lundi 6 juillet 2015

Qu'examine-t-on pendant les examens ?


Les examens, c’est le mal. Parce qu’on doit les corriger, et c’est chiant. Mais non ! Qu’est-ce que je dis ? C’est le mal parce que les petits nenfants n’aiment pas ça et que ça les stresse boucoup-boucoup, les pauvres chéris. Le service éducation du Monde, par exemple, passe une part considérable de son temps et de son activité à dire que décidément, le bac, faudrait quand même songer à le supprimer, et ça coûte très cher, et ça nous bouffe tout le mois de juin, et c’est injuste, et les copies sont notées n’importe comment, j’en passe et des meilleures.

Au-delà des poncifs et des sujets de JT qui reviennent rituellement chaque année à la même date, parce que d’ordinaire vers fin juin début juillet on n’a plus rien à dire (et d’ailleurs heureusement que le tour de France est là, c’est pas comme si à côté la zone euro commençait doucement à se déliter), on peut se poser quelques questions sur les examens, et plus particulièrement sur le bac et le brevet.

Commençons par le contenu. Je prends une épreuve au hasard : le sujet d’économie de la filière STMG. Quatre documents sont soumis à l’attention des candidats. Premier document : un graphique représentant l’évolution du commerce extérieur français, et dont le principal enseignement est que nous sommes structurellement en déficit. Deuxième document : intitulé « France, la dérive incessante de la balance commerciale », il en rajoute une couche sur notre nullité économique, nous compare à l’Allemagne-qui-fait-tellement-mieux, et affirme qu’il faut faire comme elle, à savoir s’ouvrir sur la Chine et être plus compétitifs, en particulier en travaillant sur les salaires, suivez mon regard. Troisième document : intitulé « Les pays les plus protectionnistes », il analyse les mesures dites « discriminatoires » (comprenez : « protectionnistes ») et cite comme pays les plus coupables desdites mesures la Russie, la Chine et la France. La Russie et la Chine étant généralement vouées à l’anathème qu’on sait, la comparaison n’est pas faite pour être flatteuse. Le quatrième et dernier document enfin, qui s’intitule « L’OMC met en garde contre une hausse du protectionnisme », en remet une couche sur les dangers de cette idéologie, responsable de la crise des années 1930, et encore très dangereuse aujourd’hui puisque, je cite, « à terme, tout le monde sera perdant. »

Sur la base de cet intelligent et pondéré corpus, on pose quatre questions aux bambins, dont la dernière consiste à produire une argumentation permettant de répondre à la question : « Des mesures protectionnistes permettraient-elles de réduire le déficit du commerce extérieur de la France ? »

Comme tout le monde l’aura noté, le corpus documentaire n’est pas contradictoire : tous les documents vont dans le même sens, à savoir que le protectionnisme, c’est péché. Quand on demande aux élèves de produire une « argumentation », on ne leur demande donc pas de confronter deux points de vue : ils ne peuvent qu’aller dans le sens des documents et anathématiser dûment le protectionnisme. Ce qui appelle deux remarques. La première, c’est que les cours d’économie sont, pour l’État, un instrument de propagande, et que les examens servent à vérifier que les élèves ont bien assimilé la soupe qu’on leur a servie. Précisons tout de suite deux choses. D’une part, je sais bien que beaucoup de professeurs d’économie ne se laissent pas faire et développent dans leurs cours des points de vue bien plus complexes, nuancés et donc proches du réel ; j’accuse l’État de se servir de l’école pour diffuser une propagande, je n’accuse pas mes collègues de se laisser en devenir les agents. D’autre part, je sais aussi bien que l’économie n’est pas le seul lieu de la propagande étatique : j’ai pris l’exemple de l’imposition d’une idéologie capitaliste et libérale, mais les cours d’histoire servent tout autant à diffuser les idéaux républicains et démocrates – à nous, là encore, de présenter les choses avec un peu plus de subtilité.

La seconde remarque est le corollaire de la première : puisqu’il s’agit de faire accepter aux élèves une idéologie bien particulière, c’est donc qu’il ne s’agit pas d’en faire des esprits libres et critiques. Ne donner aux élèves que des documents allant dans le même sens, ce n’est pas seulement leur faire admettre le libéralisme comme vrai ; au-delà de ce bourrage de crâne, c’est aussi les habituer à la démarche intellectuelle consistant à accepter comme vrai tout ce qu’on vous dit. Leur faire confronter des points de vue contradictoires les entraînerait à faire fonctionner leur raison, leur intelligence, leur esprit critique ; au contraire, leur faire paraphraser des documents les pousse à la paresse intellectuelle qui accepte tout pour peu que ce soit bien dit. De ce point de vue, le bac ne se contente pas de fabriquer des libéraux, il fabrique surtout des moutons.

Après le contenu, passons à la méthode. Petits choupinous qui venez de décrocher le bac ou le brevet, comment avez-vous été jugés ? Sur le travail que j’ai fait moi-même, sur ce qu’on m’a demandé, je suis évidemment tenu à un devoir de réserve et je ne peux rien révéler. En revanche, rien ne m’interdit d’analyser des confidences faites par des collègues.

Commençons par le brevet. Je précise que je n’ai bien sûr corrigé ni l’épreuve de maths, ni celle de français. Mais de sources assez fiables, je sais qu’il s’en est passé de belles.

En français, on a commencé par imposer aux correcteurs de ne pas suivre le barème national, mais un barème local « spécial Mayotte ». Au temps pour l’égalité républicaine. D’après ce barème aménagé, pour l’épreuve de dictée, si les candidats n’avaient accordé aucun verbe au sujet, il fallait ne compter qu’une seule faute ; quelqu’un peut-il m’expliquer à quoi ça sert de faire une dictée dans ces conditions ? D’autant qu’ensuite, toutes les notes étaient systématiquement encore remontées pour s’approcher de la moyenne académique visée.

En maths, les candidats devaient étudier une fonction : f(x) = - 6x + 7. On leur demandait de calculer f(x) pour x = 3. Eh bien, croyez-le ou non, si, au lieu de calculer (- 6 x 3) + 7, ils calculaient - 63 + 7, il fallait leur accorder la totalité des points ! Eh oui, puisque selon les autorités compétentes, il y a une logique : le signe « fois » n’étant pas écrit, il est légitime (???) que l’élève se trompe. Le tout, précise l’inspecteur, étant censé rester « strictement confidentiel ».

Un petit coup sur le bac, à présent. Devoir de réserve : je ne vous parlerai pas de ce que j’ai fait moi. Mais je sais que, toujours ici à Mayotte, on a imposé à certains correcteurs de remonter toutes les notes de deux points pour faire remonter les moyennes. De même, je n’ai pas fait partie des jurys (pour ceux qui ne connaissent pas, les jurys sont les groupes d’enseignants qui, après la correction, examinent les résultats de chaque élève avec leur dossier scolaire – de manière non anonyme, donc – pour voir s’ils méritent d’être remontés) ; mais je sais que certains ont systématiquement fait passer des élèves qui étaient à 9,5 de moyenne ; par « systématiquement », j’entends « sans même regarder le dossier scolaire ». Avec le dossier, on a donné le bac du premier coup à des élèves qui avaient 9,1 de moyenne.

La mécanique est donc la suivante : le correcteur se dit qu’une copie vaut 6 ; sachant qu’on va de toute manière lui demander de remonter les notes, il met 7 (rien de plus commun). Puis, on lui impose de remonter ses notes de deux points, ce qui pousse l’élève à 9 ; et dans ces eaux-là, il peut tout à fait avoir son bac sans même passer les oraux de rattrapage. Et voilà comment on a son bac du premier coup avec des copies dont les correcteurs estimaient qu’elles valaient 6.

Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : je ne suis pas, personnellement, pour la suppression des examens. Je crois au contraire qu’ils permettent, mieux que n’importe quel autre système, de juger les acquis des élèves. Mais clairement, il y a des choses à revoir dans la manière dont on les met en œuvre.

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