C’est peu de dire que l’annonce par le pape de sa renonciation prochaine m’a pris de court. Quel séisme ! Ah, il a bien fait : on a
toute l’excitation d’avoir bientôt un nouveau pape, sans avoir à afficher le
deuil de l’ancien. Comme souvent, Benoît XVI fait preuve de finesse : il
choisit un retrait digne et courageux, comme le souligne Christine Pedotti, et
nous quitte sur une belle image. En outre, tant qu’il sera en vie, faire
publiquement la critique ou même l’inventaire de son pontificat va être très
difficile.
Non pas que je voie dans son départ un calcul politique. Ce
n’est pas son genre : Benoît XVI, pour le meilleur et pour le pire, n’aura
jamais été un homme politique. À vrai dire, je le plains, car je pense que les
raisons qu’il invoque – l’avancement de l’âge, les forces qui déclinent, la vigueur
du corps et de l’esprit qui n’est plus ce qu’elle était – sont effectivement une
des causes de sa décision.
Une des causes, dis-je, et pas la seule cause. Benoît XVI,
comme tout bon pape doit l’être, s’est forcément senti investi d’une mission
divine, et je ne le vois pas renoncer à cette mission uniquement parce que ses
forces l’abandonnent peu à peu. Ici et là, on peut déjà lire quelques interprétations
divergentes : les scandales qui ont ébranlé le Vatican, les fuites dans la
presse en particulier ; ou encore l’incompréhension croissante entre l’Église
et le monde, par exemple sur les questions de sexualité et de mœurs.
Mais je ne pense pas que cela ait beaucoup joué ; il
faut chercher ailleurs. Depuis son élection en 2005, Benoît XVI s’est
visiblement donné comme objectif principal
l’unité de l’Église, avec comme première mission la résorption du schisme
lefebvriste. À mon sens – et pour cela je le plains plus encore que pour l’affaiblissement
de son corps et de son âme –, s’il quitte la direction du navire, c’est parce
qu’il estime avoir irrémédiablement échoué dans cette mission.
En effet, on ne peut même plus dire que les négociations
entre Rome et Écône (où se situe le siège de la FSSPX à l’origine du schisme)
sont au point mort : leur échec est acté, le désaccord entre l’Église et
les schismatiques est évidemment impossible à surmonter car il est dogmatique
et porte sur des points trop fondamentaux. Quels que soient les mots utilisés,
au nom de la Tradition antérieure de l’Église, les lefebvristes n’admettent pas
la liberté religieuse, l’œcuménisme ou le dialogue inter-religieux ; alors
que l’Église les a faits siens (reniant au passage une partie de la Tradition ;
sur ce point au moins on ne peut que tomber d’accord avec la FSSPX). Les
derniers échanges de part et d’autre vont dans le sens de cet aveu d’échec, de
désaccord théologique insurmontable.
Pour les traditionnalistes, le bilan de Benoît XVI sera, à
cet égard, décevant. Certes, il ne restera pas non plus dans l’Histoire comme
un pape novateur ou moderniste. Du motu
proprio de 2007, libéralisant la messe en latin, à la levée des
excommunications pesant sur les évêques de la FSSPX, en passant par la création
d’un Ordinariat personnel pour accueillir les anglicans choqués par les
évolutions contemporaines de leur Église (prêtres et évêques vivant en couples
homosexuels, femmes prêtres puis évêques, etc.), Benoît XVI aura donné des
gages aux tenant de la Tradition. Mais sur le fond, sur l’essentiel, c’est-à-dire
sur Vatican II, il n’a pas cédé. Il a bien tenté de défendre l’indéfendable « herméneutique
de la continuité », mais acculé dos au mur et sommé de choisir entre le
Concile et la réunification de l’Église, il a choisi le Concile. Et il l’a fait
par conviction, pas par opportunisme : pour preuve, il a été jusqu’à
relancer les rencontres d’Assise entre représentants de toutes les religions du
monde (les ouvrant même à des athées), alors qu’elles avaient été une cause d’aggravation
du schisme traditionnaliste.
Cela étant, pour nous, catholiques réformateurs, aussi, le
bilan est décevant : Benoît XVI ne s’est pas attaqué à ce nous considérons
comme les grands défis que l’Église doit relever aujourd’hui. Il n’y a
évidemment pas de « bloc réformateur » avec un programme uniforme ;
Anne Soupa donnait, dans un récent article du Huffington Post, les quatre
volets d’une réforme « urgente et nécessaire ». Pour ma part, voici
les chantiers que je trouve prioritaires : le renouvellement de la prêtrise,
la fin du célibat obligatoire des prêtres, la possibilité pour les femmes de
devenir prêtres ; l’évolution des positions morales de l’Église, en
particulier sur les questions liées à la sexualité et au mariage, mais aussi sur
la régulation des naissances et bien d’autres ; l’œcuménisme, le dialogue
inter-religieux, et la réorganisation de l’Église qui est leur préalable, avec
une véritable collégialité, l’ouverture des instances décisionnelles aux laïcs
et une autonomie des Églises locales ; enfin la question du rapport de l’Église
à la Vérité, sans laquelle aucune des questions précédentes ne peut être traitée.
Mais la différence, c’est que nous n’attendions pas grand-chose
de Benoît XVI ; lors de son élection, j’ai écrit dans mon journal que je
voulais lui faire confiance a priori
et lui laisser sa chance, mais j’avais peur. Au contraire, les traditionnalistes
attendaient beaucoup de lui : son bilan est très en-deçà de leurs
espérances.
Reste l’avenir. De quoi sera-t-il fait ? Évidemment, personne
n’en sait rien. On peut s’amuser, faire des spéculations, des pronostics,
espérer bien sûr ; mais tout cela est assez futile, même si c’est
gentiment et innocemment futile. Benoît XVI s’est inscrit dans la lignée ultra-majoritaire
de l’Église, celle des conservateurs : partisans ni d’innovations
courageuses, ni d’un retour (non moins courageux, mais à mon avis complètement
hors de propos) à l’Église préconciliaire. Statistiquement, nous avons toutes
les chances d’avoir bientôt un nouveau centriste à la tête de l’Église.
Mais rien n’est certain. Il se peut que le prochain pape, comme
l’imaginait Christine Pedotti dans son roman Vatican 2035, annonce clairement la couleur en prenant soit le nom
de Jean XXIV, soit celui de Pie XIII. Il se peut que, dès son élection, on ait
une petite idée sur le personnage. Mais il se peut aussi que nous soyons
surpris. Après tout, les cardinaux Roncalli et Luciani ne s’étaient pas fait connaître
comme de grands réformateurs avant d’être élus sous les noms de Jean XXIII et
Jean-Paul Ier, sans quoi ils n’auraient peut-être pas été élus du
tout. L’anneau du pêcheur et la férule papale doivent libérer de temps à autres
les volontés inconscientes de ceux qui les portent.
Nous n’avons plus qu’à prier.
Belle analyse, Meneldil, que je partage presque entièrement. Cela ne t'étonnera pas que je diverge sur un des chantiers que tu juges prioritaires "l’évolution des positions morales de l’Église, en particulier sur les questions liées à la sexualité et au mariage". Notre monde (occidental) souffre pour de multiples raisons, mais aussi parce qu'il a perdu le sens de ce qu'est une sexualité responsable.
RépondreSupprimerPhilippe B.
A very good read. As a non-Catholic, I have pondered the decision of the Pope, and his reasoning. Now I think I have a better understanding of his rationale. Thank you for sharing your thoughts.
RépondreSupprimerBonsoir,
RépondreSupprimerJ'ai découvert récemment votre blog, comme d'autres (un des avantages des discussions autour du mariage pour tous ! A ce sujet, ne désespérons pas de l'Eglise : j'ai diffusé en paroisse des textes chrétiens favorables à la loi, et n'ai reçu ni insulte ni anathème, mais plutôt des remerciements, même de gens hostiles à la loi mais heureux de voir dans leur église s'exprimer une autre voix...), et j'y poste avec plaisir. Votre "programmme pontifical" me convient bien... Aviez-vous lu, au moment de l'élection de Benoît XVI, ce texte de l'abbé de Scourmont (mère de la merveilleuse bière de Chimay...) :
http://www.culture-et-foi.com/dossiers/bilan_reves_pontificat/dom_armand_veilleux.htm
Attendons et espérons.
Non, je ne le connaissais pas, mais merci de me l'avoir indiqué, il est très bon ! Bien vrai, et... j'ai aussi beaucoup ri. Si je parlais le langage ampoulé et convenu des hiérarques de l’Église, je dirais qu'il s'agit d'une perle précieuse ! ;-)
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