Dans l’excellent film de Laurent Tirard Mensonges et trahisons (et plus si affinités), le narrateur s’étonnait
qu’un homme de trente ans passés puisse se demander, à propos d’une fille qu’il
cherchait à séduire, s’il lui avait « envoyé les bons signaux ». Moi,
je me pose cette question à propos de l’Église. Envoie-t-elle les bons signaux ?
Il y a des indices dans ce sens. Il y a eu l’élection du
pape François, qui est sans doute beaucoup plus conservateur que certains ne l’espéraient,
mais qui n’en demeure pas moins le plus réformiste que nous ayons eu (pour plus
de trois semaines) dans les 50 dernières années. Il y a eu, en France, l’élection
de Georges Pontier à la tête de la Conférence épiscopale. Il y a même des
choses encore plus surprenantes : ainsi, récemment, l’Église catholique du
Brésil s’est prononcée, par la voix du secrétaire général de la Conférence des Évêques
locale, Leonardo Steiner, en faveur de l’union civile pour les couples
homosexuels. C’est assez inimaginable pour être souligné.
Il y a eu aussi l’organisation d’un Synode sur les questions
de morale sexuelle et familiale (petit espoir de changement), et surtout la
diffusion d’un questionnaire à destination des fidèles sur ces sujets. Une grande
première ! On n’avait jamais vu l’Église catholique se préoccuper ainsi de
l’avis de ses ouailles. De nombreux individus, mais aussi des groupes (dont Tol Ardor) se sont saisis de cette proposition.
Mais depuis, les mauvais signaux se multiplient. Une fois
lesdits questionnaires dûment envoyés à chaque Conférence épiscopale, ces
dernières ont fait remonter leurs compilations à Rome. Là-bas, ils ont dû
recevoir une petite claque : ils devaient bien s’attendre à quelques incompréhensions,
mais ils ont sans doute dû voir que le fossé était plus profond qu’ils ne le
pensaient.
Malheureusement, ce début de lucidité n’a, semble-t-il,
conduit personne à remettre réellement en cause l’enseignement de l’Église lui-même.
Ainsi, le cardinal Tagle, de Manille (Philippines), qui sera accessoirement
co-président du prochain Synode (avec le père Vingt-Trois, archevêque de Paris,
une autre pointure du progressisme et de la tolérance, comme chacun sait), s’est dit « choqué » par les réponses reçues, qui témoignaient, selon lui, de
ce que l’enseignement de l’Église n’était « pas compris » par une
large partie des fidèles, et demande donc un renouvellement, non du fond, mais
de la forme, c’est-à-dire du langage utilisé pour faire passer cet
enseignement.
Ce qui est un très mauvais signal, c’est que le co-président
du futur Synode ne semble pas envisager une seule seconde que l’enseignement de
l’Église puisse être très bien compris, mais tout simplement rejeté par les
fidèles. Or, l’essentiel est là ! Avant de se poser des questions sur la
forme, Tagle et ses petits amis qui habitent la même bulle que lui devraient se
demander pourquoi certains (de nombreux,
en fait) enseignements de l’Église ne sont pas acceptés par les fidèles, et se demander si les arguments qui les
étayent sont solides ou non.
De la même manière, le Saint-Siège vient de publier l’Instrumentum laboris du Synode, c’est-à-dire
la base de travail sur laquelle les évêques participants sont censés se fonder
pour mener leurs travaux. Or, ce texte (un petit pavé de 85 pages) est encore
un très mauvais signal. Non seulement il persiste dans cette ligne selon
laquelle les fidèles ne comprendraient pas les enseignements contestés, mais quand
il s’en éloigne et constate (bel effort !) que le divorce, si j’ose dire,
entre l’enseignement de l’Église et la pratique des fidèles est un véritable
refus, pas une simple incompréhension, il n’a plus que deux objectifs : d’une
part, désigner des coupables (la « théorie du genre » arrive en tête,
suivie de près par une multitude d’ismes : le relativisme, l’individualisme,
l’hédonisme, le matérialisme etc.) ; d’autre part, chercher les moyens de
faire entrer dans la tête des fidèles ce qu’ils n’acceptent pas encore.
Les arguments de
ceux qui refusent ces enseignements de l’Église sont la plupart du temps complètement
ignorés (c’est-à-dire qu’ils ne sont même pas évoqués), ou alors sont balayés
par des réponses qui n’en sont pas. Plein de préjugés, d’approximations, de
contradictions, l’ensemble du texte est, il faut le dire, d’une pauvreté intellectuelle
et réflexive consternante. On peut certes lui reconnaître un atout : il fait
réellement œuvre, au moins par endroits, de miséricorde. Au cas par cas, il
affirme que les fidèles, et surtout les prêtres, doivent se montrer
bienveillants, compréhensifs, gentils, essayer de ne pas blesser, de ne pas
heurter. C’est mieux que rien ! Même s’ils n’ont pas de place assise et n’ont
pas droit au repas, c’est déjà quelque chose de faire entrer les divorcés
remariés dans la salle du banquet. Mais si l’Instrumentum laboris fait œuvre de miséricorde, il ne fait pas œuvre
de pensée.
Il est donc probable que c’est à cela qu’il faille nous
attendre : un Synode qui fera œuvre de miséricorde, mais pas œuvre de
pensée. Qui insistera sur une certaine pastorale, sur l’accueil, sur la
compréhension, sur l’écoute, mais ne changera rien sur le fond. Le risque est grand
ainsi de voir se développer une véritable contradiction entre des choses (l’utilisation
de la contraception, les
couples homosexuels, les divorcés remariés etc.) qui seront toujours mieux
acceptées dans les faits, les actes, les pratiques, alors qu’elles seront toujours
aussi fermement condamnées dans les mots et la doctrine.
Peut-il en sortir du bon ? Certains de mes amis
espèrent que oui. Ils m’assurent que la force de la pratique s’imposera peu à
peu aux mentalités. Pour ma part, j’émets des réserves. Tant que la doctrine ne
changera pas, il y aura toujours des pharisiens, des gardiens du Temple, des
veilleurs, des on-ne-lâche-rien, des Civitas, des Printemps français, des Ludovine
de la Rochère ; et leur discours restera cohérent, quand celui de l’Église
ne le sera plus. Ce sera leur force et notre faiblesse.
Que pouvons-nous faire ? Pas grand-chose, bien sûr. Malgré
mes efforts, je n’ai par exemple pas trouvé la liste des évêques qui
participeront au Synode ; ce manque de transparence fait qu’on ne sait pas
à qui on peut écrire avec l’espoir d’un minimum d’efficacité. En France, on a
de la chance, en quelque sorte, puisque notre bien-aimé Vingt-Trois va
co-présider la chose : on peut donc lui écrire en lui disant qu’on attend
plus de ce Synode que ce que l’Instrumentum
laboris en laisse croire. On peut, au passage, lui renvoyer un
questionnaire ; même si on ne l’a pas rempli soi-même, on peut en trouver
un dont les réponses nous conviennent. Vingt-Trois ne répond jamais aux lettres
(en tout cas, il ne répond jamais aux miennes) ; mais il ne peut pas
éternellement se boucher les yeux, surtout si on est en nombre.
Par ailleurs, le mouvement international Catholic Church Reform, dont Tol Ardor fait partie, a lancé plusieurs initiatives. Il demande
que les débats du Synode soient intégralement et immédiatement diffusés, afin
que les fidèles puissent se rendre compte de ce qui se dit (il n’est pas censé
y avoir de secret). Il organise également un Synode des laïcs qui se tiendra à
Rome, juste avant celui des évêques. Sur le site, on peut soutenir ces actions,
voire y participer. Ça peut sembler peu de choses, mais pour sauver l’Église en
l’empêchant de se tirer une balle dans le pied, chaque petit geste compte.
Même si je ne crois pas/plus à un profond changement dans l'Eglise, je soutiens les actions qui oeuvrent à son évolution.
RépondreSupprimerL' Église est hélas une"vieille femme" qu'on a du mal à faire avancer. Mais il faudrait que les évêques comprennent que c'est la base qui fait Église. Les évêques seuls ne sont pas les seuls à représenter l' Église, nous sommes plus nombreux que les dictateurs spirituels
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