lundi 14 octobre 2013

En économie, même le Deutéronome est plus sage que nous (c'est dire)


D’après un article du Huffington Post, le FMI propose de taxer l’épargne privée pour solder les dettes nationales. C’est vrai, comment n’y avons-nous pas pensé plus tôt ? On prend un peu à tout le monde. 1%, 5%, 10% de tous les comptes positifs, toute la question, en fait, est de savoir jusqu’où ils oseraient aller.

Évidemment, à ce stade, rien de concret. Ce n’est qu’un ballon d’essai. Mais il est inquiétant à plusieurs titres. D’abord, parce que pour les gens qui ne réfléchissent pas trop, la mesure peut sembler équitable. Le même pourcentage pour tout le monde, n’est-ce pas l’égalité par excellence ? En théorie, si ; mais en pratique, ça ne veut pas dire grand-chose. Liliane Bettencourt peut plus facilement se passer de 5% de sa fortune que bien des gens ne pourraient se passer de 5% de ce qu’ils possèdent.

Autre sujet d’inquiétude : il y a des précédents. L’Italie, par exemple, qui a prélevé en 1992 0,6% de tous les dépôts positifs. Et tout récemment Chypre, qui a pris 47,5% de tous les dépôts de plus de 100 000€. On peut se dire que dans ce dernier cas, au moins, seuls les plus favorisés ont été touchés ; mais finalement, ça représente encore pas mal de monde. Un couple pas spécialement riche qui épargne pour accéder au logement peut les avoir – pas que ce soit mon cas… Je préfère, à tout prendre, la proposition de Mélenchon de tout prendre au-delà de 350 000€.

De toute manière, on sait très bien que quand le pouvoir lance ce genre d’idées, c’est avant tout pour tester les réactions. Et si ça a l’air de passer, on applique. Voilà pourquoi il est capital et urgent de faire entendre nos protestations face à cette idée.

Soyons clairs : d’où vient la dette publique ? À la base, d’un déficit budgétaire – on dépense plus que ce qu’on gagne. En pareil cas, on peut se dire qu’on dépense trop ; c’est ce qu’essaient de nous faire croire les néo-libéraux en tous genres et de manière générale la droite. Mais on peut aussi se dire qu’on ne fait pas rentrer assez d’argent, en particulier parce qu’on ne prend pas assez aux plus riches. C’est ce que j’en pense.

Bref, il y a un déficit. Donc, que fait l’État ? Il emprunte. Bien obligé ! À qui emprunte-t-il ? Fatalement, à ceux qui peuvent prêter, donc à ceux qui ont de l’argent, beaucoup d’argent. Les banques, les grosses entreprises, les fonds d’investissements, les fonds de pensions… Et l’État (donc nous) rembourse ensuite cet argent emprunté, plus les intérêts, à ses riches créanciers. Problème : comme notre budget est structurellement en déficit (pour mémoire, le dernier budget à l’équilibre, en France, remonte à 1974), on emprunte année après année. Et comme il faut rembourser les intérêts, on emprunte de plus en plus, donc on paye de plus en plus d’intérêt, donc… vous avez compris la logique.

On résume ? On laisse trop d’argent aux riches → on n’a pas assez d’argent → on doit emprunter aux riches → on doit rembourser des intérêts aux riches. Et maintenant que, pendant 40 ans, on a emprunté et remboursé aux riches pour emprunter et rembourser aux riches, que nous propose le FMI ? De prendre de l’argent à tout le monde pour définitivement rembourser ce qu’on « doit » aux riches.

Là je dis halte ! Halte mes cocos. Prendre aux pauvres pour donner aux riches – car c’est à cela que ça revient –, merci mais non merci.

Et pour qu’on ne m’accuse pas de n’être pas constructif, je propose une solution alternative : effaçons la dette ! Ce n’est pas si compliqué. Tous les dirigeants qui en ont le cran assument que les créanciers des États ne seront pas remboursés. Pour l’année 2013, d’après l’article de Wikipédia consacré au budget de la France, il semblerait que nous ayons un déficit d’environ 62 milliards d’euros. Comme, d’après ce même tableau, le remboursement de la dette pour la même année se monte à 96 milliards environ, supprimer cette charge nous permettrait d’avoir un budget en excédent (!!!) d’environ 34 milliards d’euros. Qu’on prenne un peu plus aux riches pour gonfler encore l’enveloppe, et on s’aperçoit qu’on aura largement de quoi faire mieux vivre le pays.

Cette idée de l’effacement de la dette, je ne suis évidemment pas le seul à l’avoir eue. Elle traîne ici ou là. C’est évidemment l’anti-proposition du FMI : là où l’institution de Washington propose de prendre à tous pour donner aux riches, je propose de prendre aux riches – et encore ! plutôt de ne pas leur rendre – pour donner à tous.

Et la morale, dans tout cela ? J’entends d’ici la cohorte des pères-la-vertu disant doctement « qu’il faut toujours payer ses dettes ». Ben non, banane. D’abord, on n’est pas des Lannister. Ensuite, cette idée qu’il faut toujours payer ses dettes est évidemment une idée de gens riches, qui peuvent le faire, et surtout qui ont intérêt à ce que les autres le fassent, puisque ce sont eux qui prêtent. Enfin, si on y réfléchit bien, on n’a pas de dette ! On ne doit rien aux riches, puisque le déficit de l’État, et donc la dette qui en résulte, n’est rien d’autre que l’argent qu’on ne leur a pas pris, alors qu’on aurait dû le faire, quand l’État a commencé à avoir des problèmes financiers.

Pour conclure, je rappellerais que la Bible est de mon côté. Le Deutéronome dit beaucoup de conneries ; mais enfin, en matière d’économie, ses rédacteurs avaient dû se douter qu’on ne pouvait pas fonctionner avec un système dans lequel les dettes s’accumulent à l’infini, mettant une pression toujours plus forte sur les plus pauvres. Son quinzième chapitre commence ainsi : « Au bout de sept ans, tu feras la remise des dettes. Et voici ce qu’est cette remise : tout homme qui a fait un prêt à son prochain fera remise de ses droits : il n’exercera pas de contrainte sur son prochain ou son frère […]. »

Et dans leur sagesse – ou leur connaissance des riches – les auteurs précisent, mettent en garde contre leur fourberie naturelle : « S’il y a chez toi un pauvre, l’un de tes frères, […] tu n’endurciras pas ton cœur et tu ne fermeras pas ta main à ton frère pauvre, mais tu lui ouvriras ta main toute grande et tu lui consentiras tous les prêts sur gage dont il pourrait avoir besoin. Garde-toi bien d’avoir dans ton cœur une pensée déraisonnable en te disant : “C’est bientôt la septième année, celle de la remise”, et en regardant durement ton frère pauvre, sans rien lui donner. Car alors, il appellerait le Seigneur contre toi, et ce serait un péché pour toi. »

Plus loin, le Deutéronome interdit même aux Juifs de prêter avec intérêt à leurs coreligionnaires. L’Église catholique interdisait d’ailleurs le prêt à intérêt à ses fidèles jusqu’au XIXe siècle, interdiction qui avait été intégrée au droit laïc sous Charlemagne. Mais même sans aller jusque-là (car Tol Ardor est encore loin), la remise des dettes tous les sept ans serait un bon début.

Vous imaginez la gueule des banquiers ? Ah, désolé, je vous ai payé des intérêts pendant sept ans, je ne vous dois plus rien. Gloups. Bon, ça ne se fera pas, hein. Comme je l’expliquais dans un de mes derniers billets, la politique est faite aujourd’hui par et pour les riches, et ils ne se laisseront pas faire sans combattre. Mais n’est-il pas écrit que l’Église est bâtie sur Pierre et que les portes de l’Enfer ne prévaudront point contre elle ?

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