jeudi 23 octobre 2014

Synode sur la famille 2015 : première action, le jeûne eucharistique


Dans mon dernier billet, j’appelais à des actes forts en vue de préparer le chemin du Synode ordinaire sur la famille de 2015, qui sera bien plus important que celui qui s’achève, puisque c’est alors seulement que le pape prendra des décisions concrètes.

Dans cette direction, Anne Soupa et Christine Pedotti, fondatrices du Comité de la Jupe et de la Conférence Catholique des Baptisés Francophones, ont eu une idée que je trouve à la fois très forte et très courageuse : elles entament dès à présent un jeûne eucharistique qui durera un an, jusqu’au prochain Synode. Autrement dit, tout en continuant à participer à la messe, elles s’abstiendront de communier. Ce sera pour elles une manière d’être solidaires de ceux qui n’ont théoriquement pas le droit de le faire, en particulier les divorcés remariés et les homosexuels vivant en couple.

Je vous arrête tout de suite : je vois très bien moi-même les limites de ce geste. Déjà, si c’est un geste très fort pour les catholiques, et sans doute plus généralement pour les chrétiens pratiquants, ça semblera sans doute très vide et inutile à tous les autres. Mais après tout, ce sont les autorités et les fidèles catholiques qui sont les premiers destinataires de cette action ; elle devrait donc toucher son public. En outre, je pense que même des non chrétiens, pour peu qu’ils sachent ce que représente l’Eucharistie pour un pratiquant, pourront comprendre ou au moins entrevoir sa portée.

On peut également objecter qu’il semble contradictoire d’appeler à la possibilité pour tous de communier en n’allant pas communier soi-même, et que ce n’est pas en nous privant de la communion qu’on l’accordera davantage à d’autres. On peut dire que ce n’est pas à nous, qui ne commettons pas d’injustice, et qui militons même pour plus de justice, de nous priver de quelque chose à quoi nous tenons énormément. Mais le jeûne est aussi un acte de solidarité avec ceux que l’on affame.

Car on les affame. Anne et Christine l’expliquent très bien sur le blog qu’elles ont lancé à l’occasion :

« Dans la communion eucharistique nous absorbons physiquement […] une nourriture spirituelle. Mais cet acte produit aussi une communion du croyant avec son Dieu […] et une communion entre tous ceux qui y participent. […] D’autres sens s’ajoutent. Cette communion nous unit aussi dans le temps à tous ceux et celles qui sont “admis” dans le Corps du Christ à travers les âges, c’est ce qu’on nomme la Communion des saints. La communion eucharistique a donc un caractère cosmique. Elle nous unit à Dieu, et nous unit les uns aux autres à travers le temps et l’espace. À quoi il faut encore ajouter que dans la mesure où elle est communion au Corps du Ressuscité, elle est comme […] un avant-goût […] du banquet final de l’humanité, ses noces définitives avec Dieu à la fin des temps […]. Dieu est vraiment là, dans le présent de nos vies : dans la communion eucharistique, le présent et l’éternité se confondent. Dieu est dans le présent et nous sommes dans l’éternité.

La prodigieuse pluralité des sens de la communion eucharistique – pluralité et ampleur que sans doute nous saisissons fort médiocrement à chaque fois que nous communions – suffit à monter à quel point le fait de ne pas admettre certaines personnes à la communion eucharistique fait violence aux sentiments profonds et à la foi des croyants. »

Il s’agit donc de se mettre volontairement dans la situation d’impasse qu’on impose aux exclus de l’Eucharistie. Je cite encore Anne et Christine : « Pour sortir de cette impasse, certains promeuvent ce qu’ils nomment “la communion de désir”, qui consiste à s’unir d’intention à la communion eucharistique sans y participer réellement. Cette solution nous semble bien piètre, mais nous allons l’expérimenter puisque nous allons accepter volontairement de nous mettre dans cette situation. »

On me dira qu’on les exclut nettement moins en pratique qu’en théorie. De facto, les divorcés remariés et les couples d’homos qui veulent communier peuvent, la plupart du temps, le faire : il leur suffit pour cela de ne pas se faire trop remarquer. Les prêtres n’ont aucun moyen de les repérer a priori ; et même quand ils savent, nombreux sont ceux qui tolèrent et ferment les yeux. Mais voulons-nous que ces gens soient tolérés, ou voulons-nous qu’ils soient réellement acceptés pour ce qu’ils sont ? Le jeûne eucharistique est visible, comme devrait être visible la communion de tous au Corps du Christ.

La principale objection est bien sûr théologique : comment, pour un chrétien, peut-on vouloir jeûner de Dieu ? Comment peut-on vouloir se priver de ce qui est à la fois notre but et notre plus grand soutien dans notre marche vers ce but ? Mais ne pas communier par solidarité avec des exclus, je crois que c’est communier à autre chose. On ne communie plus au Corps du Christ présent dans l’Eucharistie, mais si l’Église est aussi le Corps du Christ, alors on communie avec ce qu’elle a de blessé, de déchiré. Car ce ne sont pas seulement les personnes que blesse cette exclusion, c’est l’Église tout entière, « qui est comme mutilée, blessée par cette exclusion qu’elle pratique sur elle-même. En partageant le sort de nos frères et sœurs exclus, nous voulons entrer en communion avec ce corps blessé dont nous croyons qu’il est aussi le Corps du Christ. » Et ne pas communier pour que d’autres puissent communier comporte aussi une dimension sacrificielle – puisqu’il s’agit d’un renoncement personnel extrêmement coûteux – dont je ne peux pas imaginer qu’elle ne nous rapproche pas, autrement, de Dieu.

Tout ça pour vous dire que je vais m’associer à leur geste. Pas exactement de la même manière qu’elles, peut-être parce que je ne souhaite pas me couper totalement de la communion sacramentelle mais plutôt trouver un autre équilibre, peut-être surtout parce que je n’ai pas tout à fait le courage ou la solidarité nécessaires. Pendant un an, je ne communierai donc qu’à l’occasion des grandes fêtes ; le reste du temps, je participerai à la messe, mais sans communier.

Afin de rendre ce signe plus visible, je porterai un badge expliquant rapidement mon action ; quelque chose comme ça :




Ou encore ça :



Comme Anne et Christine, je n’appelle personne à nous suivre ou à nous rejoindre. C’est bien un jeûne, et pas une grève, puisque « nous ne demandons rien à personne sinon à Dieu dans la prière ». Nous posons un signe : si d’autres se sentent concernés, si d’autres se sentent de le faire avec nous, pour une fois, un mois, trois mois, un an, ou si d’autres veulent simplement porter un badge en continuant à communier, qu’ils le fassent.

Puisse ce geste être aimé de Dieu, nous rapprocher de Lui et contribuer à ressouder l’Église.

6 commentaires:

  1. Je préfère le deuxième badge, plus explicite pour les gens qui ne sont pas trop au courant de l'exclusion de tous les sacrements pour ces chrétiens. Mais quid de tous les fiancés font l'amour avant le mariage ? et de ceux qui des relations sans projet matrimonial, pour différentes raisons ? et de ceux qui utilisent des moyens de contraceptions ? Ils sont dans le même lot....

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    1. Pas exactement. Bien sûr, de droit, ils devraient (je devrais dire "nous devrions", puisque j'utilise des moyens de contraception considérés comme non naturels) être exclus de la communion. Mais les prêtres n'ont aucun moyen de découvrir cet "état de péché obstiné", pour reprendre les termes du droit canon, à partir du moment où les couples, ne le considérant pas comme une faute, ne le confessent pas.

      Alors que pour les divorcés remariés (et, dans les années à venir, ça va aussi se poser, de plus en plus, pour les couples homosexuels), leur situation étant publique, leur exclusion est plus facile, et même automatique dans certaines paroisses.

      Cela étant, je suis d'accord avec vous sur le fond : c'est toute la morale sexuelle et familiale de l'Eglise qu'il faut revoir.

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  2. Meneldil, je vois bien que ton intention est bonne et louable et sans doute as-tu déjà commencé ton jeûne, mais je t'en prie: écris au pape pour lui faire part de ta démarche et demande lui son avis.
    Le but du jeûne est de se rapprocher de Dieu: si tu t'en prives, je ne vois pas comment c'est possible!
    Ton combat ne peut pas être gagné par des hommes. Il peut être gagné par Dieu, Père, Fils et Esprit qui va inspirer les hommes selon sa sagesse et sa pédagogie. Mets toute ta confiance et ta force en Lui, crois en Lui! Plutôt que de t'en priver au contraire, rapproche t'en: prie plus, ou jeûne d'un de tes loisirs préféré...les solutions sont nombreuses et je crois que ton combat ne peut pas mettre Dieu de côté, quand bien même d'autres ont cette souffrance de ne pas pouvoir le prendre. On ne peut pas aider un frère à marcher en se coupant une jambe.
    Alors vraiment, demande au pape lui-même et prend sa réponse pour celle de ton Seigneur qui t'aime tant, dans la prière et la confiance! Je t'embrasse, Marion.

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    1. Marion, écrire au pape, j'y compte bien, et ce sera d'ailleurs l'objet d'un de mes prochains billets.

      Cela étant, j'ai dû mal expliquer mon (ou notre) action. Tu me proposes de jeûner d'autre chose, d'un de mes loisirs par exemple. Mais ce serait alors un Carême hors temps de Carême ; ce n'est pas du tout ce qu'on veut faire, c'est d'une tout autre nature. Un Carême hors Carême, ou un Carême anticipé ou prolongé ne nous mettrait aucunement en communion avec nos frères exclus de la communion eucharistique.

      Or, c'est là le point essentiel. Et c'est aussi ce qui répond à l'autre point que tu développes, à savoir la coupure d'avec Dieu. Si vraiment l'Eglise est le corps du Christ, alors en nous mettant, par le jeûne eucharistique, en communion avec nos frères et soeurs forcés de faire ce jeûne en permanence, nous nous mettons en communion avec l'Eglise en ce qu'elle est Corps souffrant et déchiré. Nous ne nous coupons donc pas de Dieu, nous nous rapprochons de Lui d'une autre manière.

      Une dernière précision : en faisant (provisoirement, il faut le rappeler) ce jeûne, je ne fais que régulariser ma situation aux yeux de l'Eglise. En effet, en tant qu'utilisateur d'une forme de contraception considérée par l'Eglise comme non naturelle et même abortive, le stérilet, je me trouve moi aussi en état de "péché obstiné". Je ne le confesse pas, parce que je ne le considère pas comme une faute, mais le fait n'en demeure pas moins : aux yeux de l'Eglise, je pèche en permanence, et sans aucune intention de me repentir. Le jeûne eucharistique n'est donc aussi, pour moi, qu'une manière de m'appliquer volontairement la sanction que l'Eglise prévoit pour les gens comme moi.

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  3. Il faut reprendre à nouveau frais une approche de l’eucharistie qui hélas est devenue une récompense pour personnes bien pieuses et bien dévotes. Ne disait-on pas avant Vatican II qu’il fallait être en état de grâce pour aller communier ? Il ne s’agit pas de donner à manger à ceux qui se sont alignés sur cette vision piétiste de l’Eglise mais à ceux qui ont faim. Comment s’arroger le droit de refuser, en ayant en plus le culot de dire qu’on le fait au nom de Dieu ? Cette réflexion est aussi valable pour le problème de l’hospitalité eucharistique. Et qu’est-ce que cette ségrégation qui n’autorise que les clercs à communier sous les deux espèces avec parfois une autorisation au compte-goutte pour les laïcs ?

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    1. Georges, tout à fait d'accord avec votre dernier commentaire sur la communion sous une seule espèce ; c'est une réflexion que je me fais depuis toujours. La faute au dogme de la transsubstantiation...

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