Le premier vrai billet de ce blog, il y a plus d’un an, s’amusait
de ce que les Européens s’indignassent de la proposition de Georges Papandréou
d’organiser un référendum pour avaliser (ou pas) le plan de sauvetage de la
Grèce. C’est vrai, les technocrates avaient sauvé le pays, donc l’euro, donc l’Europe,
donc le monde, et ce petit monsieur, grec de surcroît, voulait conditionner
tout cela à l’accord populaire. Il faut dire que son pays était un peu saigné
aux quatre veines au passage. Évidemment, qu’on se rassure, le référendum en
question n’avait pas eu lieu.
Wow, it takes
us back! Souvenez-vous, on dirait un truc d’un autre monde. Mais l’histoire
est comme un cercle immense, comme le chante le général Boum. Là, c’est en Italie
qu’on a eu des élections. Et les gens ont (encore !) mal voté, ce qui est
très vilain.
Déjà, ils ont failli remettre Berlusconi sur le trône.
Aouch. Entrepreneur véreux, proxénète de mineurs, politicien corrompu jusqu’à
la moelle, il a tout pour plaire, vous ne trouvez pas ? Et puis, l’Italie rayonnait
tellement à l’international, quand il en était Président du Conseil. Personne ne
se moquait d’eux, ah ça non.
Ensuite, ils ont donné beaucoup de voix (8,5 millions) à
Beppe Grillo. Qui ça ? Beppe Grillo. Mais si, l’ex-comique italien !
Et comme ça, vlan, l’un dans l’autre, la gauche a la majorité à la Chambre,
mais pas au Sénat, et du coup le pays est plus ou moins ingouvernable. Oui, il
faut dire que leur système est méchamment démocratique : il faut contrôler
les deux chambres, autrement dit représenter un minimum le peuple, pour pouvoir
gouverner, et en plus leur système électoral fait plus de place que le nôtre
aux petites formations (fatale erreur).
Alors pensez donc, on est inquiets. L’Europe va-t-elle
finalement couler ? N’avons-nous échappé au 21 décembre que pour choir même
pas trois mois plus tard ? Alors on tonne, on fulmine. Philippe Ridet,
correspondant du Monde en Italie, nous fait en particulier un beau papier bien
senti de derrière les fagots pour dire aux Italiens, cette fois ça suffit, va
falloir être un peu plus sérieux.
Et plus précisément, qu’écrit-il, ce joyeux Philippe Ridet ?
Déjà, sa présentation des candidats est, comment dire ? Orientée.
« Vous pouviez
miser sur un entrepreneur qui, rien qu’au mois de mars, risque trois
condamnations pour “fraude fiscale”, “prostitution de mineure et abus de pouvoir”,
“violation du secret de l’instruction” (Silvio Berlusconi), sur un ancien
comique (Beppe Grillo) décidé à “faire le ménage dans la classe politique”, sur un économiste renommé (Mario Monti),
ex-commissaire européen, et sur un candidat de gauche (Pier Luigi Bersani)
suffisamment débonnaire et social-démocrate pour plaire à tout le monde. »
Ooh, ils avaient « un économiste renommé,
ex-commissaire européen » et « un social-démocrate », voyez-vous
ça ! Et ils ont préféré le comique ? Oh ça c’est vraiment incroyable.
Et Philippe Ridet de bien souligner son indignation, en disant que « partout
ailleurs, le résultat aurait été couru d’avance », et que « cette
fois, vraiment, [il est] en colère ». À la place des Italiens, je ne
ferais pas le mariole, parce que là, ils ont fâché Philippe Ridet.
Évidemment, ce monsieur connaît quand même les problèmes des
Italiens. Il en parle. La crise, la baisse du pouvoir d’achat, le chômage, l’austérité,
la corruption, les privilèges des élus, la gérontocratie, les retraites
misérables, il comprend que ça fatigue, à la longue. Mais il conclut tout de
même : « mais fallait-il vraiment taper si fort ? »
Mais tu te fous de nous, Philippe ! C’est tout le
contraire ! Moi je me demande plutôt : comment vous pouvez taper
aussi peu ? Attends, mon vieux, ils ont le choix entre le représentant de
commerce du système qui les a foutus dans la merdre (ça, c’est ton « économiste
renommé »), un type qui ne changera rien (ça, c’est ton « social-démocrate
débonnaire »), une enflure et un type qui veut « faire le ménage » ?
Ben quoi, ça donne envie de faire le ménage, non ?
Bref. Encore une fois, il faut que les gens votent, parce
que « démocratie = bien, et pas démocratie = pipi au lit = pas beau ».
Mais il ne faut pas qu’ils votent n’importe comment. Plus précisément, il faut
qu’ils votent bien proprement dans la litière, c’est-à-dire entre la gauche pas
trop dure et la droite pas trop dure. Sinon, pipi au lit = pas beau,
souvenez-vous.
Donc ? Donc c’est la démocratie quand ça nous arrange.
Les riches, les puissants, les oligarques, ça les arrange qu’on vote bien dans
la litière : trop à gauche, ils risqueraient de perdre leurs privilèges,
trop à droite, ils seraient remplacés par d’autres privilégiés (ce qui, de leur
point de vue, est exactement équivalent). Mais ne tapons pas trop sur les
riches. Quand c’est Sarko qui est élu, les gens de gauche sont tout de suite beaucoup
moins démocrates. Ou plutôt, ils le restent à l’extérieur, en vous expliquant
que le résultat est faussé par la démocratie représentative (ah ?) et
parce que le peuple n’est pas encore assez éduqué (ah ?).
Somme toute, pour tout le monde, c’est la « démocratie-mais » :
la démocratie, mais ! si elle vise à instaurer mes idées. Sinon, c’est qu’on
a mal voté. Eeeeh ! C’est pas le contraire de la démocratie, qu’on est en
train de définir là ? Tol Ardor powa !
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