samedi 5 octobre 2019

Vers une école moins inégalitaire


Dans mon dernier billet, j’essayais de dégager les racines profondes du mal dont souffre l’école française, et je vous annonçais quelques pistes pour essayer de sortir de la crise éducative majeure que nous traversons. Là encore, je passe rapidement sur les évidences coûteuses (diminution en moyenne du nombre d’élèves par classe, revalorisation du salaire des professeurs, marginalisation du recours aux contractuels et retour à l’emploi des lauréats des concours comme norme, etc.), essentielles mais qui n’ont aucune chance d’être mises en œuvre, pour me concentrer sur des propositions purement pédagogiques et qui ne coûteraient pas un pognon de dingue à Macron.

Je passe également sur les propositions démagogiques car en l’air : rétablir l’autorité du professeur, oui, bien sûr, tout le monde est pour, mais enfin, comment s’y prend-on, concrètement ? Je préférerai donc ici m’attacher à penser une potentielle réorganisation à grande échelle de l’école française.

Premier étage de la fusée : par souci d’égalité des chances, on ne renonce ni à l’obligation de scolarisation jusqu’à 16 ans, ni au collège unique, dont de nombreuses études semblent indiquer qu’il est plutôt un facteur de réduction des inégalités. Mais dès l’entrée en 6e, on établit des classes de niveau sur la base, selon les années, soit des résultats de l’année antérieure, soit d’un examen de passage en classe supérieure. De tels examens seraient organisés à la fin du CM2 et de la 3; d’une part le succès à l’examen conditionnerait le passage en classe supérieure, d’autre part le classement à l’examen serait la base des classes de niveau.

Les classes de niveau auraient un programme à géométrie variable. Pour chaque niveau scolaire, une « filière alpha » se concentrerait sur un socle commun indispensable pour les élèves fragiles, tandis qu’une, voire deux autres filières (« bêta » et « gamma ») permettraient des approfondissements dans chaque discipline pour ceux qui en seraient capables. À la fin de chaque année, les élèves seraient évidemment repositionnés : un élève qui aurait très bien réussi en 5e alpha pourrait passer en 4e bêta, et inversement un élève qui se serait montré plus fragile qu’attendu en 5e bêta rétrograderait en 4e alpha. Les redoublements resteraient exceptionnels, mais les élèves seraient motivés à travailler, au lieu de voir leur passage en classe supérieur validé indifféremment, qu’ils aient travaillé ou non. Et surtout, on proposerait à chaque classe un cours adapté à son niveau, sans pour autant enfermer les élèves trop tôt dans des filières dont ils ne pourraient plus sortir ensuite.

Deuxième étage de la fusée : un retour au disciplinaire. Arrêtons de multiplier les heures passées à faire des « recherches » ou de « l’interdisciplinarité » : pour construire un mur, il faut d’abord avoir les briques ! Revenons donc aux fondamentaux qui constituent le tronc commun dont nous avons tous besoin pour nous construire :
§  Français / lettres modernes (aussi bien la maîtrise de la langue que l’étude des œuvres littéraires)
§  Mathématiques
§  Philosophie (à commencer dès la 6e, de manière adaptée)
§  Histoire et géographie (la question de la séparation de ces deux matières pourrait être posée)
§  Physique et chimie (même question que pour l’histoire et la géographie)
§  Biologie et géologie (ce qu’on appelle « SVT » ; à noter que là encore, une refonte serait envisageable : on pourrait imaginer enseigner d’une part la biologie, d’autre part des « sciences de la matière et de l’univers » qui regrouperaient physique, chimie et géologie)
§  Une, puis deux langues vivantes étrangères
§  Droit
§  Musique
§  Arts plastiques
§  Éducation physique et sportive

Notez que j’ajoute le droit, le grand absent de notre système. Parallèlement, je supprime ce qu’on appelle « Enseignement moral et civique » (l’ancienne « ECJS », pour ceux qui ont connu ça) ainsi que la technologie, bref ce qui ne relève ni d’une science, ni d’un art, ni d’une formation de la pensée et de la réflexion, ni de la maîtrise d’une langue. Je ne dis pas que ces deux disciplines n’apportent rien aux élèves, bien au contraire, mais il me semble que d’autres pourraient s’en charger. Ainsi, l’histoire et le droit pourraient parfaitement prendre en charge, chacun de son côté, ce qu’apporte actuellement l’EMC.

Ce tronc commun serait maintenu dans tout l’enseignement général secondaire, parce que même un élève « pas matheux » a besoin de maîtriser un certain nombre de bases mathématiques, et qu’un élève « pas littéraire » a quand même besoin d’avoir lu un certain nombre de textes. En revanche, à partir de la première, voire de la seconde, les élèves pourraient moduler ces enseignements en leur attribuant un poids plus ou moins important. On éviterait ainsi de recréer les filières trop rigides de l’ancien système – la possibilité de se spécialiser à la fois en philo et en maths est un des rares mérites qu’on peut reconnaître à la réforme Macron-Blanquer –, mais on garderait une structure disciplinaire, au lieu de partir dans les joyeux mélanges du style « Histoire-géographie, géopolitiques et sciences politiques », qui ne font que rarement sens pour des élèves si jeunes.

Cela n’empêcherait évidemment pas les professeurs de mettre en place des projets transdisciplinaires, mais à la condition de conserver la priorité à l’enseignement disciplinaire de base.

Enfin, dans le cadre des classes de niveau, les élèves des filières « bêta » et « gamma » pourraient choisir une ou plusieurs options : langues anciennes, langue vivante supplémentaire, langues régionales, sans parler des options qui existent déjà ou que nous pourrions créer – théâtre, cinéma, arts du cirque, histoire de l’art, histoire des religions, culture générale, informatique, la liste est longue.

Troisième étage de la fusée : la modulation du nombre d’élèves par classe en fonction de l’âge et du niveau. Elle se ferait selon deux principes : plus les élèves sont jeunes, plus la classe doit être petite ; plus les élèves sont solides, plus la classe peut être grosse. Ainsi, il ne faudrait jamais dépasser 20 élèves par classe en primaire (et 15 serait préférable), puis, dans les filières alpha, 25 au collège et 30 au lycée. En revanche, les filières bêta et gamma pourraient être plus chargées : 30, voire 35 élèves en collège, et 35, voire 40 en lycée. J’en ai fait personnellement l’expérience dans un dispositif que j’ai mis en place à Mayotte : quand les élèves sont solides et motivés par ce qu’ils font, on peut sans aucun problème enseigner à 40 lycéens en même temps.

Quatrième et dernier étage de la fusée : la mise en place de structures pour les élèves dont j’ai parlé dans mon billet précédent, ceux qui ne sont pas faits pour cet enseignement, qui s’y ennuient et qui y souffrent d’un échec chronique. Pour eux, le tronc commun donné plus haut serait valable uniquement jusqu’à la fin de la 3e, dans le cadre du collège unique. Ensuite, le système actuel serait réorganisé : actuellement, le lycée technique et le lycée général forment un bloc très séparé du lycée professionnel et agricole, le choix entre un bloc et l’autre se faisant à la fin de la 3e. Dans le nouveau régime, la filière générale commencerait dès la seconde, et serait réservée à ceux qui sont vraiment faits pour ces enseignements, qui s’y intéressent et qui y réussissent[1].

Les autres – et assumons-le, ils constituent la majorité – auraient déjà reçu les connaissances et les méthodes indispensables à la culture commune et à l’épanouissement personnel dans le cadre du socle commun jusqu’en 3e. Ils se verraient proposer des formations plus pratiques, concrètes, qui les intéresseraient davantage, où ils auraient la possibilité de réussir, et qui leur offriraient des perspectives d’emploi, dans le cadre de lycées qui regrouperaient ce qu’aujourd’hui on appelle lycée technique, lycée professionnel et lycée agricole.

On va me dire qu’il n’y aura pas de travail d’artisan, d’agriculteur ou de technicien pour une majorité de nos élèves. Je pourrais rétorquer que ceux qu’on envoie actuellement au casse-pipe au lycée, puis dans le supérieur – parce que nos scores soviétiques au baccalauréat masquent quand même nos plus de 50% d’échec en première année de post-bac – n’en trouvent pas davantage.

Mais ce n’est pas l’essentiel. Le plus important, c’est que notre société, extraordinairement prédatrice pour la nature, gagnerait justement à faire moins travailler les machines et davantage les bras. C’est particulièrement vrai dans l’agriculture : bien sûr, de nos jours, un paysan peut, seul, cultiver des dizaines, voire des centaines d’hectares ; mais il le fait au prix d’une dépendance aux machines, au pétrole, à la chimie, à l’irrigation, qui tous épuisent la planète. Le retour à une agriculture plus respectueuse de la nature – et c’est également vrai de l’artisanat face à l’industrie – permettrait, sans doute pas de résoudre, mais du moins d’avancer vers des solutions, à la fois pour trois crises : la crise environnementale, la crise éducative, et le chômage de masse.

Ces propositions ne sont pas seulement les miennes : ce sont celles qui avaient déjà été collectivement formulées par Tol Ardor il y a des années. Elles sont, me semble-t-il, toujours d’une brûlante actualité.





[1] Il va de soi qu’il faudrait changer radicalement les pratiques du collège : quand on voit qu’un élève peut avoir en 3e 12,5 de moyenne en maths, puis avoir son brevet avec mention bien, et ce alors même qu’il ne sait pas faire une règle de trois, on comprend que quelque chose ne tourne pas rond. Mon système est évidemment dépendant d’une évaluation réaliste. Mais la manière d’évaluer est un problème politique, j’en avais déjà parlé.

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