mercredi 9 octobre 2019

PMA : il fallait se réveiller il y a 25 ans


Le débat sur la PMA nous offre, une nouvelle fois, une belle illustration du simplisme qui règne aujourd’hui en politique : d’un côté, des députés macronistes – et leurs soutiens – qui réduisent à peu près leur argumentaire à « la défense du progressisme contre l’arriération », à « l’égalité » et à « la liberté de faire ce qu’on veut de son corps » ; de l’autre, des opposants à peu près réduits au périmètre de la Manif pour tous, qui vont bêlant que l’enfant a droit à un père.

Commençons par écouter le troupeau : on s’aperçoit que tous leurs arguments pour s’opposer à l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules sont invalides. L’enfant a-t-il droit à un père ? Non, je l’ai déjà expliqué, sinon il faudrait retirer leurs enfants aux femmes qui perdent leur mari. On nous dit alors que les enfants qui perdent leur père, c’est bien triste, et que la loi ne devrait pas fabriquer de telles situations. Mais la loi, de ce point de vue, n’autorise rien de nouveau : une femme seule a parfaitement le droit d’aller coucher avec un homme dont elle ignore jusqu’au prénom, de tomber enceinte, de ne jamais en avertir ledit coup d’un soir, d’avoir son enfant et d’être une mère célibataire. Si la loi autorise cette situation, c’est bien qu’elle reconnaît l’évidence : un enfant n’a « droit » à rien en termes de parents.

Contrairement à ce que prétendent ses adversaires, la nouvelle loi n’établit donc aucune « inégalité sociale » entre les enfants qui seront nés sans père et les autres : cette inégalité a toujours existé. La loi n’interdit pas aux mères de mourir en couches, ni aux pères de se suicider ; elle n’interdit ni aux seconds, ni aux premières, d’abandonner leurs enfants deux semaines après leur naissance pour aller faire leur vie ailleurs. Or, c’est un principe fondamental : tout ce que la loi n’interdit pas, elle l’autorise.

De ce point de vue, la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, souvent citée par la Manif pour Tous et ses acolytes, ne dit rien, et aurait mieux fait de se taire. L’enfant aurait droit « dans la mesure du possible » de connaître ses parents et d’être élevé par eux. Mais que signifie un droit « dans la mesure du possible » ? Absolument rien. Imaginons-nous un instant que nous ayons droit à la liberté d’expression ou d’opinion « dans la mesure du possible » ? Ça n’aurait aucun sens.

Ce dont a besoin un enfant, c’est d’un environnement familial stable dans lequel il soit aimé. L’expérience aussi bien que les études menées sur le sujet montrent qu’un enfant peut être aussi heureux s’il est élevé par une femme seule, par deux femmes, ou par un homme et une femme ; un divorce, en réalité, est bien plus destructeur pour le bonheur d’un enfant que le fait d’être élevé par deux hommes – et pourtant, le divorce est autorisé.

La formule-choc des adversaires de la loi, qui prétendent s’opposer à un « droit à l’enfant » dont personne ne parle pour défendre un « droit de l’enfant » que personne ne nie, est donc inepte autant que creuse (même si elle est efficace d’un point de vue rhétorique).

Enfin, l’argument selon lequel la PMA est légale pour soigner l’infertilité des couples, mais pas celle des personnes, ne tient pas davantage : car c’est toujours un couple qui est infertile. Quand, dans un couple hétérosexuel, l’une des deux personnes est stérile, on ne va pas dire à l’autre qu’elle n’a qu’à se trouver un conjoint fertile ! Si, dans un couple hétérosexuel, on ne s’occupe pas de savoir si l’un des deux est fertile pour autoriser une PMA, il n’y a pas non plus de raison pour s’en occuper pour les couples homosexuels. Ou alors quoi ? Comme pour les couples hétéros, on autoriserait la PMA à deux femmes si et seulement si l’une d’entre elles est médicalement stérile ? On voit bien que ça ne tient pas debout.

Une chose est donc absolument certaine : si la PMA est autorisée pour les couples hétérosexuels, alors elle doit être autorisée pour les femmes seules et pour les couples de femmes. De ce point de vue, je soutiens la loi proposée par le gouvernement : le statu quo était la position la plus inacceptable, la plus injuste.

Mais alors, tout est là : la PMA doit-elle être autorisée pour les couples hétérosexuels ? Soulignons avant tout que la « procréation médicalement assistée » recouvre beaucoup de choses extrêmement différentes. L’insémination artificielle n’est pas de la même nature que la fécondation in vitro ; encore ces deux appellations recouvrent-elles à leur tour des réalités passablement diverses.

Sur cette question, foncièrement, qui n’a pas compris que l’essentiel était là n’a rien compris. Car il ne s’agit pas en réalité de savoir si la PMA doit être autorisée ou non, mais bien plutôt quelle PMA doit l’être, et laquelle ne doit pas l’être.

Intervient ici un autre grand principe de la loi : il ne faut pas interdire ce qu’on ne peut pas empêcher. Or, on ne pourra jamais empêcher la « PMA maison » : la femme, même lesbienne, même en couple avec une autre femme, qui couche une fois avec un homme, ou qui s’insémine à la pipette pour avoir un enfant ; partant, on ne doit pas non plus l’interdire.

Qui plus est, il ne faut pas le regretter. Car dans l’insémination artificielle, même si ce n’est pas « naturel » (mais bon, faire des dissertations d’histoire non plus n’est pas « naturel », et on ne cherche pas à l’interdire), les conditions techniques de réalisation de l’acte ne sont pas de nature à arracher l’homme à son être, à le déraciner. Surtout, elles ne permettent rien d’autre que ce pour quoi il est conçu : faire un enfant. L’insémination artificielle ne peut en aucune manière aboutir au tri des embryons ou à l’eugénisme.

Mais il n’en va pas de même de la fécondation in vitro. Ici, le niveau de technicité est poussé bien plus haut ; et c’est pourquoi l’acte change de nature. Que le sperme soit déposé par une cuillère ou par une bite ne change pas grand-chose à ce qui se passe ; mais qu’un ovule soit fécondé en éprouvette et implanté ensuite dans l’utérus, et l’acte change de nature. Même s’il est, au début, implanté avant de pouvoir être considéré comme un être humain, parce que la fécondation aura eu lieu hors du corps de la femme, il n’y aura plus de raison, ensuite, d’empêcher de l’implanter beaucoup plus tard, puis de ne plus l’implanter du tout. Même si, au début, nous refusons l’eugénisme, nous détruisons déjà les embryons surnuméraires : il n’y aura pas d’obstacle significatif à faire ce tri en fonction de critères de qualité génétique ; nous le ferons parce que nous pourrons le faire, comme nous faisons déjà les choses parce que nous pouvons les faire.

Une fois de plus, le simplisme et la pauvreté du débat de société masquent l’essentiel, à savoir le fait que, pour reprendre les mots de Heidegger, nous vivons de plus en plus dans des conditions « purement techniques » : « C’est bien ça l’inquiétant, que ça fonctionne, et que ce fonctionnement entraîne toujours un nouveau fonctionnement, et que la technique arrache toujours davantage l’homme à la terre, l’en déracine.[1] » Le problème n’est pas de savoir qui a recours à la fécondation in vitro ; le problème, c’est que l’autorisation de cette innovation fait passer sous l’empire de la Technique, qui dévore de plus en plus l’intégralité de nos vies individuelles et de nos sociétés, quelque chose qui jusqu’à présent lui échappait : le commencement de la vie humaine. Ne voyant pas ceci, les gens ne voient pas que ce n’est pas la PMA pour les couples de femmes qu’il faut interdire, c’est uniquement la fécondation in vitro, mais pour tous les couples.

Seulement voilà : tout cela, ce n’est pas aujourd’hui qu’il faut le crier, c’était quand la PMA a été autorisée pour les couples hétérosexuels, c’est-à-dire il y a un quart de siècle. C’est à ce moment qu’il aurait fallu refuser de faire ce que la technique nous autorisait à faire. En montrant d’abord que, sur une planète surpeuplée, faire à tout prix des enfants n’était pas forcément une bonne idée ; ensuite que, lorsque des parents veulent un enfant (et je serais mal placé pour leur jeter la pierre), la société pouvait mettre en place d’autres solutions pour leur permettre d’en adopter – mais j’y reviendrai dans un prochain billet[2].

Parce que ça n’a pas été fait, nous sommes aujourd’hui face à ce dilemme moral insoluble qui nous force à être à la fois pour et contre la proposition de loi des macronistes : pour parce que le statu quo était insupportable, contre parce que c’est la fécondation in vitro tout court qui devrait être interdite.

Il n’y a donc pas lieu, comme j’entends certains de mes amis le faire, de regretter la loi Taubira ou le mariage pour les couples homosexuels, qui n’ont strictement rien à voir avec cette question. En revanche, il y a lieu de continuer à regretter que nos sociétés, encore et toujours, fassent tout ce qu’il est possible de faire uniquement parce que c’est possible. La position que je défends est, j’en ai bien peur, la seule qui concilie l’égalité des droits et le refus d’une vie qui ne soit pas purement technique. Dommage que nous soyons si peu à la défendre.




*** EDIT DU 13/10/2019 ***

Une précision que je n’ai pas faite mais je crois utile : il est évident que, par cet article, je ne prétends pas juger les personnes qui font le choix de pratiquer une fécondation in vitro. Je désapprouve l’acte, mais je comprends que, face à une situation personnelle très douloureusement vécue, on fasse des choses sans se demander si elles sont morales, si elles posent un problème collectif à la société, ou en apportant à ces questions d’autres réponses que moi.



[1] Martin Heidegger interrogé par Der Spiegel, Réponses et questions sur l’histoire et la politique, 1966 (publié en 1976).
[2] Et ceux que j’entends hurler « GPA ! », c’est pareil, attendez le prochain billet.

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