Tout à ma joie de l’élection de François au siège
pontifical, et bien que n’ayant pas la télé, je n’ai pas résisté au plaisir
innocent de voir. La magie d’Internet
aidant, j’ai donc pu assister à l’annonce du nom du pape par le protodiacre, le
cardinal Tauran, puis au premier discours, à la première bénédiction du nouveau
pape François.
Davantage que les formules rituelles, qui plaisent toujours à
mon âme d’amoureux de la pompe (« Annuntio
vobis gaudium magnum : habemus papam ! », la classe), ce
sont les réactions de la foule qui m’ont intéressé. Les hourras du peuple au
fameux « Habemus papam ».
On aurait presque dit qu’ils redoutaient le contraire (c’est vrai qu’on aurait
eu l’air fins : « non habemus
papam », ça ç’eût été une vraie surprise). Mais encore, on peut
comprendre. On a un pape, on est contents. Bon.
Et puis arrive l’annonce du nom de l’élu : Bergolio –
hourras –, puis de son nom de pape, François – re-hourras. Et là, je me demande :
qu’en aurait-il été si le cardinal protodiacre avait annoncé un autre nom, et
un autre nom de pape ? Scola, Ranjith, Scherer, Erdö, Ravasi, ou même
Barbarin, tant qu’on y est ; avec comme noms possibles Paul VII, Pie XIII,
Jean-Paul III, Jean XXIV, Benoît XVII, ou même, soyons fous, Romain II voire
Pierre II. Quelle aurait été la réaction populaire ? La réponse s’impose :
exactement la même. On aurait pu leur annoncer l’élection du pape le plus
réactionnaire, le plus conservateur ou le plus réformateur du conclave, il
aurait pu choisir le nom le plus terne ou le plus novateur, la réaction de la
masse aurait été absolument identique, avec les mêmes bravos, les mêmes hourras,
les mêmes hurlements.
Moi, ça me pose question, parce que je ne cache pas que je n’ai
pas réagi comme ça. J’ai été très inquiet lors de l’élection de Benoît XVI en
2005, même si je voulais lui laisser sa chance, et, cette fois encore, je
savais qui je voulais voir devenir pape et surtout qui je ne voulais pas voir
devenir pape.
Évidemment, on pourrait me dire que je ne suis qu’un mauvais
catholique, et que les fidèles massés place Saint-Pierre avaient simplement
plus de respect que moi pour le dogme de l’Église selon lequel ce ne sont pas
les cardinaux qui choisissent un pape, mais bien l’Esprit Saint qui les inspire
et est l’électeur réel caché dans leurs petits bulletins. Si c’est forcément
Dieu qui choisit le pape, en effet, le pape élu est effectivement le meilleur
possible, et on n’a pas de raison de ne pas être réjoui.
Cette explication est sans doute partiellement juste, et en
effet, l’Histoire me rend plus que sceptique sur l’idée que Dieu ait vraiment choisi
tous les papes qui ont régné. Cependant, je crois que l’hystérie des fidèles
traduit autre chose que leur simple adhésion à la foi professée par l’Église. Quelque
chose de plus profond et de plus inquiétant.
Si l’on analyse l’histoire récente, on s’aperçoit que le
pape est de moins en moins considéré par les catholiques comme un homme, le
détenteur d’une fonction, d’une charge dans l’Église, et de plus en plus comme
une rock-star, une idole, voire un demi-dieu auquel on devrait une vénération
véritablement religieuse, un culte de la personnalité – l’expression est forte,
mais je la pèse.
Si encore cela était limité aux fidèles de la place
Saint-Pierre, on pourrait expliquer leur agitation par l’excitation et l’émotion
du moment. Mais cela va beaucoup plus loin. La grande majorité de mes amis catholiques
semblent parfaitement heureux, comme ils semblaient parfaitement heureux en
2005.
Le journal catholique en ligne ZENIT donne l’illustration
parfaite de cette soumission, pour ne pas dire de cette servilité absolue, au
pape en tant que figure, à la papauté en tant qu’institution, en déclarant le
choix des cardinaux parfait sur toute la ligne : ils ont eu l’audace de
choisir un cardinal du Sud, mais ils n’ont pas élu un cardinal trop « jeune »
(comprenez : il a plus de 75 ans), car deux audaces coup sur coup, ça
aurait fait trop. Bref : il est du Sud, c’est super, il est vieux, c’est
super. Mais là encore, on peut sans risque de se tromper dire que, si le pape
élu avait été un jeune cardinal du Sud, ou un vieil Européen, ou un jeune
Européen, ZENIT aurait été aussi béat d’admiration et de contentement.
Je ne suis pas le seul à remarquer cette évolution. Dans Le Monde, Jean-François Bouthors notait :
« Les hommages
rendus à Benoît XVI, le regard que les fidèles […] portent sur le pape “sortant”
manifestent une forme d’adulation que l’on aurait pu croire réservée au pontife
médiatique qu’était Jean Paul II. Il y a là plus qu’un effet de traîne qui
aurait fait bénéficier le pape allemand, si peu charismatique, de l’aura de son
prédécesseur polonais, véritable homme de scène et de dramaturgie.
Cette focalisation sur la personne du pape est très récente. On ne l’a
pas observée du temps de Pie XII, de Jean XXIII ni de Paul VI. Sans doute s’explique-t-elle
en partie par l’ambiance contemporaine de médiatisation à outrance, mais elle
traduit parallèlement le sentiment de désarroi qui s’est emparé des catholiques
[…]. Dans un monde déroutant, la demande d’un père protecteur ne fait que
croître. Du même coup, cette demande suscite des attentes immodérées à l’égard
du successeur de Benoît XVI, qui se trouve mis en danger de les décevoir. »
Le catholicisme romain a donc évolué vers une situation dans
laquelle les fidèles se moquent complètement des questions de fond (que croire ?
quels rites pratiquer ? quelle morale promouvoir ? comment organiser
l’Église en tant qu’institution ?), dont ils sont d’ailleurs très
largement ignorants, pour ne s’intéresser qu’à une figure humaine, quelle qu’elle
soit, et à laquelle ils se raccrochent comme à une bouée de sauvetage. La
preuve, c’est que sur ces questions de fond, le pape peut dire à peu près ce qu’il
veut, y compris des choses parfaitement incohérentes, la majorité sera toujours
derrière lui.
Il m’est alors venu le parallèle avec les questions politiques.
Parce qu’en général, les catholiques me disent : « eh bien toi qui es
royaliste, tu devrais être content, l’Église est gouvernée de manière
monarchique ! » Mais justement, c’est le monde à l’envers, et c’est
pour cela que l’attitude des catholiques est inquiétante.
Parce que sitôt qu’ils auront quitté la Cité vaticane, ces
dizaines de milliers de personnes redeviendront de fervents démocrates. Ils
auront leurs idées bien arrêtées, ils iront voter pour leurs partis, leurs
candidats, ils défendront leurs programmes, le plus souvent sans être forcément
bien informés des questions sur lesquelles ils se prononcent avec tant de
certitude. Demandez-leur si la politique de rachat de la dette et de baisse des
taux d’intérêt initiée par Mario Draghi à la tête de la Banque centrale
européenne depuis le départ de Jean-Claude Trichet va permettre de relancer la
croissance économique, ou si au contraire les risques inflationnistes qu’elle
contient vont à moyen terme ruiner les efforts entrepris, ils n’en auront, pour
l’immense majorité d’entre eux, pas la moindre idée. Et encore, je prends un
cas extrême, mais bien des gens ne savent tout simplement pas qui est le chef
du gouvernement de leur pays. C’est grave. Et
plus grave encore, beaucoup de gens vous diraient que les pédophiles ne
devraient pas avoir droit à une défense en justice, ou que la torture est
justifiée quand il s’agit de sauver des vies.
Alors que les questions religieuses, au contraire, sont
justement de celles qui demandent le moins de compétence ou de spécialisation.
Pour prétendre réfléchir intelligemment dessus, il faut bien sûr avoir lu et
médité, mais de toute manière, les questions métaphysiques étant au-delà de
toute possibilité de preuve, c’est par essence le domaine dans lequel la
liberté de conscience individuelle devrait s’exprimer à plein. Le christianisme
devrait être uni par quelques dogmes fondamentaux, ceux du Credo des apôtres, et, sur le plan moral, par le double
commandement d’amour donné par le Christ – aime Dieu, aime ton prochain comme
toi-même – ; mais au-delà de ce socle, les fidèles devraient être libres
de croire ce qu’ils veulent. Ils le font d’ailleurs déjà ; l’institution n’a
plus qu’à reconnaître la légitimité de cette primauté de la conscience
individuelle. C’est d’ailleurs toujours Jean-François Bouthors qui remarquait
le décalage entre les attentes des fidèles et la figure de Pierre :
« La figure de
Pierre […] ne correspond en rien à ce dispositif, et ce n’est pas une question
d’époque. Le premier chef de l’Église n’est pas un homme providentiel, mais
tout le contraire. Il ne fait pour ainsi dire rien d’autre que de constater le
mouvement de vie qui le précède dans le monde. Il observe et aide à voir que,
comme dit Jésus de Nazareth, le Royaume de Dieu s’est approché. Pierre n’est
pas celui qui organise ou décrète comment il faut “vivre l’Évangile” – au sens
d’un guide de comportement ou d’une méthode de gouvernance –, mais celui qui
témoigne que la vie est plus forte que la mort, et que cette vérité
fondamentale s’est manifestée en la personne de Jésus de Nazareth, quand bien
même il a été crucifié. Pierre n’a qu’une chose à faire : permettre aux
disciples de Jésus d’en rendre compte, dans un rapport au monde
fondamentalement bienveillant. Telle est la tâche fondamentale du pape et la
foi de l’Église.
Tant que perdurera l’illusion
d’optique qui consiste à attendre du nouveau pape un “miracle” salvateur […], l’Église
catholique sera incapable de retrouver le dynamisme de sa mission. Tout
simplement parce qu’en s’entretenant dans cette perspective elle risque de
passer à côté de la foi qu’elle a la charge de célébrer. »
Les catholiques sont donc royalistes à contretemps, dans
leur Église, en adulant comme un demi-dieu un homme qui ne devrait être qu’un
primat d’honneur, une figure d’unité du christianisme et un arbitre entre les Églises
nationales ; et ils sont démocrates à contretemps, dans la vie politique qui,
particulièrement en ces temps de crise, requiert des compétences que la
majorité des gens n’a pas. Cela nous mène à la double crise : crise dans l’Église,
où une responsabilité inimaginable pèse sur les épaules d’un seul homme alors même
qu’elle devrait être décentralisée et partagée entre les évêques, les prêtres et
les laïcs ; et crise politique, puisque domine sans cesse la même caste d’oligarques
qui, à l’image de ceux qui les ont désignés, n’ont pas la première idée de la
manière dont on peut résoudre nos problèmes.
La religion est pas régie par l'intelligence et la rationalité, mais par la foi (croyance et confiance)...
RépondreSupprimerHeureusement qu'en politique, c'est pas strictement identique !
Même si je te trouve un peu dur avec les catholiques qui ne sont certainement pas plus mouton que les autres (voir de moins en moins, tu en es la preuve vivante), j'aime ton parallèle sur l'irréalité de cette situations où des gens n'assument pas leur monarchie tout en ne vivant pas leur démocratie...
RépondreSupprimerSavez vous qu'à l'exception des autres religieux les jésuites font un 4e voeu qui est le voeu d’obéissance au Pape quelque soit le Pape .Pourtant on est en 1539 sous le pontificat de Paul III qui était loin d'être un saint. Autrement dit l'attachement des catholiques à l’évêque de Rome est à chercher ailleurs .Certes depuis le 19e siècle cet attachement est devenu affectif c'est comme si l’évêque de Rome était devenu le Pape (Papa en grec ). Cet obéissance au Pape qui s'inscrit dans l'alliance de Pierre et le Christ on peut dire que depuis le 19e siècle est devenue une obéissance filiale mais je vous assure que si demain un Pape par exemple venait à autoriser l’ordination des femmes ou nier à la transsubstantiation vous risqueriez d'avoir un vrai schisme . Les catho ne sont donc pas des moutons comme vous le pensez mais c'est vrai qu'ils essaient de vivre l'alliance avec Pierre, en la personne du Saint-Père, dans une obéissance filiale afin de vivre fidèlement et profondément de la tradition vivante de l’Église.
RépondreSupprimerBien sûr qu'il y aurait un schisme si l'ordination des femmes était adoptée : la FSSPX verrait ses rangs grossir de nombreux nouveaux convertis, et d'autres structures apparaîtraient sans doute sur le même schéma.
SupprimerCela dit, je fais quand même le pari que la majorité des catholiques, y compris ceux qui aujourd'hui crient "jamais de femmes prêtres", trouveraient ça pas si mal si le pape le leur disait.