J’apprends que dans la Drôme, au lycée des Trois sources,
une femme de ménage a été mise à pied pour avoir posté sur son blog des images
et des films pornographiques. D’elle-même, je précise. Pour le moment, l’affaire
n’a pas l’air de faire beaucoup de bruit. C’est vrai qu’entre la crise à l’UMP,
les dernières facéties d’Israël et la remontée de l’OM en Ligue 1, pas facile
de se faire une place au JT.
Pourtant, deux choses de taille sont en jeu. La première, c’est
l’emploi d’une femme. Comme, d’après ce que j’ai pu en voir, il est peu
probable que cette dame se reconvertisse dans le X en tant que professionnelle,
sa mise à pied va sans doute passablement bouleverser sa vie ; autant se
demander si c’est justifié, c’est quand même le minimum. La seconde est de plus
grande importance encore : c’est la liberté d’expression.
A-t-on le droit de faire ce qu’on veut en-dehors du cadre
professionnel ? Tant qu’on n’outrepasse pas les limites fixées par la loi,
ce devrait être une évidence. Pour les fonctionnaires, c’est pourtant de moins
en moins vrai. Pour nous brimer, le pouvoir a un outil bien pratique : le
devoir de réserve.
Cet animal-là est surtout utile parce que juridiquement très
flou. D’abord, cette notion n’apparaît jamais dans les textes législatifs ou
réglementaires qui régissent la fonction publique en France. Il s’agit donc d’une
création purement jurisprudentielle – et ceux qui me connaissent savent ce que
je pense de la jurisprudence.
Dans le principe, c’est assez simple : selon le site
fonction-publique.gouv.fr, « le principe de neutralité du service public
interdit au fonctionnaire de faire de sa fonction l’instrument d’une propagande
quelconque ». Sachant que cette interdiction ne s’applique pas à tout le
monde avec la même rigueur. En gros, plus vous êtes haut dans la hiérarchie,
plus vous avez l’obligation de fermer votre gueule ; inversement, un
mandat syndical vous autorise à l’ouvrir plus ou moins. Le même site précise
bien que « la réserve n’a pas trait uniquement à l’expression des
opinions. Elle impose au fonctionnaire d’éviter en toutes circonstances les
comportements portant atteinte à la considération du service public par les
usagers ».
Ça, c’est du bon outil ! Un truc jamais défini par les
textes de loi, dont l’appréciation concrète est donc laissée aux juges, au cas
par cas, et qui non seulement vous interdit d’utiliser votre fonction pour
faire passer vos idées (ce qu’on peut comprendre), mais vise aussi à vous
encadrer « en toutes circonstances » (donc aussi dans votre vie privée)
pour vous empêcher de faire un peu tout ce qu’on veut.
En effet, il n’y a pas grand-chose d’intéressant ou d’amusant
qui, pris sous un certain angle, ne puisse en aucune manière « porter
atteinte à la considération du service public par les usagers ». Si vous êtes
prof et que, lors d’une soirée d’anniversaire arrosée, vous montrez votre cul à
vos amis, s’il se trouve que l’un d’entre eux est aussi parent d’élève, ne portez-vous
pas un coup fatal à la pompe qui sied à l’enseignement ? Si un policier
milite en faveur de la réouverture des maisons closes, voire profite des
faveurs des hôtes habituels du bois de Boulogne, ne peut-on pas l’accuser de
nuire à son service ? Un fonctionnaire peut même, ainsi, subir une double
peine : pris en état d’ivresse sur la voie publique, on peut lui infliger
l’amende de base dont écoperait un citoyen lambda plus une sanction disciplinaire quelconque pour avoir gravement
compromis la dignité de sa charge. Des agents sont régulièrement menacés de
cette manière, et parfois traînés devant la justice, qui ne leur donne pas toujours
raison.
Dans le cas présent, on pousse un peu mémé dans les orties.
On peut déjà noter qu’on est dans les cas ultra-limites : l’agent mis à
pied n’a pas utilisé sa fonction à des fins de propagande, on estime qu’elle a
porté atteinte à l’image du service. Premier point critiquable, car il est déjà
inquiétant de voir l’administration et les juges se transformer en police des mœurs.
En outre, l’agent en question est femme de ménage : pas vraiment un haut
fonctionnaire dont on attend qu’entre tous il donne l’exemple.
Et surtout, si on examine le fond de l’affaire, il me semble
qu’elle n’a rien fait de répréhensible, ni aux yeux de la loi, ni à ceux de la
morale. Elle a mis des photos érotiques d’elle sur le Net, soit. Mais elle l’a
fait sur un blog qui annonce clairement la couleur et demande aux mineurs de ne
pas y pénétrer. S’ils le font tout de même, c’est quand même d’abord de leur
responsabilité, et de celle de leurs parents qui ne savent pas contrôler leur
activité informatique. Alors quand j’entends une espèce de pimbêche blonde (et
qui ne sait manifestement pas se maquiller), sans doute une sorte de déléguée
des élèves, dire (sur le 12/13 de France 3, édition des régions), l’air
contrit et pénétré, que « elle est dans un lycée, elle est en contact avec
des gens, bon, qui sont pas majeurs, généralement, c’est ça qui, c’est ça qui,
qu’est choquant quoi parce que… c’est pornographique », ça me fait plutôt rigoler.
C’est bon, Madame Pernelle, t’as fini ? Et dis-moi, ça t’a pas effleuré l’esprit
(enfin, la tête) que peut-être le problème c’est plutôt que les mineurs aillent
sur des sites de cul ? Après tout, qu’ils y trouvent la femme de ménage du
bahut plutôt que les sosies de Keira Knightley et Ben Barnes, c’est triste pour
eux, mais enfin leur (compréhensible) déception est-elle un légitime motif de
renvoi ?
Allons plus loin. Je disais que la femme de ménage avait
pris le minimum de précaution en prévenant les visiteurs que son blog était
pornographique. Les élèves se sont-ils embarrassés de la même discrétion ?
Pas vraiment, puisqu’ils ont fait circuler les images dans le lycée. Alors je
vous le demande, qui est le plus coupable ? Celui qui met les images sur
le Net, en prévenant, ou celui qui va les distribuer dans un établissement
scolaire ?
Et le respect de la vie privée, il est où ? Vous allez me
dire que si elle ne voulait pas être ainsi exposée à l’opprobre public, elle n’avait
qu’à ne pas les mettre sur le Net, ces photos. Eh bien je ne suis pas d’accord.
Je peux très bien avoir envie de mettre sur un site ouvert au public des images
de moi en costume de type médiéval ou héroïc-fantasy, sans vouloir pour autant
que mes élèves les impriment et en profitent pour se foutre ouvertement de ma
gueule, les béotiens. Parce que je dois avoir le droit de contrôler la
diffusion qui est faite de mon image.
Bref, on est en plein dans un beau moment d’hypocrisie.
Hypocrisie des élèves, d’abord, qui n’aiment pas l’école, mais qui aiment la
comédie de l’école, et qui entendent bien en faire respecter les règles.
Hypocrisie de l’administration et des adultes ensuite, qui ont pour beaucoup renoncé
à toute forme d’éducation des enfants, mais qui désirent que l’école reste un
sanctuaire, même complètement imaginaire, un décor de carton-pâte leur allant
très bien tant qu’il correspond à leur image d’Épinal. Hypocrisie des juges
enfin, s’ils confirment cette sanction.
Au fait, question subsidiaire : les magistrats qu’on
a chopés en train d’envoyer des tweets plus que douteux lors d’un procès d’assises
(rien que ça) auront-ils à subir des sanctions équivalentes ? J’attends de
voir.
Pour le cas d'une femme de ménage, je suis d'accord pour dire que c'est fort de café... Toutefois, tous coupable à mon sens, elle pour son inconséquence, et les élèves qui ont véhiculé les images pour leur méchanceté.
RépondreSupprimerMoi, si j'étais juge, hop, au goulag, on en parle plus !
Nonobstant, pour les policiers que tu cites et d'autres fonctions particulières, je suis pour l'exemplarité : à savoir que ceux, par exemple, qui font respecter l'ordre doivent être irréprochable non seulement dans leur conduite, mais aussi dans les moeurs de la société où ils exercent leur pouvoir. Sinon d'où veut-on que le respect nécessaire à l'accomplissement de leur tâche naisse ?
PS : Tu sais Menel, je comprends ce qui te bouleverse, mais montrer ses fesses à ses amis étant passé dans les moeurs, je suis absolument certain que tu n'as rien à craindre...
RépondreSupprimerTu demandes à un fonctionnaire d'être irréprochable dans tous les aspects de sa vie, au nom du respect nécessaire à l'accomplissement de leur tâche. Mais deux choses me gênent.
RépondreSupprimerLa première, c'est que je pense, fondamentalement, qu'être "irréprochable" est trop lourd à porter pour un être humain. Personne ne peut être irréprochable, ça fait une vie beaucoup trop ennuyeuse. ^^ Et pour quelqu'un comme moi qui voudrait voir beaucoup de professions incluses dans la fonction publique, comme tu es bien placé pour le savoir, c'est vraiment faire peser un poids trop lourd sur trop de gens.
La seconde, c'est que je me méfie énormément de toute cette idée de "mœurs", en particulier quand on parle des "bonnes" mœurs, ce qui sous-entend qu'il y en a de mauvaises. Pour moi, il n'y a que la loi qui compte : si quelque chose est intrinsèquement mauvais, qu'on l'interdise ; si ce n'est pas intrinsèquement mauvais, ou même si c'est trop compliqué à juger moralement, qu'on ne s'en mêle pas.
Ainsi, pour moi, l'adultère est sans doute mauvais, mais je crois que ça fait partie des cas moralement très difficiles à juger. Je ne jetterai certainement jamais la pierre à quelqu'un qui est tombé amoureux d'une personne que son compagnon légitime. C'est pourquoi j'estime que la loi n'a pas à s'en mêler ; mais pour la même raison, j'estime que la rue non plus n'a pas à s'en mêler. C'est pourquoi je suis effaré de voir qu'aux États-Unis, des élus sont contraints d'abandonner leurs mandats sur de tels motifs. Pour des choses qui, selon moi, ne sont même pas des désordres moraux, comme poster des photos de cul sur le Net, c'est encore plus net : ni la loi ni la rue n'ont rien à en dire, point barre.
Enfin, pour ce qui est de ton second message, tu ne vois pas le risque, il me semble : l'arbitraire. Tu dis que quelqu'un qui montrerait ses fesses n'aurait rien à craindre, et sans doute, dans la majorité des cas, tu aurais raison. Mais si c'est quelqu'un de gênant pour l'autorité, mettons, un syndicaliste très médiatique, le pouvoir pourrait parfaitement utiliser ce genre de choses contre lui. C'est cette épée de Damoclès qui est intolérable.