Je rentre chez moi, et ma femme me l’annonce : « Habemus papam ». Je crie. Qui ?
« Berga…, quelque chose comme ça. » Mes yeux s’arrondissent. Bergoglio ?
C’est ça, elle me fait. Je n’en crois pas mes oreilles. C’était évidemment « mon
candidat » en 2005. Maintenant c’est mon pape. J’en plane encore, tellement
personne ne l’avait vu venir. Le dicton qui donne son titre à ce billet se
confirme une nouvelle fois. Tout le monde le disait vieilli, on pensait qu’il
avait passé sa chance. Bergoglio. C’est sans doute un des moins mauvais choix
possibles, et c’est une excellente nouvelle pour l’Église. Et pour le moment,
ça semble plutôt bien commencer. Rapide analyse à chaud.
Ce qui est notable, ce qui peut faire de ce moment un
tournant historique (même si on ne pourra évidemment le dire avec certitude que
dans 10 ou 20 ans), c’est que cette élection se place sous le signe de la nouveauté.
Or, Dieu sait si l’Église, en ce temps de crise noire, a un besoin infini de
renouvellement.
Première nouveauté, il faut le rappeler, c’est la première
fois depuis 600 ans qu’un pape est élu du vivant de son prédécesseur. Benoît
XVI, cela a été dit et redit, a, par sa renonciation, contribué à changer la
vision que les catholiques auront de la papauté à l’avenir : moins qu’une
vocation sacrée et intouchable, elle a des chances de redevenir ce qu’elle n’aurait
jamais dû cesser d’être, à savoir une fonction parmi d’autres au sein de l’Église,
même si elle reste évidemment la plus importante.
Deuxième nouveauté : si l’on
excepte la période antique et le début du Moyen-âge, c’est la première fois que le catholicisme
se donne un pape non Européen. Plus encore : Jorge Bergoglio vient d’un
pays émergent, l’Argentine, donc d’un pays de ce qu’on appelle encore le « tiers-monde »,
d’un pays où la pauvreté reste bien plus présente qu’en Occident. C’est assez
normal, car le centre de gravité du monde catholique s’est déplacé du Nord au
Sud depuis assez longtemps déjà ; les cardinaux n’ont fait qu’avaliser
cette évolution. Mais qu’ils aient été prêts à le faire, alors même que les
Européens restaient majoritaires au conclave, est un signe d’un certain désir
de renouveau de leur part. C’est assez rare et précieux pour être noté.
Troisième nouveauté : c’est la première fois qu’un
jésuite accède au pontificat suprême. Or, cela aussi, c’est une bonne nouvelle.
Les Jésuites souffrent d’une assez mauvaise réputation auprès de beaucoup de
non chrétiens (c’est la faute à Voltaire…), mais cette réputation est largement
imméritée. En fait, on pourrait presque dire que les Jésuites ont toujours été plus
ou moins à l’avant-garde des évolutions de l’Église. À une époque, ça voulait
dire être impliqué dans la Contre-Réforme, et ce n’était pas forcément brillant ;
mais par la suite, les Jésuites, ou au moins des Jésuites, ont été très engagés dans la préparation et le
déroulement de Vatican II, puis dans le développement de la théologie de la libération
en Amérique latine, entre autres (et même si, depuis les années 2000 au moins,
les autorités romaines ont beaucoup fait pour faire rentrer la Compagnie dans le
rang).
Quatrième nouveauté : le nom. Déjà, qu’un pape prenne
un nom qui n’avait jamais été usité auparavant est rare. Le dernier à avoir
fait ce geste est Jean-Paul Ier, en 1978 ; mais il n’avait fait
qu’accoler les noms de ses deux prédécesseurs, Jean XXIII et Paul VI, et n’avait
régné que quelques semaines. Pour retrouver un nom véritablement original, il
faut remonter au pape Landon, qui a régné six mois entre 913 et 914. Autant
dire que le choix de « François » est un signe fort.
Mais surtout, pour un nouveau nom, quel nom ! Bien sûr,
l’Église vénère plus d’un saint François, et il est possible que le cardinal
Bergoglio ait songé à saint François Xavier, missionnaire et l’un des
cofondateurs de la Compagnie de Jésus, justement ; ou encore à saint
François de Sales, docteur de l’Église connu pour sa vie simple (il avait
renoncé à tous ses titres de noblesse) et son attention aux pauvres (il est le
fondateur, avec Jeanne de Chantal, de l’Ordre de la Visitation), deux points
qui le rapprochent d’un archevêque qui utilisait les transports en commun,
préparait lui-même ses repas et était réputé proche des habitants des
bidonvilles de Buenos Aires.
Cela étant, le premier saint François, chronologiquement, et
aussi le plus connu et le plus populaire, est évidemment saint François d’Assise.
Or, que représente-t-il ? La proximité avec les pauvres, d’abord :
saint François avait abandonné une prometteuse carrière dans le négoce pour
vivre comme eux et parmi eux. L’attention à la nature, ensuite : saint
François guérissait les animaux, parlait aux oiseaux et est l’auteur du célèbre
Cantique des créatures qui remercie Dieu pour « notre mère la terre ».
Le dialogue inter-religieux enfin : saint François, c’est celui qui est
allé rendre visite au sultan, un geste évidemment très fort à l’époque, et qui
a parlé avec lui ; c’est d’ailleurs à ce titre que les rencontres inter-religieuses
initiées par Jean-Paul II ont eu lieu pour la première fois à Assise.
Bref : répartition des richesses, écologie, dialogue
inter-religieux ; François semble avoir bien saisi les grands enjeux de
notre temps. Ce qui est confirmé par une large partie de son action comme archevêque
de Buenos Aires et ses critiques à l’encontre du néo-libéralisme et la
corruption.
Cinquième nouveauté, enfin : le premier discours.
François se désigne lui-même, et exclusivement, comme évêque de Rome, jamais comme
pape. De la même manière, son prédécesseur est qualifié « d’évêque émérite
de Rome ». C’est de bon augure : on penche vers une conception moins
autoritaire, moins centralisatrice de la papauté. On pourrait presque dire que
cette manière de présenter les choses ramène le pape à ce qu’il n’aurait jamais
dû cesser d’être : un primus inter
pares, un primat d’honneur, pas un monarque absolu prétendant régner sur un
milliard de personnes.
Cela dit, les catholiques réformateurs, dont je suis, ne doivent
évidemment pas trop pavoiser.
D’abord parce que, si le cardinal Bergoglio n’est
certainement pas réactionnaire ou traditionaliste, il ne s’est encore jamais non
plus présenté comme un franc progressiste. Bien sûr, le trône de saint Pierre
peut lui faire révéler une face cachée, et si le cardinal Roncalli avait
annoncé Vatican II, il n’aurait peut-être pas été élu sous le nom de Jean
XXIII. Mais en attendant, comme archevêque de Buenos Aires, et malgré toutes
ses autres qualités, le cardinal Bergoglio a lutté contre l’autorisation du
mariage pour les couples homosexuels, contre l’euthanasie, contre l’avortement
quel qu’en soit le motif, et s’est prononcé contre le mariage des prêtres, le contrôle
des naissances ou, évidemment, la prêtrise des femmes. Il y a donc peu de
chances qu’il soit celui qui engagera l’Église sur le chemin d’un véritable
renouveau.
Ensuite parce que, quand bien même le pape François s’éloignerait
des positions du cardinal Bergoglio pour tenter de pousser les réformes
audacieuses dont l’Église a tant besoin, il n’est pas dit qu’il y parvienne.
Nous pourrions bien nous retrouver avec un scénario à la Mitterrand ou à la
Obama, dans lequel l’immense espoir suscité par la promesse d’un changement
viendrait se fracasser contre la force incommensurable de l’inertie des
structures établies ou tout simplement des circonstances. Car l’Église est un
très gros paquebot, et il ne suffit pas de le vouloir pour lui faire prendre un
virage sérieux.
Néanmoins, ne crions pas avant d’avoir mal, et surtout
réjouissons-nous d’avoir évité le pire. Il est au fond probable que les espoirs
que nous pourrions nourrir seront déçus, mais nous pourrons toujours nous
réjouir du peu qui sera accompli dans le bon sens (une réforme du
fonctionnement de l’Église, voire seulement du Vatican et de la Curie, serait
déjà une bonne chose), et surtout nous devons dès maintenant nous réjouir de ce
que nos pires craintes ne se réaliseront pas, ou pas tout de suite. De la même manière
qu’à ceux qui se désolent de l’inaction de François Hollande, je réponds qu’un
second mandat de Sarkozy aurait été bien pire, il faut ici se souvenir que
Scola, Ranjith ou Erdö étaient dans les favoris.
Voilà. Il nous reste donc à prier, prier intensément pour
lui. Pour qu’il fasse le plus possible, pour qu’il aille le plus loin possible dans
la direction où il faut aller, et où il semble déjà bien engagé.
J’ai encore une ou deux choses à vous dire quant à cette
élection, mais ça attendra bien demain.
En écho à ma critique de la "fatwa du vatican", il y avait, non-exprimée, l'idée de la généalogie des normes morales.
RépondreSupprimerDans un cadre occidental, où un "progrès" indéterminé (si le mariage gay existe, c'est parce que nous sommes fondamentalement et ontologiquement des "êtres contractants" égaux) est la clé de voûte des positions morales, laissant la place à l'amoralisme destructeur du capitalisme (ah bon, des violences ? Ah bon de la souffrance ? ah bon de la domination ?), avoir un pape qui peut ouvrir sa gueule pour défendre le veuf et l'orpheline, la dominée et l'opprimé, c'est déjà un pas en avant (suivi d'un break dance complexe qui n'est que du sur-place).