À présent que la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)
a rejeté la demande de révision des parents de Vincent Lambert, on peut
imaginer que cette affaire touche enfin à son terme. Il était temps.
Petit rappel des faits : en 2008, Vincent Lambert,
alors âgé de 32 ans, est victime d’un grave accident de la route qui le plonge
dans un coma végétatif dont il sort pour atteindre un « état de conscience
minimale ». Il ne peut plus déglutir et est donc alimenté par une machine.
Seule l’autonomie respiratoire est préservée. En 2013, son médecin, en accord
avec la femme de Vincent, mais pas de ses parents ni de ses frères et sœurs,
conclut à une « obstination déraisonnable » et décide de cesser son
alimentation et de diminuer son hydratation. Les parents du malade, ainsi que
deux de ses huit frères et sœurs, saisissent le tribunal administratif, qui
ordonne en urgence la reprise de l’alimentation et de l’hydratation. En 2014, suite
à une expertise de trois spécialistes en neurosciences, un rapport du Conseil
d’État conclut à la dégradation de son état de conscience et estime les lésions
cérébrales irréversibles. En conséquence, il invalide la décision du tribunal
administratif et estime légale la décision du CHU d’arrêter l’alimentation et
l’hydratation de Vincent Lambert. Ses parents saisissent alors la CEDH, qui
affirme en 2015 que la décision du Conseil d’État ne viole pas la Convention
européenne des droits de l’homme. Le recours en révision déposé par les parents
Lambert vient d’être rejeté : en toute logique, Vincent Lambert devrait
mourir dans les semaines à venir.
Mon but n’est pas ici d’entrer à corps perdu dans la
polémique à la fois extrêmement complexe et particulièrement violente qui
déchire une partie de la société française depuis deux ans. Comme ceux qui me
lisent régulièrement le savent, je ne suis pas favorable au suicide assisté,
mais je suis favorable à l’euthanasie active dans des cas bien particuliers.
Quels cas ? Pour moi, trois conditions doivent être réunies :
d’abord, la personne doit être en mesure d’indiquer, ou avoir indiqué
précédemment, sa volonté de mourir dans le cas où il se trouve ; ensuite,
l’état physique et matériel du patient doit le conduire à plus ou moins brève
échéance et de manière certaine à la mort ; enfin, son état doit le placer
en situation de grande souffrance physique ou morale – cette souffrance morale
pouvant venir seulement du fait qu’il juge son état contraire à sa dignité. Si ces
conditions sont réunies, l’euthanasie est à mon sens un droit de la personne humaine.
Sur le papier, c’est très joli ; dans les faits, c’est
évidemment plus complexe. En ce qui concerne l’affaire Vincent Lambert, la
principale inconnue pour moi est évidemment la volonté de l’intéressé lui-même,
dont je n’ai pas réussi à savoir si elle a été clairement exprimée ou non. Mais
j’aurais tendance à faire confiance sur ce point à sa femme – en règle générale,
pour le cas d’une personne vivant en couple stable depuis longtemps avec quelqu’un,
l’avis du conjoint prime celui des parents. Mais même en admettant qu’il ait
clairement exprimé son souhait de mourir en pareille situation, son cas
relève-t-il de l’euthanasie ou du suicide assisté ? On pourrait me dire
qu’il pourrait vivre encore de longues années, et que son état ne le condamne
donc pas à la mort à brève échéance.
Certes ; mais c’est oublier un peu vite que Vincent
Lambert ne survit ainsi que grâce à (ou à cause de) tout un attirail de
machines. Sachant qu’il ne peut plus déglutir, il me semble clair qu’on peut
parfaitement dire que son état le condamne bel et bien à la mort à brève
échéance, et ce sans espoir prévisible d’amélioration. Comme je le notais dans
un précédent billet, dépendre des autres, ce n’est pas la même chose que
dépendre d’une machine. Le cas relève donc bien de l’euthanasie, non du suicide
assisté.
Ceux qui s’opposent à la décision du CHU insistent
évidemment sur la cruauté d’une mort par arrêt de l’alimentation et de
l’hydratation. Ils soulignent qu’en pareil cas, on ne meurt pas de faim mais de
soif, dans des circonstances visiblement atroces. C’est possible : mais
comment ne voient-ils pas qu’en disant cela, ils apportent à l’évidence de
l’eau au moulin de l’euthanasie ? Que la mort par l’arrêt de l’hydratation
soit cruelle, ça ne signifie en rien qu’il ne faille pas tuer Vincent
Lambert ; ça signifie qu’au lieu de le laisser mourir de faim ou de soif,
il faut le tuer activement par un moyen plus humain, comme une injection de
pentobarbital de sodium puis de chlorure de potassium.
Cette affaire témoigne donc, s’il en était encore besoin,
que la situation actuelle de la législation française est intenable. La
question n’est absolument pas de savoir si l’alimentation et l’hydratation
peuvent être assimilées à des soins, et peuvent donc être arrêtées dans le
cadre d’un refus de l’acharnement thérapeutique, ou s’ils sont quelque chose à
quoi tout être humain a droit en toutes circonstances : c’est une fausse
question. De toute évidence, ce ne sont pas des soins ; mais cela ne
signifie pas que l’euthanasie soit une mauvaise chose. Ce qui est certain, c’est
que la loi actuelle, qui permet de laisser mourir quelqu’un de faim et de soif pendant
des jours, mais ne permet pas de le tuer en quelques heures, est un des plus
mauvais compromis possibles.
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