mardi 23 octobre 2012

De l'échec de l'enseignement des sciences

Aujourd’hui, au détour d’une digression au sein de mon cours de 2nde sur la démocratie athénienne, un élève m’a demandé pourquoi il y avait des saisons (on parlait du mythe de Déméter et Perséphone). Je n’avais pas le temps de le lui expliquer immédiatement, mais j’ai insisté pour qu’il reste un peu sur sa récréation afin qu’il soit initié à ce mystère.

Sa question a confirmé une réflexion que je me fais depuis longtemps : les sciences sont mal enseignées dans notre pays (et très probablement aussi dans les autres pays, d’ailleurs). Pas à cause de mes collègues, bien sûr, mais à cause des programmes qu’on leur demande d’appliquer.

Pour avoir moi-même suivi des études scientifiques jusqu’au bac, je suis bien placé pour le savoir. En mathématiques, on nous apprend à calculer la dérivée d’une fonction, mais bien peu nombreux sont les lauréats du bac S qui seraient capables de dire ce qu’est une dérivée, ou même une fonction. En physique, on apprend aux élèves à calculer les forces qui s’exercent sur un objet ou la vitesse qu’atteint au bout d’un certain temps un corps d’une certaine masse qui tombe depuis une certaine hauteur ; mais on ne leur parle que de manière très anecdotique des quatre interactions élémentaires, et ils seraient bien en peine d’expliquer comment se forment les orages. En sciences de la vie et de la Terre, on nous explique le processus d’oxydation phosphorylante qui a lieu dans les mitochondries, et on attend des élèves qu’ils sachent poser et résoudre l’équation qui expliquer la phase finale de la transformation du glucose en ATP ; mais beaucoup d’élèves ignorent à peu près tout du mécanisme de l’évolution des espèces et ne savent pas pourquoi les corps célestes sont sphériques, pourquoi la marée est haute en même temps des deux côtés de la Terre… ou pourquoi il y a des saisons.

Bref, l’enseignement des sciences est technicien plus que véritablement scientifique. Plutôt que de répondre aux grandes questions que l’on peut se poser en observant le monde qui nous entoure, il entre dans les détails techniques, au détriment d’une vue d’ensemble et de la culture générale. On pourrait ajouter qu’il est aussi trop idéologique : il fait souvent passer un message de nature politique qui, même s’il est souvent défendable, prend là encore la place d’enseignements plus fondamentaux.

On me répondra sans doute que cette vue d’ensemble relève davantage du collège, ou à la rigueur de la classe de 2nde, et qu’il est normal que les élèves qui choisissent une filière scientifique entrent davantage dans les détails, donc dans la technicité.

Peut-être ; mais enfin, le fait est là : mon élève de 2nde (et pas un des plus sots, loin de là) ne sait pas pourquoi il y a des saisons. Dans la même veine, lorsque j’étais moi-même élève en classes préparatoires littéraires, ceux de mes congénères qui avaient fait une filière L ou ES (mais qui, pour avoir été acceptés là, étaient forcément parmi les plus brillants de leurs classes en lycée) ne savaient pas ce qu’était un électron et pensaient que les girafes avaient obtenu leur long cou à force de tirer dessus pour attraper les feuille des hautes branches.

D’ailleurs, quand on regarde les programmes de collège, on ne peut pas en être vraiment surpris. Certes, en chimie, les élèves étudient la nature et le comportement de l’eau et de l’air. Mais en physique, s’ils font un peu d’optique, leur programme consiste essentiellement dans l’étude des circuits électriques, qu’on retrouve encore au lycée.

De la même manière, l’attention portée aux pratiques sportives aidera les adolescents à rester en bonne santé ; mais est-ce le rôle premier d’un cours de chimie ou de biologie ? Quant à l’insistance sur le développement durable, elle part sans doute d’une bonne intention, mais elle est davantage un message politique que scientifique ; message d’autant plus contestable que nombre d’anciens partisans de cette idée s’en détournent aujourd’hui.

Le plus révélateur reste évidemment de consulter les épreuves du bac, par lesquelles on estime juger les connaissances acquises. Ainsi, en 2011, l’épreuve obligatoire de physique-chimie à Washington proposait aux élèves de réfléchir sur l’hydrolyse de l’éthanoate de benzyle (CH3–CO2–CH2–C6H5) en leur demandant, par exemple, « d’écrire l’équation de la réaction », puis sur l’antimatière en leur demandant, entre autres questions du même tonneau, « d’écrire l’équation de la réaction nucléaire entre un électron et un positon », puis de « calculer l’énergie libérée par cette réaction ».

À chaque fois, l’exercice commence par une bonne idée : les faire réfléchir sur ce que sont la matière et l’antimatière et pourquoi elles sont là est fondamental ; mais leur faire écrire des équations ou leur faire faire des calculs est-il l’essentiel ? L’épreuve est conçue de manière complètement paradoxale : les connaissances sur la matière et l’antimatière sont données aux candidats au début de l’exercice et ne sont donc que le prétexte aux équations et aux calculs.

Pourquoi cette dérive dans l’enseignement des sciences ? Probablement parce qu’il n’a pas pour but de former des « honnêtes hommes » ayant une connaissance générale du monde qui les entoure, mais plutôt de former des ingénieurs. Normal : l’honnête homme ne rapporte rien, alors que l’ingénieur peut rapporter gros. Or, il est parfaitement possible de concevoir une aile d’avion ou un programme informatique sans avoir la première idée de la manière dont évoluent les espèces vivantes, ou de créer de nouveaux médicaments en ignorant tout de la manière dont se forment les cyclones. C’est d’ailleurs pour cela que les disciplines littéraires ou de sciences humaines sont à peu près (je dis bien « à peu près ») épargnées par cette dérive : de toute manière, il n’y a presque aucun bénéfice économique à en espérer.

Vu les tendances lourdes, il n’y a malheureusement pas de retournement à espérer prochainement. À trop vouloir rapprocher l’école du monde de l’entreprise, voilà ce à quoi on aboutit.

1 commentaire:

  1. Dit comme ça, j'apprécie pleinement l'avoir choisi ES et me sens moins coupable d'avoir tant dormi en cours de math en terminale, d'où la géométrie avait été bannie...

    RépondreSupprimer