« Les arbres et les herbes et toutes les choses qui poussent
ou qui vivent sur la terre n’appartiennent qu’à elles-mêmes. »
J.R.R. Tolkien, Le Seigneur des Anneaux,
Livre I, Chapitre 7 : « Dans la maison de Tom Bombadil »
C’est assez rare pour être signalé : ces dernières
semaines, les animaux ont un peu fait la une de l’actualité. Aucun événement
majeur, aucune révolution, mais une succession de petits faits révélateurs d’évolutions
et, bien sûr, de blocages.
À New York, on vient de démanteler un vaste réseau de
combats de coqs. C’est une bonne nouvelle ; la mauvaise, c’est que ces
combats sont toujours populaires : les policiers ont récupéré des
centaines de coqs entassés dans des cages à Brooklyn, et plus de 3000 animaux dans
un élevage du nord de l’État de New York. Les spectateurs paient 40$ pour
assister à un combat, certains parient jusqu’à 10 000$ sur son issue.
En France, Farid Ghilas a été condamné à un an de prison
ferme pour avoir torturé un chaton et posté sur Facebook la vidéo de son
exploit. Là encore, bonne nouvelle – les actes de cruauté envers certains
animaux sont de moins en moins tolérés par la justice – et mauvaise nouvelle –
des gens sont encore capables de faire souffrir un animal par pur sadisme, et
de le montrer au public, comme si c’était absolument normal, voire drôle. Même la
bonne nouvelle doit être nuancée, d’abord parce que cette condamnation risque de
rester un cas isolé (d’autant qu’elle peut encore être adoucie en appel), et
surtout parce que ce que la justice condamne, c’est l’acte de barbarie envers
un animal domestique ou apprivoisé –
les autres, vous pouvez toujours leur faire à peu près ce que vous voulez, et
en droit français, les animaux sont toujours considérés comme des biens.
Ces deux épiphénomènes ne sont qu’une miette de glace sur l’immense
iceberg de la souffrance que nos sociétés imposent aux animaux. Cette montagne
de tortures commence peu à peu à sortir du brouillard où l’avaient noyée les
industriels qui l’ont mise en place et en vivent. Le grand public découvre,
petit à petit, à quel point elle est sanglante. Des films comme Blackfish ou Océans dénoncent, pour le premier, les conditions de vie des
épaulards en captivité, et pour le second, le traitement réservé aux requins
pêchés pour leurs ailerons – la scène dans laquelle on voit un requin encore
vivant couler à pic après qu’on lui a coupé son aileron est proprement insoutenable.
Sur YouTube, on ne compte plus les films qui montrent, souvent crûment, les
conditions de vie des animaux élevés à des fins alimentaires.
Les industries qui profitent de cette barbarie résistent,
bien sûr. En juillet dernier, deux élevages de poules pondeuses en batterie ont fait condamner l’association L214 pour avoir filmé clandestinement, puis
diffusé, des vidéos qui prouvaient qu’ils ne respectaient même pas la
législation en vigueur, pourtant très insuffisante. Ce type de poursuites n’est
pas rare, et leur but est très clair : empêcher que le public se rende
compte, de visu, de l’horreur de l’élevage
industriel et intensif.
C’est une évidence : les gens qui gagnent des millions
sur la souffrance animale, tout comme ceux qui en ont fait leur loisir, vont se
battre jusqu’au bout pour que les gens en sachent le moins possible et pour que
les législations ne changent pas. Mais même le grand public peine parfois à percevoir l’importance de ce combat : ainsi, le président du tribunal pour enfants de Bobigny, Jean-Pierre Rosenczveig, s’étonne dans un billet de son blog que des intellectuels français n’aient, je cite, « rien d’autre à se mettre sous la dent » que la protection des animaux, et les accuse, en menant ce combat, d’être « au ras du sol » (sic !). D’où la nécessité impérieuse pour les défenseurs
de la cause animale de contre-attaquer, et d’être efficaces dans la
contre-attaque.
Je l’ai dit plusieurs fois, ici ou ailleurs : je ne
suis pas végétarien, et je considère que toutes les espèces vivantes, y compris
l’homme, ont le droit de tuer dans certains cas, et l’alimentation fait partie
de ces cas. Véritablement biocentriste, et non pas « animalo-centriste »,
je ne considère pas que la vie des animaux vaille davantage que la vie des
plantes, et je ne trouve donc pas l’argument éthique convaincant pour cesser de
les tuer pour leur viande, leur cuir etc.
Pour autant, il est clair que
nous devons absolument évoluer sur deux points. Le premier est quantitatif :
il y a urgence à diminuer notre consommation de viande, tout simplement parce
qu’élever des animaux est écologiquement bien plus coûteux que de faire pousser
des végétaux.
Le second, de loin le plus important,
est d’ordre qualitatif : je ne considère pas que tuer des animaux soit
forcément immoral, en revanche, les faire souffrir inutilement l’est à l’évidence.
Les conditions d’élevage, de transport et d’abattage actuelles ne sont pas « cruelles » :
elles sont abominables, monstrueuses, épouvantables, innommables, glaçantes d’horreur.
En fait, il m’est impossible de trouver les mots justes pour les décrire, tant
elles dépassent les réalités que le langage transmet ordinairement. Le problème
n’est pas dans le fait d’élever ou de tuer des animaux ; le problème, c’est
de les élever et de les tuer de manière industrielle, donc dans un unique souci
de rentabilité et d’efficacité, sans prendre en considération qu’il s’agit d’être
vivants, conscients, sensibles et ayant des droits.
Comme Tol Ardor le dénonce
depuis le début, c’est l’industrie et la technique sur laquelle elle repose qui
est à la base du mal : la même industrie et la même technique qui, par
ailleurs, détruisent les écosystèmes naturels, réchauffent la planète et donc condamnent
à mort les animaux incapables de s’adapter ; les conditions d’élevage et
de mise à mort des animaux destinés à l’alimentation d’une part, la destruction
des écosystèmes et donc des animaux sauvages d’autre part, ne sont que deux aspects du même problème.
Face à cela, que faire ?
D’abord, s’unir. Les défenseurs des animaux (associations et individus) sont
faibles d’abord de leurs divisions, qui entraînent manque d’efficacité, de
visibilité médiatique et de crédibilité. Les industriels du secteur
agro-alimentaire, les chasseurs, les défenseurs du foie gras et de la corrida
sont beaucoup plus unis que nous ; tant qu’il en sera ainsi, ils seront
les plus fort.
L’obstacle à cette union, c’est
que les militants de la cause animale ont souvent le plus grand mal à surmonter
leurs divisions. Elles sont nombreuses, et lourdes, et il ne sert à rien de les
nier ou de les minimiser. La plus importante et douloureuse sépare ceux qui
sont végétariens, végétaliens ou vegans de ceux qui ne le sont pas. Les
premiers ont souvent le plus grand mal à laisser aux « carnivores »,
aux « viandards », aux « mangeurs de cadavres » une place à
leurs côtés. Presque toujours renvoyés à une incohérence mal démontrée ou à
leur prétendu égoïsme, ils sont, au mieux, acceptés comme supplétifs, pour
faire nombre, et tenus de se taire. Rares sont ceux qui acceptent de tendre la
main, de laisser un espace de parole, bref qui tolèrent vraiment la différence.
La seconde fracture (qui ne recoupe pas la première) sépare (grosso modo) les
biocentristes, ou au moins les « animalo-centristes », de ceux qui
considèrent que les animaux n’ont aucune valeur morale intrinsèque, mais qu’il
ne faut pas les torturer car cette torture dégrade l’homme et la société qui la
pratiquent.
Ces fractures ne sont plus de
simples désaccords. Entre militants de la cause animale, elles ont donné lieu à
des attaques souvent très violentes, à des rancœurs nombreuses, à de véritables
haines parfois. Mais je continue à croire qu’il est possible de les dépasser,
et que les défenseurs des animaux sauront prendre conscience de l’urgence de s’unir
et donc, nécessairement, d’accepter entre eux certaines différences.
Comment ? L’idéal, bien
sûr, serait de parvenir à mettre en œuvre une grande confédération des
associations de protection des animaux, ouverte également aux simples
particuliers. Cette confédération serait assise sur une charte la plus
consensuelle possible, ce qui lui permettrait de réunir largement, en laissant
à chaque partenaire sa pleine indépendance, et en traitant chacun à égalité. Mais
ça a déjà été tenté, et pour l’instant, ça ne marche pas. Le Réseau Animavie,
que Tol Ardor a rejoint (et nous continuerons à les soutenir), était un bel
essai, qui a malheureusement explosé en plein envol justement sur cette
question du végétarisme. La Fédération Française de Protection Animale ne
semble pas non plus avoir beaucoup de succès.
En attendant cette
confédération, pour laquelle nous continuerons à nous battre, sans doute est-il
réaliste de se réunir, dans un premier temps, autour d’objectifs plus concrets,
plus immédiatement et plus facilement réalisables. Une priorité devrait être de
changer le droit français, afin que les animaux – tous les animaux – soient
mieux protégés et qu’ils cessent d’être considérés comme des objets. Ainsi, Tol
Ardor propose une Déclaration des Droits des Êtres Vivants (largement appuyée
sur la Déclaration des Droits de l’Animal de 1978) que nous pensons
consensuelle et largement acceptable.
Dans une optique légèrement différente,
Jean-Pierre Marguénaud, professeur de droit à l’université de Limoges, a publié
dans le dernier numéro de la Revue Semestrielle du Droit Animalier (p. 179) une
proposition de réforme du statut de l’animal ; cette proposition est
officiellement soutenue par seize associations, dont Tol Ardor. C’est
évidemment insuffisant. Il est donc essentiel de diffuser ces textes et de les
faire connaître le plus largement possible. Envoyez-les à vos carnets d’adresses,
aux représentants des associations que vous connaissez, à vos représentants politiques,
aux élus, partagez-les sur les réseaux sociaux. Ils représentent une
opportunité précieuse pour les défenseurs de la cause animale de se réunir au-delà
de leurs divergences et de leurs clivages, sur des propositions concrètes et ne
nécessitant pas une lourde structure.
La formule peut sembler
pompeuse ou usée, mais elle est plus jamais d’actualité : militants de la
cause animale de tous les pays, unissez-vous !
d'accord pour l'essentiel : l'important est le but, et tout se fera progressivement. la société n'est pas pure pour revoir d'un coup sa position face à l'animal, il ne faut pas être utopiste. Cependant, un détail, on peut tiquer sur le terme employé "non à la souffrance inutile". Il n'y a aucune souffrance "utile" (si on pense à l'expérimentation animale), et là dessus on peut être cohérent et refuser de l'accepter et d'en accepter les produits. Concernant le mode alimentaire qui divise tant les militants, c'est effectivement une grave erreur de chercher à exclure ou à montrer du doigt ceux qui ne sont pas (encore) vegan. Cela relève certes de la conviction d'être dans la "pureté" (mais l'est-on vraiment réellement ?), mais cela donne un sentiment d'intolérance envers des frères de combat. Car on pourrait aussi montrer du doigt les vegan qui ne militent pas, les VG qui le sont pour leur petite santé avant tout, et franchement, je préfère un omni qui s'investit à de multiples niveaux pour défendre la cause animale qu'un vegan qui en fait beaucoup moins.
RépondreSupprimerVery interesting...Thank you for sharing your views!
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