Ça y est, le suspense est levé : Marine Le Pen et ses
eurodéputés Front National ne peuvent pas, dans l’immédiat, constituer de
groupe politique au Parlement européen. N’ayant pas réussi à convaincre
suffisamment de collègues issus de suffisamment de pays, ils vont devoir siéger
en tant qu’indépendants.
Tant mieux ou tant pis. Tant mieux, parce que ça leur
enlèvera quelques moyens d’actions. Tant pis, parce qu’elle l’utilisera pour se
victimiser et apparaître toujours plus comme la candidate antisystème.
Mais pour moi, l’essentiel n’est pas là. Concrètement, qu’est-ce
que ça change, pour Marine Le Pen et les députés FN à Strasbourg, de ne pas
avoir de groupe ? Eh bien ça change pas mal de choses. Déjà, les députés
non-inscrits dans un groupe ne participent pas à l’élection du Président du
Parlement européen. Ils ne peuvent pas déposer d’amendements. Ils ne sont pas
représentés aux réunions des présidents de groupes, qui fixent l’ordre du jour.
Ils n’ont quasiment aucune chance d’obtenir des postes particuliers. Enfin, et
surtout, ils sont largement privés de la manne financière : un député
isolé touche, en plus de son salaire et de ses indemnités, environ 40 000€
par an pour son « information politique » ; un groupe d’une
trentaine de députés touche à peu près 3 millions d’euros par an, soit une
moyenne de 100 000€ par tête.
Il faut déjà remarquer une chose : tout cela n’est
absolument pas démocratique. Un député qui ne parvient pas à s’inscrire dans un
groupe politique n’est pas moins que les autres un représentant du peuple qui l’a
élu, et du peuple européen en général. Soyons plus concrets : il n’est
absolument pas démocratique que le parti qui a remporté les élections dans le
deuxième pays le plus peuplé d’Europe ne participe pas à l’élection du
Président du Parlement européen. Par comparaison, le Front de Gauche, qui a
obtenu environ 6% des voix en France (là où le FN en a engrangé quatre fois
plus, plus de 24%), va, lui, participer à cette élection.
Moi après tout, que ce ne soit pas démocratique, je m’en
tamponne l’oreille avec une babouche, puisque de toute manière je ne suis pas
démocrate. Mais quand on l’est, démocrate, surtout si on est un européiste
convaincu, il y a là quelque chose qui devrait nous heurter violemment.
Cette affaire illustre à merveille une des caractéristiques de
notre démocratie, à savoir le fait qu’elle est très largement une dictature des
partis (en plus d’être celle des lobbies et celle des incompétents). Les partis
politiques sont au centre du jeu, tout passe par eux, rien ne se fait sans eux.
Imaginez-vous qu’on puisse être élu à un poste vraiment important (député,
Président de la République) sans passer par ces appareils et être adoubé par
eux ? Inimaginable ! Sans le soutien financier d’un parti, personne n’a
la moindre chance d’être élu. Et encore, c’est moins vrai en France que dans d’autres
pays, comme les États-Unis, où les partis sont libres de dépenser autant qu’ils
veulent pour une campagne électorale : on assiste alors à des débauches de
moyens qui font que, plus encore que chez nous, le plus riche est à peu près
assuré d’être élu.
Il y a là une dérive grave de notre système politique, car
cela empêche absolument l’émergence des idées neuves : pour être entendu,
il faut passer par un parti, de préférence un gros ; pour entrer, et
surtout pour monter dans le parti, il faut avoir des idées en conformité avec l’idéologie
et la stratégie électorale du parti. La boucle infernale du conservatisme éternel
est bouclée.
On va me dire que cette dérive est conjoncturelle, pas
structurelle ; que la vraie démocratie, ce n’est pas cela ; que dans la
vraie démocratie, les partis soit n’existent même pas, soit sont totalement
vertueux, soit sont contrôlés efficacement et en permanence par leur base ;
que dans la vraie démocratie, les partis ont été remplacés par la démocratie directe,
ou par le tirage au sort, etc.
Franchement ? J’ai des doutes. Je trouve que ça
commence à faire beaucoup de choses qui ne devraient pas exister dans la « vraie »
démocratie mais qui existent quand même dans la démocratie qu’on a et qu’on a toujours
eue. C’est quoi, finalement, la « vraie » démocratie ? Je crains
bien que ce soit celle-ci, celle qui existe, et que la « fausse »
démocratie soit le régime idéal que certains imaginent toujours, je ne sais
trop sur quelles bases, réalisable.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire