mardi 11 février 2014

Militants de la cause animale de tous les pays, unissez-vous !

« Les arbres et les herbes et toutes les choses qui poussent
ou qui vivent sur la terre n’appartiennent qu’à elles-mêmes. »

J.R.R. Tolkien, Le Seigneur des Anneaux,
Livre I, Chapitre 7 : « Dans la maison de Tom Bombadil »


C’est assez rare pour être signalé : ces dernières semaines, les animaux ont un peu fait la une de l’actualité. Aucun événement majeur, aucune révolution, mais une succession de petits faits révélateurs d’évolutions et, bien sûr, de blocages.

À New York, on vient de démanteler un vaste réseau de combats de coqs. C’est une bonne nouvelle ; la mauvaise, c’est que ces combats sont toujours populaires : les policiers ont récupéré des centaines de coqs entassés dans des cages à Brooklyn, et plus de 3000 animaux dans un élevage du nord de l’État de New York. Les spectateurs paient 40$ pour assister à un combat, certains parient jusqu’à 10 000$ sur son issue.

En France, Farid Ghilas a été condamné à un an de prison ferme pour avoir torturé un chaton et posté sur Facebook la vidéo de son exploit. Là encore, bonne nouvelle – les actes de cruauté envers certains animaux sont de moins en moins tolérés par la justice – et mauvaise nouvelle – des gens sont encore capables de faire souffrir un animal par pur sadisme, et de le montrer au public, comme si c’était absolument normal, voire drôle. Même la bonne nouvelle doit être nuancée, d’abord parce que cette condamnation risque de rester un cas isolé (d’autant qu’elle peut encore être adoucie en appel), et surtout parce que ce que la justice condamne, c’est l’acte de barbarie envers un animal domestique ou apprivoisé – les autres, vous pouvez toujours leur faire à peu près ce que vous voulez, et en droit français, les animaux sont toujours considérés comme des biens.

Ces deux épiphénomènes ne sont qu’une miette de glace sur l’immense iceberg de la souffrance que nos sociétés imposent aux animaux. Cette montagne de tortures commence peu à peu à sortir du brouillard où l’avaient noyée les industriels qui l’ont mise en place et en vivent. Le grand public découvre, petit à petit, à quel point elle est sanglante. Des films comme Blackfish ou Océans dénoncent, pour le premier, les conditions de vie des épaulards en captivité, et pour le second, le traitement réservé aux requins pêchés pour leurs ailerons – la scène dans laquelle on voit un requin encore vivant couler à pic après qu’on lui a coupé son aileron est proprement insoutenable. Sur YouTube, on ne compte plus les films qui montrent, souvent crûment, les conditions de vie des animaux élevés à des fins alimentaires.

Les industries qui profitent de cette barbarie résistent, bien sûr. En juillet dernier, deux élevages de poules pondeuses en batterie ont fait condamner l’association L214 pour avoir filmé clandestinement, puis diffusé, des vidéos qui prouvaient qu’ils ne respectaient même pas la législation en vigueur, pourtant très insuffisante. Ce type de poursuites n’est pas rare, et leur but est très clair : empêcher que le public se rende compte, de visu, de l’horreur de l’élevage industriel et intensif.

C’est une évidence : les gens qui gagnent des millions sur la souffrance animale, tout comme ceux qui en ont fait leur loisir, vont se battre jusqu’au bout pour que les gens en sachent le moins possible et pour que les législations ne changent pas. Mais même le grand public peine parfois à percevoir l’importance de ce combat : ainsi, le président du tribunal pour enfants de Bobigny, Jean-Pierre Rosenczveig, s’étonne dans un billet de son blog que des intellectuels français n’aient, je cite, « rien d’autre à se mettre sous la dent » que la protection des animaux, et les accuse, en menant ce combat, d’être « au ras du sol » (sic !). D’où la nécessité impérieuse pour les défenseurs de la cause animale de contre-attaquer, et d’être efficaces dans la contre-attaque.

Je l’ai dit plusieurs fois, ici ou ailleurs : je ne suis pas végétarien, et je considère que toutes les espèces vivantes, y compris l’homme, ont le droit de tuer dans certains cas, et l’alimentation fait partie de ces cas. Véritablement biocentriste, et non pas « animalo-centriste », je ne considère pas que la vie des animaux vaille davantage que la vie des plantes, et je ne trouve donc pas l’argument éthique convaincant pour cesser de les tuer pour leur viande, leur cuir etc.

Pour autant, il est clair que nous devons absolument évoluer sur deux points. Le premier est quantitatif : il y a urgence à diminuer notre consommation de viande, tout simplement parce qu’élever des animaux est écologiquement bien plus coûteux que de faire pousser des végétaux.

Le second, de loin le plus important, est d’ordre qualitatif : je ne considère pas que tuer des animaux soit forcément immoral, en revanche, les faire souffrir inutilement l’est à l’évidence. Les conditions d’élevage, de transport et d’abattage actuelles ne sont pas « cruelles » : elles sont abominables, monstrueuses, épouvantables, innommables, glaçantes d’horreur. En fait, il m’est impossible de trouver les mots justes pour les décrire, tant elles dépassent les réalités que le langage transmet ordinairement. Le problème n’est pas dans le fait d’élever ou de tuer des animaux ; le problème, c’est de les élever et de les tuer de manière industrielle, donc dans un unique souci de rentabilité et d’efficacité, sans prendre en considération qu’il s’agit d’être vivants, conscients, sensibles et ayant des droits.

Comme Tol Ardor le dénonce depuis le début, c’est l’industrie et la technique sur laquelle elle repose qui est à la base du mal : la même industrie et la même technique qui, par ailleurs, détruisent les écosystèmes naturels, réchauffent la planète et donc condamnent à mort les animaux incapables de s’adapter ; les conditions d’élevage et de mise à mort des animaux destinés à l’alimentation d’une part, la destruction des écosystèmes et donc des animaux sauvages d’autre part, ne sont que deux aspects du même problème.

Face à cela, que faire ? D’abord, s’unir. Les défenseurs des animaux (associations et individus) sont faibles d’abord de leurs divisions, qui entraînent manque d’efficacité, de visibilité médiatique et de crédibilité. Les industriels du secteur agro-alimentaire, les chasseurs, les défenseurs du foie gras et de la corrida sont beaucoup plus unis que nous ; tant qu’il en sera ainsi, ils seront les plus fort.

L’obstacle à cette union, c’est que les militants de la cause animale ont souvent le plus grand mal à surmonter leurs divisions. Elles sont nombreuses, et lourdes, et il ne sert à rien de les nier ou de les minimiser. La plus importante et douloureuse sépare ceux qui sont végétariens, végétaliens ou vegans de ceux qui ne le sont pas. Les premiers ont souvent le plus grand mal à laisser aux « carnivores », aux « viandards », aux « mangeurs de cadavres » une place à leurs côtés. Presque toujours renvoyés à une incohérence mal démontrée ou à leur prétendu égoïsme, ils sont, au mieux, acceptés comme supplétifs, pour faire nombre, et tenus de se taire. Rares sont ceux qui acceptent de tendre la main, de laisser un espace de parole, bref qui tolèrent vraiment la différence. La seconde fracture (qui ne recoupe pas la première) sépare (grosso modo) les biocentristes, ou au moins les « animalo-centristes », de ceux qui considèrent que les animaux n’ont aucune valeur morale intrinsèque, mais qu’il ne faut pas les torturer car cette torture dégrade l’homme et la société qui la pratiquent.

Ces fractures ne sont plus de simples désaccords. Entre militants de la cause animale, elles ont donné lieu à des attaques souvent très violentes, à des rancœurs nombreuses, à de véritables haines parfois. Mais je continue à croire qu’il est possible de les dépasser, et que les défenseurs des animaux sauront prendre conscience de l’urgence de s’unir et donc, nécessairement, d’accepter entre eux certaines différences.

Comment ? L’idéal, bien sûr, serait de parvenir à mettre en œuvre une grande confédération des associations de protection des animaux, ouverte également aux simples particuliers. Cette confédération serait assise sur une charte la plus consensuelle possible, ce qui lui permettrait de réunir largement, en laissant à chaque partenaire sa pleine indépendance, et en traitant chacun à égalité. Mais ça a déjà été tenté, et pour l’instant, ça ne marche pas. Le Réseau Animavie, que Tol Ardor a rejoint (et nous continuerons à les soutenir), était un bel essai, qui a malheureusement explosé en plein envol justement sur cette question du végétarisme. La Fédération Française de Protection Animale ne semble pas non plus avoir beaucoup de succès.

En attendant cette confédération, pour laquelle nous continuerons à nous battre, sans doute est-il réaliste de se réunir, dans un premier temps, autour d’objectifs plus concrets, plus immédiatement et plus facilement réalisables. Une priorité devrait être de changer le droit français, afin que les animaux – tous les animaux – soient mieux protégés et qu’ils cessent d’être considérés comme des objets. Ainsi, Tol Ardor propose une Déclaration des Droits des Êtres Vivants (largement appuyée sur la Déclaration des Droits de l’Animal de 1978) que nous pensons consensuelle et largement acceptable.

Dans une optique légèrement différente, Jean-Pierre Marguénaud, professeur de droit à l’université de Limoges, a publié dans le dernier numéro de la Revue Semestrielle du Droit Animalier (p. 179) une proposition de réforme du statut de l’animal ; cette proposition est officiellement soutenue par seize associations, dont Tol Ardor. C’est évidemment insuffisant. Il est donc essentiel de diffuser ces textes et de les faire connaître le plus largement possible. Envoyez-les à vos carnets d’adresses, aux représentants des associations que vous connaissez, à vos représentants politiques, aux élus, partagez-les sur les réseaux sociaux. Ils représentent une opportunité précieuse pour les défenseurs de la cause animale de se réunir au-delà de leurs divergences et de leurs clivages, sur des propositions concrètes et ne nécessitant pas une lourde structure.

La formule peut sembler pompeuse ou usée, mais elle est plus jamais d’actualité : militants de la cause animale de tous les pays, unissez-vous !

2 commentaires:

  1. d'accord pour l'essentiel : l'important est le but, et tout se fera progressivement. la société n'est pas pure pour revoir d'un coup sa position face à l'animal, il ne faut pas être utopiste. Cependant, un détail, on peut tiquer sur le terme employé "non à la souffrance inutile". Il n'y a aucune souffrance "utile" (si on pense à l'expérimentation animale), et là dessus on peut être cohérent et refuser de l'accepter et d'en accepter les produits. Concernant le mode alimentaire qui divise tant les militants, c'est effectivement une grave erreur de chercher à exclure ou à montrer du doigt ceux qui ne sont pas (encore) vegan. Cela relève certes de la conviction d'être dans la "pureté" (mais l'est-on vraiment réellement ?), mais cela donne un sentiment d'intolérance envers des frères de combat. Car on pourrait aussi montrer du doigt les vegan qui ne militent pas, les VG qui le sont pour leur petite santé avant tout, et franchement, je préfère un omni qui s'investit à de multiples niveaux pour défendre la cause animale qu'un vegan qui en fait beaucoup moins.

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  2. Very interesting...Thank you for sharing your views!

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