Vers le début de la grande aventure humaine qu’est ce blog,
j’avais déjà écrit un billet dans lequel je me demandais si la justice française
ne fonctionnait pas un peu à deux vitesses, condamnant plus facilement (et plus
durement) le citoyen lambda que le policier qui cherche à rejeter sa propre faute
sur un innocent ou que l’homme politique détournant des millions d’euros
publics au profit de son parti.
Une nouvelle affaire vient souligner que, décidément, je n’avais
pas tort de répondre par l’affirmative : il s’agit de la manière dont le
Conseil Supérieur de la Magistrature a choisi de ne pas sanctionner le
procureur Philippe Courroye (qui portait mieux son nom du temps de Sarko, mais
passons).
Petit rappel des faits : Philippe Courroye, alors
procureur de Nanterre et chargé de l’affaire Bettencourt, avait illégalement
réclamé les fadettes de deux journalistes du Monde afin de découvrir leurs sources. Que ce qu’a fait Philippe
Courroye était illégal, personne ne le conteste : sa procédure a été annulée
par la Cour d’appel de Bordeaux le 5 mai 2012, décision confirmée par la Cour
de cassation le 6 décembre suivant.
Lesdits journalistes avaient donc porté plainte contre lui.
Mais la plainte n’avait pas abouti, suite à un cafouillage de calendrier déjà
bien critiquable : « à la date de la mise en mouvement de l’action
publique, aucune décision définitive n’avait encore constaté le caractère
illégal des réquisitions du parquet de Nanterre ». Pour ma part, j’avoue
ne pas bien comprendre pourquoi, une fois que l’illégalité des actions du
procureur avait bien été établie, il n’était plus (ou toujours pas) possible de
le mettre en examen, mais bon, c’est comme ça : il avait violé la loi,
tout le monde le savait et le reconnaissait, mais il ne pouvait pas être mis en
examen. Déjà, ça agace, non ? S’il n’avait pas été procureur, est-ce que
ça se serait passé de la même manière ?
Mais il restait une possibilité : parallèlement à cette
procédure judiciaire mort-née, Philippe Courroye devait faire face à une enquête
disciplinaire. À défaut d’une condamnation en justice, on pouvait encore
espérer une sanction disciplinaire de la part du Conseil supérieur de la
magistrature. C’eût été mieux que rien. Ça semblait bien parti : le rapport de Christian Raysséguier, rapporteur de l’affaire devant le CSM, dresse
un réquisitoire sévère à son encontre. Le CSM lui-même reconnaît et les faits,
et leur caractère illégal.
Philippe Courroye va donc être sanctionné, vous dites-vous ?
Eh bien non. Ah non ? Non. Parce que voyez-vous, selon le CSM, si Philippe
Courroye a bien violé la loi, on ne peut pas être certain qu’il savait qu’il la
violait. Ah. Je croyais que nul n’était censé ignorer la loi. Ah, c’est vrai ?
Alors le simple citoyen ne peut pas se prévaloir de sa méconnaissance de la loi
pour ne pas la respecter, mais le chef du troisième parquet de France, lui il
peut ? Aïe ! Ça fait mal à l’ouvrier. Et c’est surtout très étonnant,
et très inquiétant.
Vous trouvez ça suspect ? Ben oui, forcément. Quelques infos
complémentaires : Philippe Courroye, très proche des chefs de l’UMP (Sarko
lui donne du « mon cher Philippe » et il ne se gêne pas pour dîner
avec Chirac alors même qu’il a la charge d’un dossier dans lequel ce dernier
est mis en examen), a été jugé par le CSM, dont une beaucoup de membres ont été
nommés… par l’UMP quand il était au pouvoir.
Voilà, c’est tout. Ça en dit long, je trouve, sur l’état de
déliquescence de notre système judiciaire. Je n’ai pas d’idée bien précise de
la manière dont il faudrait réformer le CSM (je n’y ai pas autant réfléchi qu’au
statut des avocats et des magistrats du parquet), mais ce qui est clair, c’est
qu’il faut le réformer.
Et comme je me suis beaucoup appuyé sur un billet du blog Libertés surveillées, et que même si je
suis content de diffuser l’info, j’aime bien ajouter mon petit grain de sel, je
vous propose un petit sonnet inspiré de Péguy :
Comme il avait géré le
parquet de Nanterre
Et que les grands aimaient
son humble servitude,
On mit sous sa barrette
et son inquiétude
Le flicage incessant
des journaux délétères.
Et comme il
surveillait les pauvres vacataires
Qui rédigeaient leurs
piges en toute quiétude,
Il surveille aujourd’hui,
payé d’ingratitude,
Ce qu’il peut
surveiller d’un œil totalitaire.
Et quand le soir
viendra de la décrépitude,
Quand Copé entrera, la
démarche légère,
Au centre des pouvoirs
et des béatitudes,
Lui réalisera son vœu sécuritaire,
Saisissant, la main
ferme, et avec promptitude,
L’hôtel de Bourvallais
et tout son ministère.
Bravo !
RépondreSupprimerLa plainte pénale n'a pas encore abouti, elle est toujours à l'instruction et on ne désespère pas :-)
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