Aujourd’hui, au détour d’une digression au sein de mon cours
de 2nde sur la démocratie athénienne, un élève m’a demandé pourquoi il
y avait des saisons (on parlait du mythe de Déméter et Perséphone). Je n’avais
pas le temps de le lui expliquer immédiatement, mais j’ai insisté pour qu’il
reste un peu sur sa récréation afin qu’il soit initié à ce mystère.
Sa question a confirmé une réflexion que je me fais depuis longtemps :
les sciences sont mal enseignées dans notre pays (et très probablement aussi dans
les autres pays, d’ailleurs). Pas à cause de mes collègues, bien sûr, mais à
cause des programmes qu’on leur demande d’appliquer.
Pour avoir moi-même suivi des études scientifiques jusqu’au
bac, je suis bien placé pour le savoir. En mathématiques, on nous apprend à
calculer la dérivée d’une fonction, mais bien peu nombreux sont les lauréats du
bac S qui seraient capables de dire ce qu’est une dérivée, ou même une
fonction. En physique, on apprend aux élèves à calculer les forces qui s’exercent
sur un objet ou la vitesse qu’atteint au bout d’un certain temps un corps d’une
certaine masse qui tombe depuis une certaine hauteur ; mais on ne leur
parle que de manière très anecdotique des quatre interactions élémentaires, et
ils seraient bien en peine d’expliquer comment se forment les orages. En sciences
de la vie et de la Terre, on nous explique le processus d’oxydation
phosphorylante qui a lieu dans les mitochondries, et on attend des élèves qu’ils
sachent poser et résoudre l’équation qui expliquer la phase finale de la
transformation du glucose en ATP ; mais beaucoup d’élèves ignorent à peu
près tout du mécanisme de l’évolution des espèces et ne savent pas pourquoi les
corps célestes sont sphériques, pourquoi la marée est haute en même temps des
deux côtés de la Terre… ou pourquoi il y a des saisons.
Bref, l’enseignement des sciences est technicien plus que
véritablement scientifique. Plutôt que de répondre aux grandes questions que l’on
peut se poser en observant le monde qui nous entoure, il entre dans les détails
techniques, au détriment d’une vue d’ensemble et de la culture générale. On pourrait ajouter qu’il est
aussi trop idéologique : il fait souvent passer un message de nature politique
qui, même s’il est souvent défendable, prend là encore la place d’enseignements
plus fondamentaux.
On me répondra sans doute que cette vue d’ensemble relève
davantage du collège, ou à la rigueur de la classe de 2nde, et qu’il
est normal que les élèves qui choisissent une filière scientifique entrent
davantage dans les détails, donc dans la technicité.
Peut-être ; mais enfin, le fait est là : mon élève
de 2nde (et pas un des plus sots, loin de là) ne sait pas pourquoi il
y a des saisons. Dans la même veine, lorsque j’étais moi-même élève en classes
préparatoires littéraires, ceux de mes congénères qui avaient fait une filière
L ou ES (mais qui, pour avoir été acceptés là, étaient forcément parmi les plus
brillants de leurs classes en lycée) ne savaient pas ce qu’était un électron et
pensaient que les girafes avaient obtenu leur long cou à force de tirer dessus
pour attraper les feuille des hautes branches.
D’ailleurs, quand on regarde les programmes de collège, on
ne peut pas en être vraiment surpris. Certes, en chimie, les élèves étudient la
nature et le comportement de l’eau et de l’air. Mais en physique, s’ils font un
peu d’optique, leur programme consiste essentiellement dans l’étude des
circuits électriques, qu’on retrouve encore au lycée.
De la même manière, l’attention portée aux pratiques sportives
aidera les adolescents à rester en bonne santé ; mais est-ce le rôle
premier d’un cours de chimie ou de biologie ? Quant à l’insistance sur le
développement durable, elle part sans doute d’une bonne intention, mais elle
est davantage un message politique que scientifique ; message d’autant
plus contestable que nombre d’anciens partisans de cette idée s’en détournent
aujourd’hui.
Le plus révélateur reste évidemment de consulter les
épreuves du bac, par lesquelles on estime juger les connaissances acquises. Ainsi,
en 2011, l’épreuve obligatoire de physique-chimie à Washington proposait aux
élèves de réfléchir sur l’hydrolyse de l’éthanoate de benzyle (CH3–CO2–CH2–C6H5)
en leur demandant, par exemple, « d’écrire l’équation de la réaction »,
puis sur l’antimatière en leur demandant, entre autres questions du même tonneau,
« d’écrire l’équation de la réaction nucléaire entre un électron et un
positon », puis de « calculer l’énergie libérée par cette réaction ».
À chaque fois, l’exercice commence par une bonne idée :
les faire réfléchir sur ce que sont
la matière et l’antimatière et pourquoi
elles sont là est fondamental ; mais leur faire écrire des équations ou
leur faire faire des calculs est-il l’essentiel ? L’épreuve est conçue de
manière complètement paradoxale : les connaissances sur la matière et l’antimatière
sont données aux candidats au début
de l’exercice et ne sont donc que le prétexte
aux équations et aux calculs.
Pourquoi cette dérive dans l’enseignement des sciences ?
Probablement parce qu’il n’a pas pour but de former des « honnêtes hommes »
ayant une connaissance générale du monde qui les entoure, mais plutôt de former
des ingénieurs. Normal : l’honnête homme ne rapporte rien, alors que l’ingénieur
peut rapporter gros. Or, il est parfaitement possible de concevoir une aile d’avion
ou un programme informatique sans avoir la première idée de la manière dont
évoluent les espèces vivantes, ou de créer de nouveaux médicaments en ignorant
tout de la manière dont se forment les cyclones. C’est d’ailleurs pour cela que
les disciplines littéraires ou de sciences humaines sont à peu près (je dis
bien « à peu près ») épargnées par cette dérive : de toute
manière, il n’y a presque aucun bénéfice économique à en espérer.
Vu les tendances lourdes, il n’y a malheureusement pas
de retournement à espérer prochainement. À trop vouloir rapprocher l’école du
monde de l’entreprise, voilà ce à quoi on aboutit.
Dit comme ça, j'apprécie pleinement l'avoir choisi ES et me sens moins coupable d'avoir tant dormi en cours de math en terminale, d'où la géométrie avait été bannie...
RépondreSupprimer