Ça y est, on a de quoi faire de l’étude de documents. Comme
en histoire-géographie, déformation professionnelle oblige, c’est quand on peut
mettre différents documents en relation que ça devient intéressant ; et
là, l’Église nous sert sur un plateau un véritable bac blanc pour la filière « ecclésiologie ».
On a en effet quatre documents ; et comme en histoire-géographie
(j’espère que certains de mes élèves me lisent, ça leur ferait un entraînement du
tonnerre), il faut les présenter si on veut comprendre leur intérêt et leur valeur
respective.
Le premier est la Relatio Synodi, le document final voté par les évêques participant au Synode et
censé exprimer le bilan des débats. Il est important de noter qu’il ne s’agit
pas d’un document magistériel : il n’a aucune autorité, que ce soit sur le
plan de l’enseignement doctrinal ou sur celui de la pastorale. Il a pourtant
une double valeur. D’abord, il sera la base de travail du Synode ordinaire de
2015, celui qui sera le plus important puisque c’est de lui que sortiront, in fine, des décisions concrètes. Ensuite,
il a été voté, paragraphe par paragraphe, par les membres du Synode ; ce
qui signifie qu’il a une légitimité indiscutable.
De ce point de vue, deux choses sont à noter. La première, c’est
que le pape a choisi de publier, pour chaque paragraphe, le nombre de voix
favorables ou défavorables à son adoption. Sur les 62 paragraphes que comporte
le document, on s’aperçoit ainsi que tous ont obtenu une majorité absolue – ce
qui, en soi, est un signe intéressant –, mais que trois d’entre eux, nous y
reviendrons, n’ont pas obtenu la majorité des deux tiers nécessaire à une
adoption formelle. Pourtant – et c’est le second point qu’il faut noter –, le
pape a choisi de publier tout de même, dans le corps du texte, comme s’ils
avaient été adoptés, ces articles qui ont obtenu une majorité absolue, mais pas
une majorité qualifiée. Autrement dit, ces points ne font pas consensus au
Synode, mais le pape ne considère pas que la question soit close :
clairement, tout est encore sur la table, aucune porte n’a été fermée
définitivement.
Le second document à notre disposition est la Relatio post disceptationem, le document
de mi-parcours publié par le cardinal Erdö et qui était censé faire le bilan
des discussions et interventions de la première partie du Synode. Ce document a
une valeur moindre que le précédent, puisqu’il n’a pas été voté par les évêques.
Mais là encore, cela ne signifie pas qu’il soit sans valeur – loin de là. D’une
part, en tant que document de travail, intermédiaire, non officiel, il a pu
faire preuve d’une audace un peu plus grande que celle du document final. Il a
d’ailleurs été très violemment critiqué pour cela, tant par certains évêques et
cardinaux que par certains laïcs. On a même dit qu’il ne reflétait que la
position de son auteur, pas celle des pères synodaux, et moins encore celle du
pape ; qu’il aurait été récupéré par des journalistes en mal de scoop et
instrumentalisé par les progressistes.
Mais cette interprétation ne résiste pas à l’analyse. Ainsi,
alors que les cardinaux conservateurs fustigeaient les médias, le pape a pris
soin de les remercier pour le travail qu’ils avaient accompli. Difficile de
croire qu’il s’agit d’une simple coïncidence ou d’une politesse formelle :
clairement, la diffusion médiatique de la Relatio
post disceptationem n’est pas un accident de communication ; elle a au
contraire été voulue par le pape, tout comme il a voulu la publication des
articles non votés de la Relatio Synodi.
Les deux derniers documents sont de portée moindre, mais ils
ont tout de même leur intérêt : il s’agit d’une part du discours de clôture du pape, et d’autre part du « message » adressé par les évêques,
à l’issue du Synode, aux familles chrétiennes.
Cette présentation des documents étant faite, passons à l’analyse.
La première chose qui frappe, évidemment, c’est l’écart qui sépare la Relatio post disceptationem d’une part, et
les trois autres documents d’autre part : le document de mi-parcours est,
de très loin, le plus audacieux des quatre. Et pourtant, objectivement, il ne l’était
guère ! Sur les questions les plus cruciales en matière de morale sexuelle
et familiale – l’homosexualité, la contraception, les cohabitations
hors-mariage et l’accès à la communion pour les divorcés remariés –, il n’allait
pas bien loin.
Sur la contraception, il se contentait de renvoyer à l’encyclique
Humanæ vitæ, qui est d’une pauvreté
intellectuelle et argumentative affligeante et défend une position intenable en
raison. Sur l’homosexualité, tout en réaffirmant que l’Église refuse de mettre
sur un pied d’égalité couples homo- ou hétérosexuels, il disait également que
la question nécessitait réflexion et se demandait si les communautés catholiques
« acceptaient » assez les homosexuels et même « accordaient une
valeur » suffisante à leur orientation sexuelle. Sur les divorcés
remariés, il ouvrait la porte à un possible retour à la communion après un
chemin de pénitence. Sur les couples non mariés, enfin, et tout en réaffirmant « l’idéal »
promu par l’Église, il y reconnaissait des « éléments constructifs »,
ce qui n’est pas sans rappeler les « éléments de vérité » que le
concile de Vatican II avait reconnu aux religions non chrétiennes.
Certes, tout cela était insuffisant ; mais enfin, c’était
déjà pas mal. Toutes ces avancées ou presque disparaissent dans les autres documents.
La Relatio Synodi conserve à peu près
le passage sur les couples non mariés ; en revanche, ses paragraphes 52 et
53, qui ouvrent la possibilité pour les divorcés remariés de recevoir la
communion, font partie de ceux qui n’ont pas été votés par les pères. Le pape les
a publiés tout de même, ce qui, comme je l’ai déjà indiqué, leur confère une
certaine légitimité, mais il est clair qu’il n’y a pas eu de consensus sur ce
point au Synode. De la même manière, le paragraphe 55 sur l’homosexualité a été
durci par rapport au document de mi-parcours : finies les références à la
valeur des unions homosexuelles ou au possible accueil d’enfants par des
familles homoparentales ; les pères se contentent de répéter ce qui a toujours
été dit (« l’homosexualité, c’est très vilain, mais quand même, c’est pas
une raison pour leur faire du mal »). Et malgré ce changement de ton pour
le pire, le paragraphe n’a pas recueilli la majorité des deux-tiers, preuve, là
encore, d’un malaise persistant sur le sujet.
Les autres documents sont à l’avenant : le message des
pères synodaux aux familles est complètement creux et vide ; celui du pape
est principalement fondé sur la mise en parallèle d’une « tentation
intégriste » avec une « tentation progressiste », ce qui est la
base du discours des conservateurs dans l’Église.
Mais il y a quand même un signe d’espoir, et c’est que
François appelle à « travailler » sur la Relatio Synodi pendant l’année qui nous sépare du prochain Synode.
Or, rien n’indique que cet appel au travail doive se limiter aux pères synodaux :
les conférences épiscopales sont explicitement citées, et rien n’interdit de
penser que, comme pour le questionnaire qui a précédé le Synode, les fidèles laïcs
soient également appelés à la réflexion.
C’est en cela que je parle de la fin du sprint et du début
du marathon, aussi improbable que soit cette métaphore pour ceux qui me
connaissent. Le moment chaud du Synode extraordinaire est passé, mais la
pression ne doit pas retomber. Nous, fidèles qui souhaitons que l’Église évolue,
nous avons un an pour nous faire entendre. C’est donc notre devoir que de
profiter de cette opportunité. Nous devons écrire à nos évêques, leur faire
part de notre vécu du Synode, de nos satisfactions, de nos déceptions, de nos
attentes et de nos espoirs. Nous avons un an pour prendre la parole, de toutes
les manières possibles, et sans nous décourager. Alors n’hésitez pas à le faire :
écrivez à votre évêque, écrivez au pape, écrivez aux médias, réécrivez si vous
n’avez pas de réponse ; demandez l’organisation d’un débat à l’échelle de
votre diocèse ; faites ce que vous voulez, mais parlez. Sinon, il ne
faudra pas venir vous plaindre que rien ne change.
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