La politique vaticane, c’est toujours une affaire très, très
délicate, faite de mille petits secrets, de mille petites obscurités, de mille
petites discrétions. Comme, à la base, les gens ne s’y intéressent en général pas
plus que ça, pas étonnant que l’information ait souvent du mal à circuler, et
surtout à se vérifier.
Nous venons d’assister à un de ces petits événements
discrets mais potentiellement assez significatifs : le pape a rencontré
les représentants de l’Église vieille-catholique.
Pour ceux qui ne connaissent pas cette auguste institution,
un peu d’histoire. Le schisme vieux-catholique remonte à 1723 : les
chanoines d’Utrecht, dans les Provinces-Unies (actuels Pays-Bas), mécontents du
vicaire apostolique imposé par Rome, élisent à sa place Cornelius Steenoven comme
archevêque. Ce dernier est consacré évêque par Dominique Marie Varlet, ancien
coadjuteur de Bossuet et évêque in partibus
de Babylone. Logiquement, le pape réplique en excommuniant le nouvel archevêque
d’Utrecht et ses fidèles. Le schisme est consommé et l’Église vieille-catholique
est née (quoique pas encore sous ce nom), bénéficiant, il est important de le
noter, de la succession apostolique via
Dominique Marie Varlet.
Par la suite, le fossé se creuse entre Rome et les vieux-catholiques.
En 1851, le Saint-Siège nomme à Utrecht un archevêque catholique romain, ce qui
exacerbe les tensions avec les vieux-catholiques. Ces derniers refusent en 1854
le dogme de l’Immaculée conception, puis en 1864 le Syllabus de Pie IX qui condamne les « erreurs modernistes »
(parmi lesquelles la liberté de choisir sa religion, la liberté de culte, la
possibilité d’obtenir le salut hors de l’Église catholique, l’idée que l’Église
n’a pas le droit d’employer la force, celle que des catholiques puissent
approuver un système éducatif séparé de l’Église, j’en passe et des
meilleures).
La mesure est comble avec le concile de Vatican I, en 1870,
qui proclame l’infaillibilité du pape. Ce nouveau dogme est lui aussi rejeté
par les vieux-catholiques ; mais cette fois-ci, ils sont rejoints par de nombreux
catholiques libéraux, originaires principalement d’Europe du Nord, qui s’organisent
et se rassemblent en 1889 sous le nom d’Union d’Utrecht. Tout en recherchant la
pleine communion avec Rome, elle travaille à une réforme profonde de l’Église catholique,
en particulier par l’autonomie des Églises locales par rapport au pape, qui
verrait son pouvoir grandement réduit. Elle œuvre d’ailleurs activement à l’œcuménisme,
son ecclésiologie étant proche à bien des égards de celle des orthodoxes ou des
anglicans (l’Union d’Utrecht est en pleine communion avec ces derniers).
L’Église vieille-catholique a depuis accompli de nombreuses évolutions
heureuses : usage des langues vernaculaires dans la liturgie (en 1877,
donc près d’un siècle avant que l’Église catholique romaine, avec Vatican II,
ne se décide enfin à suivre le même chemin), abandon du célibat obligatoire des
prêtres, autorisation des remariages après divorce ; aujourd’hui, certains
groupes ordonnent des femmes et bénissent des unions homosexuelles.
L’Église vieille-catholique n’est peut-être pas exactement
celle de mon cœur, mais elle est sans aucun doute une de celles qui s’en
rapproche le plus. À vrai dire, à la fin du pontificat de Benoît XVI, je
songeais très sérieusement à les rejoindre, et c’est seulement l’élection de
François qui m’a convaincu d’attendre.
C’est donc cette Église que le pape vient de rencontrer
officiellement – une première, même si une commission vaticane est depuis longtemps
chargée de dialoguer avec elle.
On ne peut pas ne pas établir le lien avec la Fraternité
Sacerdotale Saint Pie X (FSSPX). Tout comme l’Église vieille-catholique, quoique
bien plus récemment (en 1988), la FSSPX a fait un schisme avec Rome sur des questions
dogmatiques ; elle bénéficie également, par Marcel Lefebvre, de la
succession apostolique. La seule différence entre les deux institutions – elle
est évidemment de taille – réside sur le fond : alors que l’Union d’Utrecht
porte la vision d’une Église profondément réformée, mais plus fidèle à ses
origines anciennes, la FSSPX combat pour le retour à l’Église rigoriste qui va
du Concile de Trente (1545-1563) à celui de Vatican II (1962-1965).
Sous le pontificat de Benoît XVI, la FSSPX était clairement
l’objet de toutes les attentions. Ma théorie, déjà exprimée dès l’annonce de sa
résignation, est même qu’il avait fait de la résorption du schisme lefebvriste
la mission principale de son règne, et que c’est quand il a compris que cette
tâche était irrémédiablement vouée à l’échec qu’il a décidé de laisser la place
à quelqu’un d’autre.
François n’a pas renouvelé les efforts de son prédécesseur pour
réintégrer les schismatiques traditionnalistes : le dialogue entre Rome et
Écône est au point mort. Mais cette rencontre avec les vieux-catholiques indique
qu’il pourrait rechercher envers eux ce que Benoît XVI recherchait avec la
FSSPX.
Il est difficile d’en être sûr, car François, à l’inverse de
Benoît XVI, est un véritable homme politique, rusé, dissimulé, calculateur,
manipulateur même – ce ne sont, sous ma plume, pas des critiques. Mais si la
tendance se confirme, il n’est pas exclu que François réfléchisse à une réforme
profonde de l’Église, dans le sens de ce que demande l’Église vieille-catholique
depuis près de trois siècles. Sandro Magister, sur le site Chiesa (pas
franchement réformateur), fait une analyse comparable en rapprochant les
évolutions soutenues plus ou moins ouvertement par le pape, la rencontre avec
les vieux-catholiques et l’œcuménisme de l’École de Bologne.
Le travail est immense, la lutte est très loin d’être gagnée,
l’échec est possible, si ce n’est probable ; mais il y a de l’espoir.
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