D’après un article du Huffington
Post, le FMI propose de taxer l’épargne privée pour solder les dettes
nationales. C’est vrai, comment n’y avons-nous pas pensé plus tôt ? On
prend un peu à tout le monde. 1%, 5%, 10% de tous les comptes positifs, toute
la question, en fait, est de savoir jusqu’où ils oseraient aller.
Évidemment, à ce stade, rien de concret. Ce n’est qu’un
ballon d’essai. Mais il est inquiétant à plusieurs titres. D’abord, parce que
pour les gens qui ne réfléchissent pas trop, la mesure peut sembler équitable. Le
même pourcentage pour tout le monde, n’est-ce pas l’égalité par excellence ?
En théorie, si ; mais en pratique, ça ne veut pas dire grand-chose.
Liliane Bettencourt peut plus facilement se passer de 5% de sa fortune que bien
des gens ne pourraient se passer de 5% de ce qu’ils possèdent.
Autre sujet d’inquiétude : il y a des précédents. L’Italie,
par exemple, qui a prélevé en 1992 0,6% de tous les dépôts positifs. Et tout
récemment Chypre, qui a pris 47,5% de tous les dépôts de plus de 100 000€.
On peut se dire que dans ce dernier cas, au moins, seuls les plus favorisés ont
été touchés ; mais finalement, ça représente encore pas mal de monde. Un
couple pas spécialement riche qui épargne pour accéder au logement peut les
avoir – pas que ce soit mon cas… Je préfère, à tout prendre, la proposition de
Mélenchon de tout prendre au-delà de 350 000€.
De toute manière, on sait très bien que quand le pouvoir
lance ce genre d’idées, c’est avant tout pour tester les réactions. Et si ça a
l’air de passer, on applique. Voilà pourquoi il est capital et urgent de faire
entendre nos protestations face à cette idée.
Soyons clairs : d’où vient la dette publique ? À la
base, d’un déficit budgétaire – on dépense plus que ce qu’on gagne. En pareil
cas, on peut se dire qu’on dépense trop ; c’est ce qu’essaient de nous
faire croire les néo-libéraux en tous genres et de manière générale la droite.
Mais on peut aussi se dire qu’on ne fait pas rentrer assez d’argent, en
particulier parce qu’on ne prend pas assez aux plus riches. C’est ce que j’en
pense.
Bref, il y a un déficit. Donc, que fait l’État ? Il
emprunte. Bien obligé ! À qui emprunte-t-il ? Fatalement, à ceux qui
peuvent prêter, donc à ceux qui ont de l’argent, beaucoup d’argent. Les
banques, les grosses entreprises, les fonds d’investissements, les fonds de
pensions… Et l’État (donc nous) rembourse ensuite cet argent emprunté, plus les
intérêts, à ses riches créanciers. Problème : comme notre budget est
structurellement en déficit (pour mémoire, le dernier budget à l’équilibre, en France,
remonte à 1974), on emprunte année après année. Et comme il faut rembourser les
intérêts, on emprunte de plus en plus, donc on paye de plus en plus d’intérêt,
donc… vous avez compris la logique.
On résume ? On laisse trop d’argent aux riches → on n’a
pas assez d’argent → on doit emprunter aux riches → on doit rembourser des intérêts
aux riches. Et maintenant que, pendant 40 ans, on a emprunté et remboursé aux
riches pour emprunter et rembourser aux riches, que nous propose le FMI ?
De prendre de l’argent à tout le monde pour définitivement rembourser ce qu’on « doit »
aux riches.
Là je dis halte ! Halte mes cocos. Prendre aux pauvres
pour donner aux riches – car c’est à cela que ça revient –, merci mais non
merci.
Et pour qu’on ne m’accuse pas de n’être pas constructif, je
propose une solution alternative : effaçons la dette ! Ce n’est pas
si compliqué. Tous les dirigeants qui en ont le cran assument que les
créanciers des États ne seront pas remboursés. Pour l’année 2013, d’après l’article de Wikipédia consacré au budget de la France, il semblerait que nous ayons un
déficit d’environ 62 milliards d’euros. Comme, d’après ce même tableau, le
remboursement de la dette pour la même année se monte à 96 milliards environ,
supprimer cette charge nous permettrait d’avoir un budget en excédent (!!!) d’environ
34 milliards d’euros. Qu’on prenne un peu plus aux riches pour gonfler
encore l’enveloppe, et on s’aperçoit qu’on aura largement de quoi faire mieux
vivre le pays.
Cette idée de l’effacement de la dette, je ne suis évidemment
pas le seul à l’avoir eue. Elle traîne ici ou là. C’est évidemment l’anti-proposition
du FMI : là où l’institution de Washington propose de prendre à tous pour
donner aux riches, je propose de prendre aux riches – et encore ! plutôt de
ne pas leur rendre – pour donner à tous.
Et la morale, dans tout cela ? J’entends d’ici la
cohorte des pères-la-vertu disant doctement « qu’il faut toujours payer
ses dettes ». Ben non, banane. D’abord, on n’est pas des Lannister.
Ensuite, cette idée qu’il faut toujours payer ses dettes est évidemment une
idée de gens riches, qui peuvent le faire, et surtout qui ont intérêt à ce que
les autres le fassent, puisque ce sont eux qui prêtent. Enfin, si on y
réfléchit bien, on n’a pas de dette ! On ne doit rien aux riches, puisque
le déficit de l’État, et donc la dette qui en résulte, n’est rien d’autre que l’argent
qu’on ne leur a pas pris, alors qu’on aurait dû le faire, quand l’État a
commencé à avoir des problèmes financiers.
Pour conclure, je rappellerais que la Bible est de mon côté.
Le Deutéronome dit beaucoup de conneries ; mais enfin, en matière d’économie,
ses rédacteurs avaient dû se douter qu’on ne pouvait pas fonctionner avec un système
dans lequel les dettes s’accumulent à l’infini, mettant une pression toujours plus
forte sur les plus pauvres. Son quinzième chapitre commence ainsi : « Au
bout de sept ans, tu feras la remise des dettes. Et voici ce qu’est cette
remise : tout homme qui a fait un prêt à son prochain fera remise de ses
droits : il n’exercera pas de contrainte sur son prochain ou son frère […]. »
Et dans leur sagesse – ou leur connaissance des riches – les
auteurs précisent, mettent en garde contre leur fourberie naturelle : « S’il
y a chez toi un pauvre, l’un de tes frères, […] tu n’endurciras pas ton cœur et
tu ne fermeras pas ta main à ton frère pauvre, mais tu lui ouvriras ta main
toute grande et tu lui consentiras tous les prêts sur gage dont il pourrait
avoir besoin. Garde-toi bien d’avoir dans ton cœur une pensée déraisonnable en
te disant : “C’est bientôt la septième année, celle de la remise”, et en
regardant durement ton frère pauvre, sans rien lui donner. Car alors, il
appellerait le Seigneur contre toi, et ce serait un péché pour toi. »
Plus loin, le Deutéronome interdit même aux Juifs de prêter
avec intérêt à leurs coreligionnaires. L’Église catholique interdisait d’ailleurs
le prêt à intérêt à ses fidèles jusqu’au XIXe siècle, interdiction
qui avait été intégrée au droit laïc sous Charlemagne. Mais même sans aller jusque-là
(car Tol Ardor est encore loin), la remise des dettes tous les sept ans serait
un bon début.
Vous imaginez la gueule des banquiers ? Ah,
désolé, je vous ai payé des intérêts pendant sept ans, je ne vous dois plus
rien. Gloups. Bon, ça ne se fera pas, hein. Comme je l’expliquais dans un de mes derniers billets, la politique est faite aujourd’hui par et pour les
riches, et ils ne se laisseront pas faire sans combattre. Mais n’est-il pas
écrit que l’Église est bâtie sur Pierre et que les portes de l’Enfer ne
prévaudront point contre elle ?
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