, ce sont aussi des gens peu payés, qui ont du mal à boucler les fins de mois, et vivent dans le stress permanent de perdre leur emploi. Cette explication par la difficulté de la vie est confirmée par le diagramme du vote FN par tranche d’âge :


Il montre que le FN n’est pas un parti de vieux, mais au contraire un parti de jeunes. Les plus de 65 ans sont ceux qui votent le moins pour le FN. Normal : les vieux possèdent et ont peur de perdre, ils veulent conserver ce qu’ils ont, donc ils votent pour le parti conservateur par excellence qu’est l’UMP, dont le programme se résume à peu près à faire conserver leurs privilèges aux privilégiés. Pour les plus de 65 ans, le FN, ça sent beaucoup trop l’aventure, l’escalade. Ceux qui votent FN, ce sont les 35-49 ans, ceux qui n’ont pas peur de l’aventure, et qui galèrent, parce qu’ils ont des enfants, ont du mal à trouver les moyens de les élever correctement, commencent à se dire que s’ils perdent leur emploi, ils auront beaucoup de mal à en trouver un autre etc. Juste après, on a les jeunes de 18 à 24 ans, et vraisemblablement avant tout ceux qui, sortis du système scolaire avec pas ou peu de diplômes, galèrent pour trouver leur premier emploi.

Donc si on récapitule, le vote FN est avant tout le vote de gens peu habitués à la réflexion théorique et dont la vie est difficile. Double conclusion : d’abord, Marine Le Pen n’a pas séduit ces gens par la profondeur d’une réflexion que, de toute manière, ils n’auraient pas été à même de comprendre. Elle les a séduit d’une part en dénonçant avec rage ceux qui, de fait (là-dessus, elle a raison) sont largement responsables de leur misère, à savoir les élites économiques et financières et les élites politiques qui collaborent avec elles ; et d’autre part, en leur vendant du rêve, un rêve auquel (contrairement à celui que propose la gauche radicale) ils peuvent encore croire, parce qu’il n’a pas encore été complètement décrédibilisé par l’Histoire et par la propagande capitaliste libérale.

Seconde partie de la conclusion : puisque Marine Le Pen ne se situe pas sur le champ de bataille de la raison pour conquérir son électorat, ce n’est pas non plus en investissant ce terrain que ses adversaires parviendront à leurs fins. Sur ce terrain-là, il n’y a pas Mme. Le Pen, il y a des moulins à vent. Leur foncer dessus tête baissée, armé d’un beau discours bien huilé, ne fait pas peur à Marine Le Pen : elle n’est pas dans le moulin, elle est ailleurs, et elle regarde de loin, dans sa lorgnette, ceux qui discourent et débattent, et elle se paye une bonne tranche de rigolade, parce qu’elle sait que tout ça ne l’atteint pas.

On peut même aller plus loin : il se pourrait bien que ça la renforce. Loin de l’affaiblir, les raisonnements qui prétendent la démolir renforcent l’image d’un FN proche du peuple dont les adversaires seraient les intellos, les élites, les nantis, « les autres ». Le discours de Jean-Luc Mélenchon à la suite des résultats électoraux était profondément émouvant, car il montrait un homme intègre qui ouvrait les yeux sur l’échec de son combat ; mais cet homme a-t-il réellement compris les facteurs de la crise politique et les moyens d’y répondre ? Je n’en suis pas certain.

Je ne crois pas, pour ma part, aux solutions proposées par le Front de Gauche, parce que je pense que seul le paradigme de l’écologie radicale est à même de penser tous les tenants et les aboutissants de la Crise que nous commençons à peine à traverser. Pour autant, je considère les militants de ce rassemblement comme des amis et je les mets en garde : s’ils veulent lutter contre l’hégémonie culturelle du FN, il ne leur faut pas construire le discours le plus abouti, le plus rationnel, le plus intelligent possible : il leur faut être sexy, il leur faut être bandants.

Vous me direz que, dans cette vision des choses, l’écologie radicale, justement, n’a pas beaucoup de chances de séduire les masses. Et en effet, nous ne sommes pas très sexy. Nous n’avons à offrir « que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur. » À l’inverse de tous ceux qui promettent des lendemains meilleurs, si possible qui chantent, nous disons que nous vivrons moins bien demain qu’aujourd’hui, et nous proposons aux hommes de choisir librement de vivre moins bien, avec moins de confort matériel, dès à présent, pour que nous et nos descendants puissions tout simplement continuer à vivre. Pas de quoi attirer les foules.

Bien sûr, avec le temps, les choses évolueront. Pour filer la métaphore churchillienne, les Anglais n’étaient pas prêts aux sacrifices qu’implique la guerre à Munich en 1938 ; mais deux ans plus tard, ils n’avaient plus le choix, Churchill était Premier ministre, et le Royaume-Uni faisait la guerre. De même, les gens seront plus portés à écouter le discours de l’écologie radicale à mesure qu’ils prendront dans la figure les conséquences concrètes de notre folie.

Mais cette évolution, selon toute vraisemblance, se fera trop tard et trop lentement ; aussi ne devons-nous pas baser notre stratégie sur la possibilité d’attirer les foules. Nous devons proposer des contre-modèles, et pour les proposer de manière crédible, nous devons les construire, avec le peu de personnes assez lucides pour choisir cette voie du renoncement. Nous ne pouvons pas prendre le pouvoir, mais nous n’en avons pas besoin. Notre discours n’est pas sexy, mais il est vrai. Être sexy, nous laissons cela à ceux qui veulent gagner les élections, parce qu’ils s’imaginent encore que les choses pourront changer ainsi.

7 commentaires:

  1. Bonjour,

    J'apprécie votre audace de défendre ainsi que le peuple est stupide et qu'il est donc inutile de raisonner avec lui. Ça me rappelle Les Inconnus : "ne pas prendre les gens pour des cons, mais ne pas oublier qu'ils le sont".

    Votre distinction séduction/raison est intéressante mais un peu courte.
    D'abord vous ne pouvez pas vous exclure de cette dialectique et prétendre être totalement rationnel. Par exemple, votre vision d'une crise écologique qui nous obligera à changer radicalement, votre engagement dès lors vécu comme à l'avant-garde des temps nouveau, portent, par leur caractère prophétique, une séduction qui n'est sans doute pas pour rien dans la formation de vos convictions.

    La tension honnêteté intellectuelle/pulsion me semble plus pertinente pour expliquer les votes extrémistes. En effectuant mon devoir de citoyen, ais-je la vertu de réfléchir posément aux choix proposés, de m'instruire, de m'informer, ou suis-je gouverné par le ressentiment, la peur, le désespoir ?

    Un second rapport est celui connaissance/bon sens. Je pense que vous vous doutez déjà de la faiblesse de votre paragraphe sur les diplômes ; permettez-moi de confirmez vos doutes : vous êtes à l'ouest. Au sujet du bon sens il y a une expérience de pensée que j'apprécie : je suppose l'existence d'une sagesse populaire qui continue de sourdre dans la vie du bon peuple, un esprit vivant enfoui sous le bazar moderne. Réfléchir ainsi retourne la question du vote FN qui n'est plus une monstruosité à expliquer, mais un message à comprendre. Je crois que l'on ne peut jamais convaincre quelqu'un si on ne fait pas à un moment l'hypothèse qu'il puisse être juste. C'est une question d'empathie, nous ramenant au diptyque séduction/raison dans lequel nous évoluons.

    Ce qui nous amène au troisième rapport, celui échange/leçon. Il n'est pas question de capituler face à la bêtise et de cesser de raisonner, d'argumenter, de fact-checker. Mais arrêtons de donner des leçons, de faire la morale, d’excommunier — surtout que ça ne marche pas. Si on veut lutter contre le vote FN, faisons du porte à porte, c'est le seul moyen efficace. Lorsque vous êtes assis dans la cuisine d'une famille smicarde, si vous avez un peu de décence, vous ne leur donnez pas un cours, vous ne leur récitez pas un argumentaire prémâché. Vous parlez vrai. Une discussion n'a lieu qu'entre égaux. Dès lors, n peu d'idéalisme et de flamme ne nuit pas (le charisme, toujours la séduction), mais vous vous adressez d'abord à l'intelligence.

    Le bon peuple ne changera jamais d’opinion parce que Laurent Joffrin a écrit un papier brillant, mais il a soif d'intelligence, de discussions rationnelles. Je continue à croire en la démocratie.

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    1. Premier point : en effet, je me m'exclus pas de cette dialectique, et ne me prétends pas parfaitement rationnel. Ce serait complètement inepte, personne n'est "parfaitement rationnel", de même qu'aucun électeur ne vote sans aucune considération rationnelle, même le dernier des abrutis.

      Cela étant, il faut tout de même souligner deux choses.

      La première, c'est que, même s'il est très politiquement incorrect de le dire, tout le monde n'est pas également intelligent, également cultivé, également informé. Donc, tout le monde n'a pas une égale compréhension des enjeux de notre époque et des meilleurs moyens d'y faire face. On peut postuler que les meilleures solutions émergeront forcément de la rencontre du plus grand nombre possible de volontés et d'esprits humains, mais pour ma part je ne le crois pas, et je ne vois pas bien ce qui viendrait étayer ce postulat.

      La seconde, c'est qu'en outre, les circonstances sont de nature à altérer le jugement. De la même manière que celui dont le fils vient d'être violé et assassiné n'est pas précisément la meilleure personne pour décider d'une peine juste pour son meurtrier, et ce même si par ailleurs c'est l'homme le plus juste et le plus intègre qui soit, il est certain qu'un smicard qui galère, même si par ailleurs il est d'une grande intelligence, est soumis à une pression telle que son jugement en est forcément altéré.

      Autrement dit, je ne reproche rien à personne. Je ne reproche certainement pas aux gens peu éduqués de n'avoir pas reçu mon éducation. Je suis au contraire extrêmement triste de cette inégalité, et s'il était en mon pouvoir de la faire disparaître, je le ferais à l'instant. Et je ne reproche pas non plus au smicard qui galère d'agir avec sa peur plutôt qu'avec sa raison, et je sais que je ferais sans doute pareil à sa place.

      Pour le point que vous évoquez ensuite, je ne fais pas mystère d'utiliser aussi le charisme, la séduction et les sentiments pour convaincre ceux avec qui j'entre en contact. Je suis un militant politique, autrement dit j'utilise ce qui fonctionne.

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    2. Votre expérience de pensée n'en est pas vraiment une, il me semble : je ne vois pas bien ce que vous "expérimentez", vous postulez plutôt quelque chose. Et ce quelque chose, il se trouve que je n'y crois guère, et que, là encore, je ne vois pas bien ce qui viendrait en étayer l'existence. J'ajoute que vos deux manières de voir les choses ne sont pas incompatibles : que le vote FN soit un message, c'est une évidence ; mais il n'en reste pas moins que c'est AUSSI, que vous le vouliez ou non, une monstruosité à expliquer. Il faut au moins expliquer pourquoi ces gens ne se tournent pas vers d'autres radicalités, en particulier la radicalité de gauche (je me doute bien, je le répète, que la mienne n'a rien pour les séduire). Rationnellement, il me semble évident que Mélenchon a une bien meilleure explication de la crise que nous traversons que Le Pen (même si, je le répète, je ne suis pas moi-même de gauche). De même que la solution qu'il préconise a de bien meilleures chances de succès que celle du FN. Alors qu'est-ce qui explique qu'il séduise 4 fois moins d'électeurs et 5 fois moins d'ouvrier ? Entendre le message ne dispense pas d'analyser le fait !

      Pour ma part, je n'excommunie personne, et je pense que vous avez remarqué que je ne préconise nulle part l'excommunication. Simplement, je constate que le discours rationnel ne fonctionne pas. Mon billet a principalement pour but d'éveiller à ce constat (constat difficile, surtout pour un démocrate) des gens qui s'imaginent qu'avec un bon argumentaire, ils viendront à bout du FN, et que s'ils n'en viennent pas à bout, c'est que l'argumentaire n'est pas assez bon.

      Enfin, pour finir sur une note plus personnelle, je dirai que je me sens de moins en moins démocrate chaque jour, et que je comprends de moins en moins qu'on soit démocrate, sauf bien sûr à être d'accord avec le FN. Cela dit, parallèlement, je suis de plus en plus admiratif de ceux qui sont démocrates envers et contre l'évidence du réel. Je crois que cela traduit envers le peuple une générosité et un amour que, sincèrement, j'envie. Malheureusement, si je pense qu'une bonne politique est forcément fondée sur l'Amour, je ne crois pas qu'elle puisse s'y réduire. Je suis d'ailleurs frappé du nombre de gens qui m'affirment "croire" en la démocratie, comme s'ils reconnaissaient déjà, plus ou moins consciemment, qu'elle ne pouvait, en effet, être qu'un objet de foi.

      Il se trouve que cette foi-là, je ne l'ai pas.

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    3. Merci de vos réponses, ce sont des arguments solides et bien utiles - paradoxalement - pour défendre la démocratie contre ses zélotes les plus naïfs. La démocratie est une foi, c'est évident, mais cela ne la disqualifie pas comme fondement civilisationnel. Il en est de même pour la croyance en la sagesse du peuple sur laquelle elle repose. Vous êtes peut-être trop cartésien pour accepter que l'on puisse défendre une hypothèse que l'on sait faible, voire délirante dans sa formulation forte, mais je vis cette aporie dans les termes du pari de Pascal, avec lequel je me bagarre depuis des années. Je vous renvoie vers cet extrait de Ma nuit chez Maud : http://youtu.be/feEoLi4onh8 (il y a d'ailleurs dans ce passage une ironie rarement comprise)

      Puisque la démocratie totale est impossible, et le restera longtemps, c'est son implantation partielle qu'il convient d'étudier, c'est à dire les institutions. La démocratie a besoin de leaders, et donc d'une théorie du chef, j'écrirais presque d'une mystique. Vos réflexions sont nécessaires en ce sens. Comment choisir nos chefs ? Les récents seconds tours des élections présidentielles prouvent que nous traversons une crise constitutionnelle. Je recommanderais un retour au temps long (septennat, voire décennat non renouvelable) et une élection par un collège de hauts électeurs (c'est à dire les maires principalement). Conserver l'exécutif bicéphale avec un président monarque qui fixe le cap et assure le sacerdoce et un premier ministre qui s'occupe du détail et prend les coups. Ces deux simples réformes nous mettraient en ordre de bataille pour affronter la tempête qui nous attend.

      Une remarque sur cette phrase : "les meilleures solutions émergeront forcément de la rencontre du plus grand nombre possible de volontés et d'esprits humains". L'élection ne garantit pas que la meilleure solution gagnera, elle garantit qu'une décision soit prise, ce qui est déjà beaucoup lorsque l'on veut gouverner un peuple.

      Un dernier mot sur cet histoire du vote FN comme "message à comprendre". Je n'ai pas été clair. Je pense que les analyses sociologiques, voire psychologiques, du vote, son explication par des causes accidentelles servent bien souvent à ne pas entendre ce que les gens ont dit. On rationalise pour ne pas intégrer. Je ne vous fait aucun reproche, après tout vous ne faites pas partie de notre petite religion. Mais si vous croyez en la démocratie, alors il faut écouter ce que dit le peuple, comme l'enfant écoute son maître.

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    4. Je reviens sur cette expérience de pensée.
      Kissinger développe dans Diplomatie une théorie du chef qui doit 1) connaître l'esprit profond de son peuple et être capable de mettre des mots là où il n'y a que désirs vagues, 2) être légèrement en avance sur ses aspirations, le diriger en le précédant. Il ne s'agit pas d'appliquer ce que le peuple dit vouloir, mais de savoir ce qu'il veut vraiment, d'interpréter ses mouvements désordonnés à la lumière du destin national, d'une "certaine idée de la France" par exemple.

      Je suppose donc l’existence d'un génie populaire qui, c'est important, n'évolue que très lentement et n'est donc influencé qu'en surface par les tentatives "d'éducation" que vous dénonciez avec justesse il y a peu. Il faudra encore plusieurs siècles de massacre, de chômage et de divertissement, pour détruire l'esprit d'un peuple aussi têtu que le notre (je croise les doigts).

      Et me voilà donc dans la peau d'un leader à la tête d'un peuple qui vote Front National. Je ne crie pas Vade Retro, ni ne me retranche dans ma citadelle. J'écoute le génie du peuple et je m'en fait le porte-voix. J'explique au peuple ce qu'il veut réellement. L'expérience consiste à sortir de mon confort, à me forcer à voir de la sagesse dans ce vote.

      Pour quel résultat au final ? Bien, disons que c'est une expérience en cours. Je retiens tout de même : 1) le refus d'un monde anglo-saxon et ultra libéral => assumer son colbertisme et la puissance de l'état 2) le désir d'un chef, la volonté de marcher au pas => c'est la volonté d'être mobilisé, d'avoir une "nouvelle frontière" 3) le rejet de la technocratie et des idéologues => arrêter la course en avant de l'Europe (élargissement, nouvelles compétences), se concentrer sur la zone euro.

      C'est un peu léger et partiel, j'en ai bien peur, mais je crois néanmoins que c'est un début de réflexion plus riche que de convoquer "la bête immonde" ou, je vous rejoins là-dessus, de pondre des argumentaires dont tout le monde se fout. Il n'y a sans doute guère plus d'un électeur sur dix du FN qui croit que ce serait une bonne idée de revenir au franc, c'est donc inutile de leur faire un cours de macro-économie. En revanche, une fois qu'on a fait l'effort de porter en soi ce vote, on peut aller leur parler et réfléchir avec eux. Populo ou pas, le français aime la raison et l'abstraction.

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    5. En effet, que la démocratie soit une foi ne suffit pas à la discréditer comme fondement civilisationnel. Moi-même, je suis croyant, et je fonde mes réflexions philosophiques et politiques sur ma foi. Mais (et c’est là un point fondamental), ce qui discrédite radicalement la démocratie, c’est la conjonction entre le fait que ce soit une foi et la gravité de la Crise multiforme que nous traversons.

      Je me tue à le répéter : je ne suis pas dogmatiquement antidémocrate. À certains moments et en certains lieux, la démocratie est la bonne solution. En 1791 ou en 1940, j’aurais été un fervent démocrate. Mais aujourd’hui, je pense que nous entrons dans une Crise où se joue, sinon notre survie, du moins une grande part des acquis de notre civilisation. Non seulement notre confort, dont de toute manière nous ne pourrons conserver qu’une petite partie, mais notre Art et notre Science. C’est tout cela qui est en jeu.

      Or, je refuse catégoriquement de jouer cela sur une foi. Votre exemple du pari de Pascal est éclairant : chacun est libre de jouer son âme sur ce genre de pari (ou sur celui de Cavanna, qui en est la réponse et le contraire) ; en revanche, à l’échelle sociale, collective, je ne crois pas que nous ayons ce droit. Vous ne jouez pas seulement votre vie ici, vous jouez celle de vos enfants, et des miens. Ils ne nous ont pas autorisés à être joueurs avec leur avenir, et je ne crois pas que nous en ayons le droit.

      Je suis heureux de voir que vous évitez au moins les délires égalitaristes de ceux qui veulent la démocratie directe ou une Assemblée tirée au sort. Votre proposition correspond, plus ou moins, au retour aux débuts de la Ve République. Pourquoi pas ? Ce serait toujours mieux qu’aujourd’hui. Cela dit, je doute fortement que ce qui suffisait en 1958 suffise en 2014. Je suis monarchiste (au sens platonicien du terme, pas en celui où on l’entend ordinairement) justement parce que je pense qu’un septennat, ou même un « décennat », ne suffira pas : il faut un homme nommé à vie et révocable seulement en cas de faute grave. Sept ou dix ans, c’est bien, mais les problèmes auxquels nous avons à faire face aujourd’hui ne sont plus ceux des années 50 : ils se posent sur le temps très longs, et nécessitent donc une stabilité du cap politique à très long terme.

      Cela ne veut d’ailleurs pas dire que j’exclue complètement la démocratie de mon champ politique. Je pense en particulier que les affaires locales doivent continuer à être gérées démocratiquement. Si vous lisez les textes politiques du projet que je dirige, en particulier celui-ci :

      http://www.tol-ardor.org/2_2_1_1Fondements.php

      peut-être, qui sait, y trouverez-vous un peu de miel. ^^ Vous verrez par exemple que nous conservons l’exécutif bicéphale.

      Sur mon explication du vote FN, vous noterez que j’évite justement les explications par trop circonstancielles. Je suis totalement d’accord avec votre analyse d’une crise structurelle, et je me bats justement pour que les résultats des dernières élections ne soient pas mis sous le tapis. Mais en effet, étant un militant politique, mais ne croyant pas à la démocratie, je dois écouter le peuple, et je le fais, mais certainement pas comme l’enfant écoute son maître.

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    6. Pour le reste, je suis assez d'accord avec votre second message. Sauf peut-être sur les deux dernières phrases. ^^ Disons que le peuple français a aimé avoir des chefs intellos comme de Gaulle, Mitterrand, ou même Pompidou qui était un pur intello adroitement déguisé en tribun de la plèbe. Mais je ne suis pas sûr que ce soit toujours le cas ; je pense qu'à l'heure actuelle, un Mitterrand serait absolument inaudible. Le peuple français aime l'abstraction, mais d'assez loin, et, je le crains, de plus en plus loin.

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