dimanche 20 avril 2014

Lettre ouverte au père Pontier, archevêque de Marseille, Président de la Conférence des Évêques de France

Père évêque,

Votre élection à la tête de la Conférence des Évêques de France en 2013 a suscité chez moi le même enthousiasme réservé que celle, quelques mois plus tôt, du pape François. Enthousiasme d’abord, parce que, comme votre collègue à l’archevêché de Rome, vous étiez réputé pour votre attention aux plus pauvres – ce qui, à l’évidence, devrait être une des deux ou trois priorités de l’Église aujourd’hui – et pour votre ligne modérée sur les questions sociétales – ce qui, parmi les évêques catholiques, est proche du mieux qu’on puisse attendre.

Mais enthousiasme réservé tout de même, parce que j’ai appris à me méfier de ma mère l’Église, qui est un peu « pointilleuse sur le cérémonial, et aimant bien mais châtiant mieux, […] et constamment le sourcil froncé, et jamais la rigolade », pour reprendre les mots de feu Cavanna (Dieu ait son âme). Bref, de ma mère l’Église qui sait si bien faire naître l’espoir pour le laisser ensuite mourir à petit feu.

Pour ce qui est de l’évêque de Rome, j’attends avec impatience le Synode sur la famille d’octobre prochain. Pour ce qui est de vous, bien qu’ayant (Dieu merci !) évité les pires errements de votre prédécesseur le père Vingt-Trois, l’interview que vous avez accordée au Monde et qui a été publiée dans l’édition d’hier a un peu douché mes espoirs incertains.

Revenant sur le houleux débat du « mariage pour tous », vous y dîtes en effet que si « des divisions sont apparues dans les milieux catholiques sur les visées politiques et tactiques », « sur les objectifs de fond », en revanche, « les catholiques sont unis » (et vous ajoutez, comme pour bien convaincre l’auditoire – ou pour vous convaincre vous-même ? – : « je peux vous le dire »).

Eh bien non, père évêque, vous ne pouvez pas le dire. Non, les catholiques ne sont pas unis sur les objectifs de fond, et ils sont même très loin de l’être. Je ne suis pas un catholique par tradition, par héritage ou par habitude ; je suis un converti de l’athéisme, autrement dit je suis catholique par choix ; et je ne suis pas un catholique des marges, je suis un pratiquant régulier, c’est-à-dire que je vais à la messe chaque semaine, parfois plusieurs fois par semaine ; et pourtant, ne vous en déplaise, je soutiens, sans la moindre réserve, la loi Taubira. Je suis favorable au mariage des couples de même sexe et à la possibilité pour ces couples d’adopter des enfants.

Et je ne suis pas seul. Tous les sondages l’indiquent, ce sont près de 45% des pratiquants réguliers qui sont favorables au mariage des couples homosexuels – autant dire la quasi-majorité. Et nous sommes encore plus ou moins un tiers à être favorables à l’adoption pour ces mêmes couples. Un tiers, père évêque ! Quand vous dites la messe, regardez les six fidèles qui sont bien sages sur leur banc, là, tout devant : trois d’entre eux sont favorables au mariage homo, et sur ces trois, deux sont favorables à l’adoption.

Ouvrez les yeux, père évêque, car vous êtes dans le déni, ou plus exactement dans l’incantation. Votre discours refuse l’évidence. Or, votre erreur ne fait pas que blesser la vérité, elle contribue aussi à blesser l’Église. Je crois que vous ne mesurez pas la souffrance que l’Église a infligée aux catholiques favorables à la loi Taubira, qu’ils soient ou non homosexuels, en niant leur existence, en refusant de les entendre ou de dialoguer avec eux. Vos propos participent de la même détestable logique : vous ne pouvez pas ignorer (et vous le pouvez encore moins après avoir reçu les questionnaires auxquels les fidèles ont répondu pour préparer le prochain Synode) que de nombreux catholiques, y compris pratiquants, sont totalement engagés en faveur de la loi Taubira ; mais vous faites exactement comme si nous n’existions pas.

Je l’avais indiqué dans le billet de mon blog en date du 28 mai 2013 : l’Église de France a été profondément blessée durant le débat autour de la loi Taubira, et une des deux conditions sine qua non pour que les plaies se referment est que les autorités de l’Église reconnaissent l’existence du débat en son sein, qu’elles reconnaissent que les fidèles, décidément, ne sont pas, sur cette question, unis au Magistère – loin s’en faut. Vous ne semblez pas, malheureusement, prendre ce chemin de réconciliation.

Étymologiquement, est « diabolique » ce qui divise. Ne croyez pas qu’en faisant semblant de ne pas nous voir, nous allons disparaître. Nous ne sommes plus les catholiques des années 1970 qui, après avoir espéré de Vatican II et avoir été déçus par Humanae vitae, avaient quitté l’Église sur la pointe des pieds. Nous n’allons pas partir et vous laisser entre vous. Je ne me suis pas converti pour repartir après dix petites années – pas sans combattre. Nous allons ruer dans les brancards. Nous allons faire du bruit, écrire sur nos blogs, contacter les médias, jusqu’à ce qu’on nous entende. Et si nous finissons par partir, ce ne sera pas dans le silence.

7 commentaires:

  1. J'ai commence à écrire à mon évêque ; j'ai commencé avant de lire ce billet et en ignorant l'interview de mgr Ponthier. Je suis encore plus décidée à écrire, mais j'ai encore plus de mal à le faire. Parce qu'à force d'avoir attendu, pour diverses raisons sans doute toutes plus fallacieuses les unes que les autres, j'enrage de plus en plus, et ma lettre est de moins en moins une lettre de dialogue. Je pensais que le temps apaiserait en partie les tensions ; mais pour cela, il aurait fallu que l'Eglise-institution envisage un quart de seconde que ces tensions existent. Il aurait fallu que l'Eglise donne le sentiment d'écouter ; qu'elle donne le sentiment d'être humble devant ceux qui, eux aussi, la composent, et pourtant sont las, ou en passe de la quitter, ou en colère à cause d'elle.
    Je vais sans doute réussir à finir ma lettre ; les propos de mgr Ponthier me donnent envie de beaucoup l'abréger pour la limiter à l'essentiel : nous, cathos favorables à l'ouverture du mariage aux couples de même sexe, existons, avons réfléchi, n'avons pas de leçon de "vrai" christianisme à recevoir ; "nous sommes aussi l'Eglise".

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    1. Raymond Godefroy24 avril 2014 à 09:50

      je comprends la réponse de Véro pour avoir été longtemps dans la même position scandalisée devant les positions du pouvoir vatican.
      l'arrivée du pape François me redonne de l'espérance et je veux, tout en restant vigilant sur la suite, le soutenir.
      s'agissant de Mgr Ponthier je pense qu'il fait partie des évêques éclairés, et il me semble qu'il y en a de plus en plus. Il a d'ailleurs eu des paroles courageuses à Lourdes.
      Certes quand il dit "les catholiques sont unis" cela reste dans la ligne "catholiquement correcte" (pas de vagues) mais je ne crois pas du tout qu'il ait voulu dire qu'ils sont unis dans l'opposition au mariage pour tous.
      Mais j'aurais bien entendu préféré qu'il dise "ils ne sont pas tous contre, une majorité est pour".
      mais peut-on inverser d'un coup des siècles de monarchie catholique ?
      fraternellement

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  2. Oui, @Raymond on peut inverser les mauvaises habitudes de siècles de monarchie catholique. On peut donner du courage aux évêques de dire et écrire ce qu'ils pensent réellement en leur for intérieur et non pour répondre à la tyrannie de l'"UNITE" se limiter à dire ce que Rome attend . Meneldil a raison, il aurait dû faire mention du débat qui règne actuellement dans l'Eglise de France . Celle ci parle plusieurs langages et dit plusieurs aspirations dont il faut tenir compte. L'attitude de Mgr Pontier est suicidaire, l'Eglise a besoin de débats pour vivre. L'Eglise a besoin de parler la langue de la démocratie et surtout de la Vérité, celle des faits.

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  3. Raymond,
    Je crois que c'est justement parce que mgr Pontier me semble plutôt du côté "ouvert" que je suis exaspérée de son attitude dans le cas présent. Je n'attends pas des évêques de France qu'ils adhèrent à ma propre position - même si en l'occurrence, je suis tout à fait convaincue de sa validité et j'espère bien qu'ils le feront un jour ; mais en revanche, qu'ils disent publiquement que la diversité existe, qu'ils admettent que cela peut être une position réfléchie, qu'elle ne vient pas remettre en cause notre foi et notre appartenance à l'Eglise ; qu'ils désavouent publiquement un mgr Aillet, qui a multiplié les déclarations à l'emporte-pièce excluant la possibilité d'être "vraiment" catho et pour le mariage gay. Qu'ils écoutent, un peu, avant de parler "d'autorité" et sensément au nom de tous. Qu'ils donnent le sentiment d'un peu s'inquiéter des départs, des blogs comme celui-ci où s'expriment lassitude et/ou colère ; et de s'en inquiéter en s'en sentant quand même vaguement responsables.
    Un ami à qui j'exprimais mon propre malaise m'a répondu que j'avais une vision caricaturale de l'Eglise. Je traduis cela comme "si vous n'êtes pas bien dans l'Eglise, c'est de votre faute, hein, c'est que vous ne savez pas entendre et regarder combien elle est accueillante etc.". Et j'en ai marre de m'efforcer désespérement de dire les choses sans agressivité, en expliquant, en donnant des exemples très concrets, et surtout en restant, en servant toujours à ma petite place, et en ne recevant que mépris, comme si j'étais, au fond, un peu sotte de penser ce que je pense. J'en ai marre qu'on gâche les intelligences nombreuses et variées dans l'Eglise, au profit d'un discours univoque qui paraît sans danger et qui est désastreux.
    Ce n'est pas la première fois que je m'énerve après l'institution ecclésiale ; c'est la première fois que ça dure autant.

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  4. @Meneldil
    J'ai l'impression que vous confondez entendre et approuver à moins que ça soit un manque d'humilité de vouloir imposer vos opinions à l'Eglise et à son magistère . Le questionnaire envoyé à tout fidèle catholique pour le synode des famille est la preuve que l'Eglise entend tout le monde du moins qu'elle essaie mais elle n'approuve/ra surement pas les réponses de tous les fidèles et ça je suppose que vous en êtes conscient . J'espère donc que vous aurez l'humilité d'admettre après le synode que l'Eglise vous a entendu mais ne vous approuve pas .

    @ véro : l'Eglise n'oblige personne à accepter encore moins à suivre son magistère .Si vous n'avez plus de leçon à recevoir de l' Église du Christ de son magistère [...] que notre sauveur, après sa résurrection, remit à Pierre pour qu'il en soit le pasteur ( Jn 21,17), qu'il lui confia, à lui et aux autres apôtres, pour la répandre et la diriger (Mt 28,18ss.) alors pourquoi écrivez vous à votre évêque ?

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  5. @ "unknown" : j'écris à mon évêque parce que je suis aussi membre que lui de l'Eglise corps du Christ. J'écris à mon évêque car je crois qu'il est bon qu'il y ait des pasteurs. J'écris à mon évêque car je ne suis pas désespérée de l'Eglise. Votre réponse est très révélatrice : que je parte n'a aucune espèce d'importance (et ce n'est pas pour ma petite personne que j'estime que si, c'est important, de chercher à comprendre pourquoi des gens quittent l'Eglise).
    Le magistère de l'Eglise n'est pas le magistère du clergé, ni des seuls évêques, ni même des seuls théologiens. De plus, il ne s'exerce pas de la même manière, ni avec la même autorité, en matière dogmatique ou en matière morale ou disciplinaire.
    A propos du questionnaire pour le synode des familles, il ne comprend aucune question "ouverte", cad des questions qui ne poseraient pas "la règle" comme première et ne s'interrogent pas sur la manière dont elle est reçue. Pour entendre, il faut savoir écouter ; demander aux fidèles comment ils "font famille" aurait été plus ouvert et aurait laissé apparaître une possible discussion et réflexion commune.
    Enfin, que les évêques ne soient pas d'accord avec moi est une chose (que je trouve dommageable, certes, non pas parce que c'est "moi", mais parce que je pense la position de l'Eglise erronnée - et non, l'infaillibilité ne concerne pas cette question) ; qu'ils continuent à dire que les opinions comme celles de Meneldil, ou la mienne, ou celle de tant d'autres, n'existent pas, en est une autre. Soit ils sont sourds et aveugles, soit ils mentent. (je mets le pluriel, considérant qu'en tant que président de la CEF, mgr Pontier s'exprimait pour tous). Je préfère croire en leur surdité. Qu'ils me disent que je me trompe, soit ! Mais qu'ils ne me disent pas que je n'existe pas au sein de l'Eglise - ou qu'ils m'excommunient clairement, au moins.

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  6. Je vous invite à lire l'interview de Mgr Michel Dubost publiée sur mon Blog :
    http://www.chautard.info/article-les-homosexuels-sont-les-bienvenus-dans-l-eglise-interview-de-mgr-michel-dubost-119604669.html

    Elle permet en tous cas le dialogue et refuse amalgames et intolérance !
    Bien fraternellement
    Denis Chautard, Prêtre de la Mission de France

    www.chautard.info

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