samedi 28 juin 2014

L'Église envoie-t-elle les bons signaux ?


Dans l’excellent film de Laurent Tirard Mensonges et trahisons (et plus si affinités), le narrateur s’étonnait qu’un homme de trente ans passés puisse se demander, à propos d’une fille qu’il cherchait à séduire, s’il lui avait « envoyé les bons signaux ». Moi, je me pose cette question à propos de l’Église. Envoie-t-elle les bons signaux ?

Il y a des indices dans ce sens. Il y a eu l’élection du pape François, qui est sans doute beaucoup plus conservateur que certains ne l’espéraient, mais qui n’en demeure pas moins le plus réformiste que nous ayons eu (pour plus de trois semaines) dans les 50 dernières années. Il y a eu, en France, l’élection de Georges Pontier à la tête de la Conférence épiscopale. Il y a même des choses encore plus surprenantes : ainsi, récemment, l’Église catholique du Brésil s’est prononcée, par la voix du secrétaire général de la Conférence des Évêques locale, Leonardo Steiner, en faveur de l’union civile pour les couples homosexuels. C’est assez inimaginable pour être souligné.

Il y a eu aussi l’organisation d’un Synode sur les questions de morale sexuelle et familiale (petit espoir de changement), et surtout la diffusion d’un questionnaire à destination des fidèles sur ces sujets. Une grande première ! On n’avait jamais vu l’Église catholique se préoccuper ainsi de l’avis de ses ouailles. De nombreux individus, mais aussi des groupes (dont Tol Ardor) se sont saisis de cette proposition.

Mais depuis, les mauvais signaux se multiplient. Une fois lesdits questionnaires dûment envoyés à chaque Conférence épiscopale, ces dernières ont fait remonter leurs compilations à Rome. Là-bas, ils ont dû recevoir une petite claque : ils devaient bien s’attendre à quelques incompréhensions, mais ils ont sans doute dû voir que le fossé était plus profond qu’ils ne le pensaient.

Malheureusement, ce début de lucidité n’a, semble-t-il, conduit personne à remettre réellement en cause l’enseignement de l’Église lui-même. Ainsi, le cardinal Tagle, de Manille (Philippines), qui sera accessoirement co-président du prochain Synode (avec le père Vingt-Trois, archevêque de Paris, une autre pointure du progressisme et de la tolérance, comme chacun sait), s’est dit « choqué » par les réponses reçues, qui témoignaient, selon lui, de ce que l’enseignement de l’Église n’était « pas compris » par une large partie des fidèles, et demande donc un renouvellement, non du fond, mais de la forme, c’est-à-dire du langage utilisé pour faire passer cet enseignement.

Ce qui est un très mauvais signal, c’est que le co-président du futur Synode ne semble pas envisager une seule seconde que l’enseignement de l’Église puisse être très bien compris, mais tout simplement rejeté par les fidèles. Or, l’essentiel est là ! Avant de se poser des questions sur la forme, Tagle et ses petits amis qui habitent la même bulle que lui devraient se demander pourquoi certains (de nombreux, en fait) enseignements de l’Église ne sont pas acceptés par les fidèles, et se demander si les arguments qui les étayent sont solides ou non.

De la même manière, le Saint-Siège vient de publier l’Instrumentum laboris du Synode, c’est-à-dire la base de travail sur laquelle les évêques participants sont censés se fonder pour mener leurs travaux. Or, ce texte (un petit pavé de 85 pages) est encore un très mauvais signal. Non seulement il persiste dans cette ligne selon laquelle les fidèles ne comprendraient pas les enseignements contestés, mais quand il s’en éloigne et constate (bel effort !) que le divorce, si j’ose dire, entre l’enseignement de l’Église et la pratique des fidèles est un véritable refus, pas une simple incompréhension, il n’a plus que deux objectifs : d’une part, désigner des coupables (la « théorie du genre » arrive en tête, suivie de près par une multitude d’ismes : le relativisme, l’individualisme, l’hédonisme, le matérialisme etc.) ; d’autre part, chercher les moyens de faire entrer dans la tête des fidèles ce qu’ils n’acceptent pas encore.

Les arguments de ceux qui refusent ces enseignements de l’Église sont la plupart du temps complètement ignorés (c’est-à-dire qu’ils ne sont même pas évoqués), ou alors sont balayés par des réponses qui n’en sont pas. Plein de préjugés, d’approximations, de contradictions, l’ensemble du texte est, il faut le dire, d’une pauvreté intellectuelle et réflexive consternante. On peut certes lui reconnaître un atout : il fait réellement œuvre, au moins par endroits, de miséricorde. Au cas par cas, il affirme que les fidèles, et surtout les prêtres, doivent se montrer bienveillants, compréhensifs, gentils, essayer de ne pas blesser, de ne pas heurter. C’est mieux que rien ! Même s’ils n’ont pas de place assise et n’ont pas droit au repas, c’est déjà quelque chose de faire entrer les divorcés remariés dans la salle du banquet. Mais si l’Instrumentum laboris fait œuvre de miséricorde, il ne fait pas œuvre de pensée.

Il est donc probable que c’est à cela qu’il faille nous attendre : un Synode qui fera œuvre de miséricorde, mais pas œuvre de pensée. Qui insistera sur une certaine pastorale, sur l’accueil, sur la compréhension, sur l’écoute, mais ne changera rien sur le fond. Le risque est grand ainsi de voir se développer une véritable contradiction entre des choses (l’utilisation de la contraception, les couples homosexuels, les divorcés remariés etc.) qui seront toujours mieux acceptées dans les faits, les actes, les pratiques, alors qu’elles seront toujours aussi fermement condamnées dans les mots et la doctrine.

Peut-il en sortir du bon ? Certains de mes amis espèrent que oui. Ils m’assurent que la force de la pratique s’imposera peu à peu aux mentalités. Pour ma part, j’émets des réserves. Tant que la doctrine ne changera pas, il y aura toujours des pharisiens, des gardiens du Temple, des veilleurs, des on-ne-lâche-rien, des Civitas, des Printemps français, des Ludovine de la Rochère ; et leur discours restera cohérent, quand celui de l’Église ne le sera plus. Ce sera leur force et notre faiblesse.

Que pouvons-nous faire ? Pas grand-chose, bien sûr. Malgré mes efforts, je n’ai par exemple pas trouvé la liste des évêques qui participeront au Synode ; ce manque de transparence fait qu’on ne sait pas à qui on peut écrire avec l’espoir d’un minimum d’efficacité. En France, on a de la chance, en quelque sorte, puisque notre bien-aimé Vingt-Trois va co-présider la chose : on peut donc lui écrire en lui disant qu’on attend plus de ce Synode que ce que l’Instrumentum laboris en laisse croire. On peut, au passage, lui renvoyer un questionnaire ; même si on ne l’a pas rempli soi-même, on peut en trouver un dont les réponses nous conviennent. Vingt-Trois ne répond jamais aux lettres (en tout cas, il ne répond jamais aux miennes) ; mais il ne peut pas éternellement se boucher les yeux, surtout si on est en nombre.

Par ailleurs, le mouvement international Catholic Church Reform, dont Tol Ardor fait partie, a lancé plusieurs initiatives. Il demande que les débats du Synode soient intégralement et immédiatement diffusés, afin que les fidèles puissent se rendre compte de ce qui se dit (il n’est pas censé y avoir de secret). Il organise également un Synode des laïcs qui se tiendra à Rome, juste avant celui des évêques. Sur le site, on peut soutenir ces actions, voire y participer. Ça peut sembler peu de choses, mais pour sauver l’Église en l’empêchant de se tirer une balle dans le pied, chaque petit geste compte.

2 commentaires:

  1. Même si je ne crois pas/plus à un profond changement dans l'Eglise, je soutiens les actions qui oeuvrent à son évolution.

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  2. L' Église est hélas une"vieille femme" qu'on a du mal à faire avancer. Mais il faudrait que les évêques comprennent que c'est la base qui fait Église. Les évêques seuls ne sont pas les seuls à représenter l' Église, nous sommes plus nombreux que les dictateurs spirituels

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