mercredi 20 février 2013

Les robots ne sont pas des animaux : ne leur donnons aucun droit

Dans un entretien au Monde.fr publié le 14 février dernier, Kate Darling, chercheur en propriété intellectuelle et en politique de l’innovation au Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston propose que nous accordions une protection juridique à certains robots.

Sa réflexion part d’un robot particulier, Pleo, la reproduction robotisée d’un camarasaurus d’une semaine, et commercialisé par l’entreprise américaine Ugobe. Le robot est fourni avec un programme qui peut être changé par les utilisateurs, et il est même conçu pour que son caractère soit différent en fonction de son propriétaire.

Pleo.

Lors d’un atelier organisé début février à Genève, Kate Darling demandait aux participants de maltraiter l’objet jusqu’à ce que « mort » s’ensuive pour sonder ensuite leur ressenti. C’est du malaise qu’elle a éprouvé à cette occasion qu’est venue son idée : donner des droits aux robots.

Plus précisément, il s’agirait de les protéger des « maltraitances » sans aller jusqu’à leur accorder un « droit à la vie ». En d’autres termes, vous auriez le droit d’éteindre votre robot, mais pas de lui faire subir des traitements violents. Et naturellement, tous les robots ne seraient pas concernés : la loi s’appliquerait uniquement aux robots sociaux ou plus généralement à ceux sur lesquels on peut projeter des sentiments, parce qu’ils sont faits à la ressemblance d’animaux ou d’êtres humains.

Pour appuyer sa proposition, Kate Darling insiste sur le fait que cette protection juridique ne se justifierait pas par la souffrance éprouvée par le robot (puisque, justement, il n’éprouve aucune souffrance, étant une machine), mais par le sentiment – irrationnel – de souffrance qu’un humain peut ressentir en voyant le robot se faire « torturer ».

Bon. Pour être parfaitement honnête, à moi, et même en s’arrêtant là, il ne me semble pas y avoir matière à légiférer. La liberté de chacun ne s’arrêtant que là où commence celle d’autrui, je ne vois absolument pas au nom de quoi on pourrait interdire à quelqu’un de « torturer » un objet, même en postant la vidéo sur Youtube, puisque, ce faisant, il ne lèse absolument personne. Si des gens sont choqués, ils n’ont qu’à ne pas regarder. En suivant cette ligne de pensée, on pourrait tout aussi bien interdire aux gens de jouer aux jeux vidéo (les personnages que j’ai incarnés ont « tué » un nombre incalculable de monstres, d’animaux et même d’humains, parfois même de manière absolument gratuite), ou même aux enfants de gifler leur doudou. L’argument selon lequel on se comportera avec les êtres vivants comme on s’est comporté avec un objet ne tient absolument pas, beaucoup d’analystes pensant au contraire que la violence virtuelle ou sur un objet a un effet cathartique qui la rend moins probable dans la vie réelle.

Mais il y a plus grave. Dans une tentative bien malheureuse de soutenir encore son argumentaire, Kate Darling trace un parallèle proprement incroyable entre les robots et les animaux :

« Je parle plutôt de quelque chose comme les lois qui protègent les animaux. À eux non plus, on n’accorde pas le droit à la vie, mais on a édicté des lois pour les protéger contre la maltraitance. À mon avis, pas tant à cause de la douleur qu’ils peuvent ressentir qu’en raison de la réaction que leur douleur suscite chez nous. Ce n’est pas pour rien que nous protégeons beaucoup plus les animaux que nous trouvons attachants ou auxquels nous pouvons nous identifier. »

Un peu plus, et on se croirait chez Descartes. Le grand retour de l’animal-machine. Comment, au XXIe siècle, est-il encore possible d’écrire une chose pareille ? Elle nie toute valeur morale intrinsèque à l’animal et ne définit ses droits qu’en fonction de l’humanité. Cette position est incroyablement rétrograde. Non, les animaux ne doivent pas être protégés pour nous protéger ; avant cela, ils doivent être protégés parce qu’ils souffrent, et que leur intérêt indéniable est de ne pas souffrir.

Mais plus encore, ils doivent être protégés parce qu’ils sont vivants, et que, sauf circonstances somme toute exceptionnelles comme celles qu’implique la fin de vie, l’intérêt de tout être vivant est de continuer à vivre jusqu’à sa mort naturelle. Quand on lui oppose cette idée, Kate Darling répond :

« Comment définit-on la vie ? Et pourquoi est-ce important ? […] Dans la tradition shintoïste japonaise, chaque objet a une âme. Et cela explique dans une certaine mesure pourquoi la culture japonaise accepte mieux les compagnons robotiques. Elle ne divise pas les choses entre “vivant” et “non-vivant”, comme dans la culture occidentale. »

Disant cela, elle prouve qu’elle n’a pas compris grand-chose aux religions animistes. Justement, quand on pense qu’un objet a une âme, on pense qu’il est vivant : en effet, qu’est-ce que l’âme sinon le principe de vie ? La distinction entre « vivant » et « non-vivant » est donc universelle, mais la frontière entre les deux domaines n’est pas établie au même endroit selon la culture considérée.

Malheureusement, on dirait que le biocentrisme n’est pas pour demain. Mais pour le faire advenir, il est indispensable de maintenir la valeur de la frontière entre ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas. Tout être vivant a des droits, même si certains êtres vivants particuliers peuvent avoir des droits particuliers. En revanche, proposer d’accorder des droits intrinsèques à des objets ouvrirait la porte à une confusion éthique qui ne pourrait que nuire à tous les vivants.

2 commentaires:

  1. Il y a une formule indémodable pour ça : "O tempora, O mores"...

    Ce qui est plus ahurissant encore, c'est que cette réflexion (ou ce manque de réflexion en fait) sur la vie provienne d'une femme. D'un homme, pourquoi pas. Mais d'une femme...

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  2. Quelle perte de temps et d'énergie d'aller donner des droits à des objets, alors que les animaux, êtres sensibles par excellence, auraient tellement besoin qu'on s'occupe d'eux en priorité !

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