Lors du débat sur le mariage pour tous (Ah ah ! piégés !
vous croyiez naïvement que j’allais vous parler d’islam, et vlan ! une
couche de mariage pour tous), j’ai appris une leçon qui peut sembler évidente,
mais qui n’est pas si aisée à mettre en pratique : dans un débat, il ne
faut pas seulement veiller à ne pas insulter l’autre ; il faut aussi
veiller à ce qu’il ne se sente pas insulté. Et c’est bien plus difficile.
Je le reconnais volontiers : bien souvent, une
discussion sur la loi Taubira commencée sur un ton badin se terminait en lutte
à couteaux tirés, façon « ils en ont parlé ! », et l’envie de
balancer de vraies insultes n’était pas loin, pour moi comme pour mes
adversaires (mais oui, vous pouvez bien le dire, je le sais, allez), tant l’incompréhension
mutuelle était grande. Je crois bien que j’ai tenu bon et que, quand ce que j’avais
en tête dépassait vraiment les bornes, ça ne passait pas mes lèvres.
En revanche, à mon grand regret, certaines des personnes avec
qui j’ai parlé de cela se sont senties insultées. En cause, un terme : « homophobie ».
Ça, je l’avoue, je l’ai dit, et à de nombreuses reprises. Je l’ai dit, parce
que je le pensais d’abord (et pour beaucoup de cas, je le pense toujours), mais
surtout parce que pour moi, ce n’était pas une insulte, c’était une manière objective
de qualifier la pensée de mon contradicteur. Pour moi, quelqu’un qui voit dans l’homosexualité
une pratique moralement condamnable, ou tout simplement inférieure à l’hétérosexualité,
est homophobe, même s’il n’a qu’amour et compassion pour les personnes homosexuelles.
Évidemment, il est moins homophobe
que celui qui rêve de casser du pédé ; mais il est homophobe quand même.
Je suis fondamentalement quelqu’un de tolérant avec les
idées des autres (mais si, mais si) ; pour moi, les opinions, même celles
qui sont « politiquement incorrectes », voire violentes, dangereuses
ou même abjectes, sont l’objet d’une liberté totale. Peut-être un peu parce que
mes opinions sont elles-mêmes considérées comme abjectes par beaucoup… Bref, dire
de mes contradicteurs qu’ils étaient homophobes, c’était pour moi une manière
de les catégoriser, peut-être aussi de leur faire assumer certaines choses,
mais certainement pas de les dévaloriser, ni surtout de les insulter.
Et pourtant, ils se sentaient insultés, ce qui ajoutait à l’incompréhension
réciproque et contribuait à embrouiller les choses. D’un côté : « Déjà
qu’il est pour le mariage pour tous, en plus il m’insulte ! » ;
de l’autre : « Déjà qu’il est contre le mariage pour tous, en plus il
refuse d’assumer l’évidence ! » Forcément, on était coincés.
J’ai mieux compris ce qu’ils pouvaient ressentir quand j’ai
finalement fait le lien avec l’accusation d’islamophobie qu’on me lance de temps
à autres. Précisons tout de suite deux choses :
1. Que l’islamophobie existe en Occident, et particulièrement
en France, j’en suis parfaitement conscient et convaincu, tout comme je suis
absolument convaincu de la gravité, de l’importance du phénomène, et des
souffrances qu’il engendre.
2. Je ne me reconnais pas comme islamophobe moi-même. D’abord
parce que je n’ai rien contre l’islam en général. Je ne fais pas l’amalgame
entre islam, islamisme et terrorisme. En tant que chrétien, je considère la
diversité religieuse comme un bien qui fait partie de l’ordre naturel des choses,
voulu par Dieu et permettant aux hommes de mieux appréhender Sa richesse et la
diversité des chemins qui mènent vers Lui. Je ne souhaite donc absolument pas
la conversion du monde musulman au christianisme. Si je reconnais que les textes
fondateurs de l’islam, le Coran et les hadiths en particulier, sont souvent violents
et contiennent des passages inacceptables, je sais que c’est aussi le cas de la
Bible, y compris du Nouveau Testament, et surtout je sais qu’il est ridicule de
prétendre comprendre des croyants à partir de leurs textes fondateurs (si les
choses étaient si simples, les chrétiens seraient tous des anges de douceur, de
non-violence, de charité et d’attention aux pauvres et aux faibles, ce qui est
loin d’être le cas). Bref, si avec tout cela je suis islamophobe, je ne sais
pas ce que signifie le suffixe « -phobe ».
Cela étant, on me fait régulièrement des procès en
islamophobie. En soi, je m’en moque ; je n’ai aucune susceptibilité en la
matière. Cela étant, je reconnais que cette accusation m’agace.
Pourquoi ? Pas parce que je me sens insulté (ça, je m’en
moque), mais parce que je sens (à tort ou à raison) chez ceux qui l’utilisent
contre moi une volonté de fermer les débats, ou de les détourner sur un terrain
qui leur serait plus favorable. De fait, c’est souvent lorsque mes
contradicteurs n’ont plus d’arguments à opposer aux miens que l’accusation d’islamophobie,
d’ethnocentrisme, voire de manichéisme, déboule sur le tapis.
Or, ce n’est pas comme ça qu’un débat avance. Il est vrai
que je m’oppose à certaines pratiques religieuses ou culturelles de la majorité
des musulmans aujourd’hui (notez mes pincettes). Ou à certaines revendications
de certains musulmans installés en Occident (re-pincettes). Oui, je voudrais qu’on
interdît la circoncision sur les mineurs, l’abattage rituel sans étourdissement
préalable, les piscines et salles de sport non mixtes (même sur certains
créneaux horaires seulement). Et sans aller jusqu’à l’interdiction, j’aimerais
que certaines pratiques ou idées récurrentes dans la religion musulmane
disparaissent (les inégalités hommes-femmes, la condamnation de l’homosexualité
etc.). Ces critiques ne se limitent d’ailleurs pas à l’islam ; je les
adresse tout autant à ma propre religion, qui sur bien des points n’est guère
plus avancée.
Pourtant, je comprends que mes opinions sur le sujet
agacent. Je comprends qu’auprès de certains, elles fassent de moi un
islamophobe. Mais j’ai envie de dire : « tant pis » ; et
surtout, je crois qu’il faut éviter de le dire. Tout comme j’ai renoncé à dire
aux gens qu’ils étaient homophobes, même quand je le pensais. Parce qu’au fond,
ce n’est que très rarement le sujet, et que toute vérité n’est pas forcément
bonne à dire.
Quand on se demande s’il est bon, s’il est légitime ou non
de réserver les piscines ou les salles de sport aux femmes sur certains
créneaux horaires, dire de quelqu’un qu’il est islamophobe ne fera rien avancer
du tout. L’accusation crispera les uns et les autres. On va perdre du temps à
palabrer pour savoir si oui ou non on est islamophobe, ce qui impliquera de
palabrer pour définir l’islamophobie, et on a une (mal)chance sur deux de finir
par palabrer pour souligner les souffrances des immigrés, voire pour (re)faire
tout un historique de la colonisation et de la domination occidentale sur le
monde. Et pendant ce temps, la question de la mixité dans les piscines n’avance
pas.
Bref, parlons d’islamophobie et d’homophobie, mais
parlons-en à propos, quand c’est vraiment le sujet. Quand on parle des grandes évolutions
des représentations dans la société française, ou des rapports de domination,
ou des transformations du racisme, ou quand on dénonce des violences de plus en
plus nombreuses, il est légitime d’en parler. Pour des débats beaucoup plus
techniques et précis, ça ne mène à rien.
Le risque, en fin de compte, est de paralyser tout débat
concret visant à trouver des solutions immédiatement applicables à des problèmes
de société précis, en ramenant systématiquement tout à des généralités. Avec le danger de finir par chercher à rétablir
le délit de blasphème. Ce risque est réel, contrairement à ce que certains
voudraient nous faire croire. Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed affirment ainsi que « quand le Conseil français du culte musulman (CFCM) porte plainte contre la publication des caricatures du Prophète, il cherche plus à faire le lien entre la critique de l’islam et la stigmatisation des musulmans qu’à prôner l’instauration d’un délit de blasphème. » Ils précisent qu’il « est très difficile d’établir ce lien juridiquement », mais ils se trompent : ce n’est pas très difficile, c’est tout bonnement impossible.
Évitons donc de crisper encore un débat déjà dur. D’une part, l’islamophobie est, à terme, réellement menaçante et dangereuse ; d’autre part, même s’il n’y a pas de « problème musulman » en Occident, il y a des pratiques qui posent des problèmes. Lancer l’islamophobie à la figure de ceux qui les soulignent ne les fera pas taire. Au contraire.
Évitons donc de crisper encore un débat déjà dur. D’une part, l’islamophobie est, à terme, réellement menaçante et dangereuse ; d’autre part, même s’il n’y a pas de « problème musulman » en Occident, il y a des pratiques qui posent des problèmes. Lancer l’islamophobie à la figure de ceux qui les soulignent ne les fera pas taire. Au contraire.
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