mercredi 5 mars 2014

Le dictateur et le champignon


Il y a des dictateurs qui sont de vrais dangers publics. Regardez Castro, il était sans doute très dangereux pour son peuple. Encore que… son régime, plein d’indéniables inconvénients, n’était pas dénué de quelques avantages compensatoires. Mais il y a pire : voyez Poutine, ou Ahmadinejad ! Il est vrai que ce ne sont pas d’authentiques dictateurs, des qui assument, mais seulement des gens qui se sont portés au pouvoir lors d’élections un peu douteuses.

Cela dit, le monde est plein de chefs d’État ou de gouvernement, démocratiquement élus, qui ne sont pas plus sages. Ainsi, Tony Abbott, conservateur premier ministre australien, demande très officiellement le retrait du label « Patrimoine mondial de l’UNESCO » à plus de 70 000 hectares de forêt en Tasmanie. Pour se faire élire, il a également promis de supprimer la taxe carbone, votée par le précédent gouvernement travailliste. Et pour montrer qu’il ne plaisantait pas, il a donné, en décembre dernier, son feu vert à l’extension d’un port d’exportation du charbon (du charbon, en plus…) qui menace la barrière de corail. Le personnage est campé.

D’Abbott ou de Castro, qui est le plus fou ? Qui est le plus dangereux ? Détruire les océans, favoriser le réchauffement climatique, abattre des forêts, tout cela a des conséquences pour l’humanité tout entière. Quand il saccage la Tasmanie, c’est très triste pour la Tasmanie, mais cela va beaucoup plus loin, et c’est l’avenir des petits Français, des petits Japonais, des petits Ougandais que M. Abbott met en danger.

Les exemples similaires, bien sûr, sont légions. Il y en a en fait à peu près autant que de gouvernements élus, tant il est vrai que ceux à qui nous avons confié la charge du monde n’ont aucune vision au-delà du prochain renouvellement électoral, et ne sauraient donc se préoccuper réellement d’écologie.

La conclusion est très simple : c’est que le processus démocratique n’est pas forcément le meilleur moyen de mettre au pouvoir les gens les plus compétents. C’est certainement le cas par temps calme ; mais dans la grave crise que nous traversons, et tout particulièrement dans la crise écologique, qui impose des décisions de très long terme, forcément impopulaires, la démocratie n’est pas une solution, c’est un problème.

Je n’appelle évidemment pas à la dictature, moins encore au totalitarisme. Mais c’est une illusion totale que de croire que nous serions enfermés dans une alternative binaire entre d’un côté la démocratie et ses bienfaits, et de l’autre une abominable dictature. Il y a une infinité de régimes politiques possibles, dont la plupart n’ont jamais été expérimentés. On peut très bien concevoir, comme le fait Tol Ardor, un régime autoritaire mais constitutionnel et protecteur des droits de l’homme, en plus de ceux de la nature.

Combien faudra-t-il de gouvernements démocratiquement élus,  et pourtant criminels – je pèse le mot – par leur non-respect de notre planète, pour que s’en aperçoivent ceux qui ont conscience de l’enjeu environnemental ?

9 commentaires:

  1. Loved reading this. Your views and interpretations are always fascinating for me. Thank you for sharing your thoughts.

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  2. L'erreur serait d'identifier le régime sous lequel nous vivons à une "démocratie", alors qu'il s'agit en réalité d'une oligarchie ou d'une ploutocratie. Un des pilier de l'oppression des peuples, c'est le retournement du langage : l'application de termes aux réalités auxquelles ces termes sont censés s'opposer ("libération" pour l'arrivée de Napoléon en Italie, "changement" pour la politique de Hollande, "TVA sociale" pour la hausse de la TVA, "Europe qui protège" pour l'Europe néo-libérale). L'identification d'un régime dans lequel on élit un chef tous les cinq ans et dans lequel le peuple n'a strictement aucun pouvoir si ce n'est par le biais de ses prétendus "représentants" à une démocratie est un de ces pièges. La démocratie est un de ces "régimes politiques possibles, dont la plupart n'ont jamais été expérimentés", comme tu dis.

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    1. Bien sûr ! Vous avez entièrement raison. Mais (et c'est là que, je pense, nous ne serons plus d'accord) mon hypothèse, c'est que la démocratie ne peut qu'être une ploutocratie. Je pense que la démocratie ne peut absolument pas éviter cette dérive vers un pouvoir oligarchique des plus riches (pour un ensemble de raisons, dont le fait que les plus riches sont nécessairement avantagés pour convaincre le peuple et donc prendre et conserver le pouvoir).

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    2. (tu parles à ton petit frère, héhé, désolé, c'était plus marrant)
      C'est peut-être que tu n'arrives pas à imaginer d'autre mécanisme politique que celui que tu crois constitutif de la démocratie (et qui ne l'est pas, ou qui ne suffit pas à lui seul à fonder la démocratie) : l'élection (en tout cas, dans cet article, tu sembles passer directement de l'un à l'autre). Or dans l'élection, en effet, le riche est toujours avantagé (pour tout un tas de raison, et les médias sont un gros morceau de ce tas). Il faut donc refonder notre régime en trouvant un mécanisme qui ôte structurellement tout avantage aux riches : pour l'instant, je n'en vois qu'un, c'est le tirage au sort. Le tirage au sort comporte évidemment de nombreux inconvénients (à commencer par son apparente absence de rationalité : il ne parait pas rationnel de s'en remettre au hasard ; je dis "apparente" toutefois car d'un point de vue statistique, l'irrationalité n'est peut-être pas réelle), ce pourquoi la réflexion politique, me semble-t-il, doit se polariser sur la question des aménagements nécessaires du tirage au sort dans un système politique.
      Plus j'y réfléchis, et plus il me semble que la clef réside dans le retournement d'une idée commune, probablement très ancrée dans la conscience collective parce que très intuitive (et sans aucune doute très ancienne, puisqu'elle est le fondement de la politique platonicienne) : l'idée, que tu reprends toi-même à ton compte ici, de "mettre au pouvoir les gens les plus compétents". J'adresserai trois critiques à cette idée.

      1) Une critique de l'application même de la notion de compétence à la politique. Qui dit compétence dit détention de ce qui est nécessaire à la réalisation d'une fin. Mais la politique ne consiste-t-elle pas aussi à choisir les fins qu'on veut ?

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    3. 2) Bien sûr, sur tout un tas de sujets, les fins sont déterminées, et il s'agit bien de trouver les moyens qui permettent objectivement de parvenir à ces fins. C'est là qu'on cherchera à trouver des gens "compétents". Pour les sujets techniques (comment ou où construire un barrage, etc.), il faut évidemment consulter les gens qui détiennent un savoir technique. Mais dans bien des cas, les problèmes politiques sont beaucoup plus subtils. Pour ces problèmes-là, comment arriver à faire en sorte que ceux qui prennent les décisions soient compétents ? Là, on peut attaquer à la fois les partisans de l'élection et les partisans d'un régime autoritaire : les élus n'ont pas le temps de travailler sérieusement, et ils ne travaillent pas pour l'intérêt général ; d'un autre côté, concentrer le pouvoir décisionnel dans un tout petit nombre d'individus n'est certainement pas le meilleur moyen pour parvenir à une décision rationnelle. Plus j'y réfléchis, là encore, plus j'ai l'impression qu'aucune instance n'est plus compétente qu'une assemblée tirée au sort et qui est mandatée et étroitement surveillée : étant tirée au sort, elle ne peut travailler à la réélection d'aucun camp. Etant surveillée (dans un système idéal, bien plus étroitement que ne le sont les élus actuellement, qui ne le sont pour ainsi dire pas du tout), elle travaille à l'intérêt général, et pas à des intérêts particuliers, sans quoi elle doit rendre des comptes (et on voit là un autre avantage du tirage au sort : l'institution de l'amateurisme en politique ne peut aller sans celle d'une méfiance de principe à l'égard des tirés au sort ; mais cette méfiance est salutaire, car elle légitime le principe de "rédition des comptes"). Etant plurielle, elle laisse la place au débat, par lequel seul on peut s'approcher de la vérité (ce qui fonde une autre critique contre tout pouvoir autoritaire). Ce qui revient à dire, au fond, que les ingrédients combinés de l'honnêteté, du débat argumenté et de l'absence d'intérêt particulier suffisent dans bien des cas à la "compétence politique".

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    4. 3) En admettant même que le mieux serait de mettre les plus compétents, "les meilleurs", au pouvoir. En admettant même que l'aristocratie soit idéalement le meilleur régime possible (ce que je conteste, en raison du premier point : la politique consiste à se choisir ses propres fins, or personne d'autre que soi-même n'est légitime pour choisir ses fins ; et ce, au fond, parce que la politique, pas uniquement bien sûr mais à la racine, est affaire de volonté et non de raison). Même si l'aristoctratie était le meilleur régime, dis-je : il est facile de mettre les meilleurs aux commandes en paroles. Dans les faits, comment faire ?

      (Désolé enfin pour ce pavé. Ces petits encadrés ne se prêtent pas vraiment à une telle discussion. J'ose espérer que tout le monde pourra en profiter, ce pourquoi je ne te l'ai pas envoyé par mail. Si j'ai mal fait, dis-le moi.)

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    5. Non non, tu as très bien fait. Sur le tirage au sort, je me suis fendu d'un nouveau billet rien que pour toi, donc je te laisse le découvrir. Fondamentalement, je crois que ce n'est pas applicable, et qu'on ne trouvera pas de système qui puisse en annuler les inconvénients évidents. Mais cherche, si ça se trouve, tu finiras par me convaincre (je suis sérieux).

      Sur le fond, je crois qu'en effet on touche à ce qui oppose nos deux positions : je crois, moi, qu'au fond, à la racine, la politique est affaire de raison et pas de choix. Si les hommes choisissent, même majoritairement, même unanimement, de rétablir l'esclavage, de massacrer les roux, ou, pour prendre un exemple plus réel, de détruire la planète ou de préserver les inégalités, ils se trompent, et il font quelque chose qu'ils n'ont pas le droit de faire.

      La question de savoir comment mettre les gens compétents au pouvoir est une très bonne question ; Tol Ardor a publié des pages et des pages pour y répondre. ;-)

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  3. J'ajoute cette citation de Sieyès : « Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. » (Discours du 7 septembre 1789, intitulé préciséement : « Dire de l'abbé Sieyes, sur la question du veto royal : à la séance du 7 septembre 1789 » cf. pages 15, 19...)

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