Puisqu’il est déjà 15h34 (heure de Mamoudzou) et que la fin
du monde se fait attendre, autant être productif, des fois qu’on serait encore
là demain. Et puisque apparemment l’apocalypse a quelques chances de ne pas se
produire du tout aujourd’hui, on n’a qu’à revenir aux vrais problèmes. Au
hasard, prenons l’économie. Et examinons une notion à la mode : la
flexisécurité.
La flexisécurité est un concept relativement récent, puisqu’il
trouve son origine dans une note du ministre néerlandais du travail en 1995, et
qu’il n’a véritablement été théorisé qu’en 1999 dans une publication du
ministère du travail danois. Pour autant, il a déjà sa notice Wikipédia en français
mais aussi dans 13 autres langues, ce qui est la preuve d’une certaine
popularité. En France, le concept est particulièrement d’actualité puisqu’il
est au cœur des discussions que tiennent en ce moment même les partenaires
sociaux (je me permets de le rappeler, puisqu’à mon avis certains lecteurs
seront un peu passés à côté de cet « événement »).
De quoi s’agit-il ? Déjà, on peut remarquer que ce
concept est fait pour plaire à tout le monde. Il repose en effet sur un
mot-valise censé réconcilier l’inconciliable : la flexibilité, qui plait
au patronat mais fait peur aux travailleurs (étant donné que « flexible »
signifie ici « facilement licenciable »), et la sécurité, qui plait
aux travailleurs mais fait peur au patronat (puisqu’elle signifie au contraire
qu’on ne peut pas facilement licencier un employé).
Dès l’étymologie, on s’aperçoit donc déjà que ce concept est
un oxymore, comme le « soleil noir » de Gérard de Nerval, bien connu des
élèves de 1e. Bref, on comprend tout de suite que c’est un truc qui
ne peut pas exister (ce que confirme d’ailleurs le correcteur orthographique du
logiciel Word, qui s’obstine à souligner le mot en rouge dès que je l’écris). Pour
y voir plus clair, on pourrait commencer par se demander à qui il plait le plus
et à qui il fait le plus peur ? La réponse est évidente : la
flexisécurité est largement promue par le patronat, et reçue avec la plus grande
méfiance du côté des travailleurs. Sauf grosse bêtise des deux côtés, on peut
donc logiquement en déduire que la flexisécurité est davantage « flexi- »
qu’elle n’est « -sécurité ».
Pour confirmer ou infirmer cette impression, retour au document
du ministère du travail danois. Il fait reposer la notion sur trois piliers (normal,
c’est comme pour le développement durable, rien de tel que trois piliers pour
essayer de stabiliser un peu un bidule qu’on sent par avance extrêmement bancal
et donc peu convaincant) :
- une grande flexibilité du marché du travail, avec des règles de licenciement souples ;
- un système d’indemnisation généreux des chômeurs ;
- des politiques actives contre le chômage, en particulier contre le chômage de longue durée, ce qui passe par une remotivation des chômeurs.
Là, a priori, la personne
de bon sens lambda a compris. Comme la personne lambda est rarement de bon
sens, explication de texte. Le premier pilier est nettement favorable au
patronat : c’est la précarisation, le travail et donc le revenu n’étant
plus durablement garantis au travailleur. Le second est censé l’être aux
travailleurs ; mais le troisième est là pour en annuler les effets
bénéfiques. Bien sûr, les « politiques actives » contre le chômage
devraient bénéficier à tout le monde ; mais malheureusement, la fin du chômage
ne se décrète pas, donc on sent que tout cela va rester du vœu pieux. Quant à
la lutte contre la démotivation des chômeurs, on comprend qu’il va s’agir avant
tout de ne pas indemniser trop généreusement ni trop longtemps les chômeurs,
justement, sinon ma bonne dame, comment voulez-vous qu’ils aient envie de
retrouver un travail ? On va donc, en gros, exiger de quelqu’un qui aurait
une formation de paysagiste et vivrait en Haute-Loire qu’il accepte un emploi
de désosseur de poulpe sur les côtes du Morbihan, sous peine de perdre ses
allocations.
Bref, la flexisécurité, c’est pouvoir virer facilement les
travailleurs, et ne pas trop les indemniser ensuite. Je ne vois pas où est la
sécurité promise.
Françoise Fressoz, promotrice du concept et qui, de son
propre aveu, « veut y croire » (elle nous en fait même l’injonction
sur son blog : « il faut y croire »), apporte (bien
involontairement, je pense) de l’eau à mon moulin. Elle écrit en effet que la
flexisécurité vise « à maintenir les salariés dans l’emploi lorsque l’activité
se réduit en jouant sur la mobilité, le temps de travail et les salaires ».
Mais les termes sont bien mal choisis, madame ! Jouer sur les salaires et
sur le temps de travail, à chaque fois pour les réduire, ce n’est pas de la sécurité,
c’est de la paupérisation, puisque les salariés gagneront (doublement) moins d’argent
en fin de compte et seront obligés de multiplier les emplois à temps partiel ;
jouer sur la mobilité, ce n’est pas de la sécurité, c’est de l’exploitation,
puisqu’il s’agit de pouvoir vous muter à 200Km de chez vous sans que vous n’ayez
rien à redire sous peine de perdre votre emploi.
La flexisécurité, c’est donc un mélange de
précarisation, de paupérisation et d’exploitation, le tout étant évidemment
synonyme d’angoisse et de souffrance pour les employés. Donc, à moins de
changer complètement le sens des mots, ça n’existe pas.
Sauf si t'as un système d'indemnisation chômage généreux ET inconditionnel.
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