Difficile de ne pas faire le rapprochement. D’un côté, Mélenchon
abandonne la co-présidence du Parti du Gauche, donc, implicitement, son
leadership sur le Front de Gauche. Quittant le navire qu’il avait lui-même
bâti, il se lance dans la nouvelle aventure d’un improbable « mouvement pour
une VIe République ». Cela signe la mort des ambitions
électorales du Front de Gauche, comme le retrait de Besancenot pour Philippe
Poutou, gentil et attendrissant, mais peu doué pour la politique, avait signé
celle des ambitions électorales du NPA. C’est peut-être, d’ailleurs, la mort du
Front de Gauche tout court, qui se réunit aujourd’hui dans une ultime tentative
de « rassemblement » où il joue sa survie.
De l’autre côté, un sondage IFOP démontre l’insolente santé
du Front national : si le premier tour de la présidentielle avait lieu
dimanche prochain, Marine Le Pen arriverait en tête au premier tour dans toutes
les configurations testées. Au second tour, elle serait battue par tous les
candidats de l’UMP ; mais pas de tant que ça par Sarkozy (40% contre 60
%), et de moins encore par Fillon (43% contre 57%). Et, naturellement, dans l’hypothèse
improbable où François Hollande arriverait au second tour, elle le battrait (54%
contre 46%). Sans surprise.
En toute logique, cela devrait conforter François Hollande dans
la volonté qui, j’en suis de plus en plus sûr, est la sienne depuis au moins
les municipales, à savoir ne pas se représenter en 2017. Pourquoi diable
irait-il s’infliger une défaite aussi humiliante et aussi prévisible ?
Bien sûr, ce sondage n’est pas un pronostic : bien des choses peuvent
changer en trois ans, et Hollande a encore du temps avant de prendre sa
décision finale ; mais il y a très peu de chances qu’il puisse remonter la
pente, et je le crois assez lucide pour s’en rendre compte. À mon avis, plutôt que
de s’entêter avec interroger les gens avec l’hypothèse Hollande, les sondeurs
feraient bien de commencer tout de suite à les tester sur Valls ou Montebourg
(Royal et Aubry, à mon avis, ont manqué leur chance).
Reste à s’interroger sur les causes de la différence de
trajectoire entre les deux Fronts. Pourquoi le Front national n’arrête-t-il pas
de grimper depuis sa fondation en 1972 (c’est-à-dire il y a quand même plus de
40 ans), alors que le Front de Gauche agonise après à peine 5 ans d’existence ?
Pour le savoir, comparons d’abord la structure de ces deux
ensembles. On note une similarité : ils fédèrent des groupes aux cultures
assez différentes. Le Front de Gauche rassemble les communistes, qui sont pour
la plupart favorables à la réindustrialisation du pays, au nucléaire, bref à
peu près dénués de toute sensibilité écologique, et le Parti de Gauche, bien
plus évolué sur les questions environnementales, auxquels il faut ajouter quelques
courants marginaux dont on voit mal a
priori quelles spécificités justifient leur existence autonome. Le Front
national, pour sa part, a permis de faire militer côte à côte des catholiques traditionnalistes
et des écologistes néo-païens, des pétainistes antisémites et des islamophobes,
des ultra-libéraux et des partisans d’un État-providence fort. L’un dans l’autre,
les écarts de doctrine les plus importants sont donc plutôt du côté du FN, ce
qui, en toute logique, devrait constituer une faiblesse.
Mais cette faille est en réalité compensée par la force de
la structure, de l’organisation. En effet, le FN a une forte culture du chef.
De fait, il n’a connu que deux présidents : Jean-Marie Le Pen de sa
création à 2011 (39 ans de règne !), et sa fille Marine Le Pen depuis cette
date. La stabilité de l’équipe dirigeante est donc double, puisque la durée du règne
de Le Pen père est renforcée par le caractère héréditaire, dynastique, de la
transmission du pouvoir. En outre, le pouvoir du président du Front sur l’ensemble
de ses composantes est très fort. Face à cela, le FdG est sans chef : on
parle d’un « conseil national » du Front, dont on ne sait pas très
bien qui le compose ; probablement les représentants de toutes ses
composantes. Mais il n’y a aucune autorité qui les surplomberait et chacune d’elles
fait absolument ce qu’elle veut sans avoir à en référer à qui que ce soit. On
cherche en vain un organigramme, et le Front de Gauche ne semble même pas avoir
de réel site Internet (il y a bien « Place au peuple ! », mais c’est
davantage un blog, une compilation d’articles, de tweets et de communiqués
divers que le site Internet d’un parti politique).
Leadership très fort d’un côté et totalement absent de l’autre :
je crois qu’il ne faut pas chercher beaucoup plus loin la cause du succès du
premier et de l’échec du second. Pour achever de nous en convaincre, observons quelques
crises récentes chez l’un et chez l’autre.
Décembre 1998 : Bruno Mégret quitte le Front national
pour fonder le Mouvement National Républicain ; il emporte avec lui la
moitié des élus et 40% des secrétaires départementaux du parti. On peut
difficilement imaginer plus douloureux. Est-ce la fin du FN ? Que nenni !
Le MNR fait un (bien petit) feu de paille, mais il coule lentement, alors que,
cinq ans à peine après la scission, Jean-Marie Le Pen accède au second tour de
la présidentielle. Des scissions, il y en aura d’autres ensuite ; en 2008
et 2009, alors que le FN, affaibli par Sarkozy, se trouve en grande difficulté
financière, des cadres comme Jean-Claude Martinez ou Carl Lang font encore
défection ; le second fonde le Parti de la France et emporte avec lui d’autres
historiques comme Bernard Anthony, une des figures de proue des catholiques traditionnalistes
au Front. Mais une fois de plus, les départs semblent n’affecter aucunement le
parti, qui retrouve un nouvel élan en 2011 avec l’élection à sa tête de Marine
Le Pen, quand les « félons » et leurs créations disparaissent de la
scène politique et surtout médiatique. In
fine, le Front national se retrouve dans le trio de tête des plus importants
partis de France.
De son côté, le Front de Gauche, après sa création en 2009,
n’émerge qu’avec difficulté. À l’élection présidentielle de 2012, il réalise un
score de 11%, assez honorable (après tout, c’est la première fois qu’un
candidat situé à gauche du PS obtient plus de 10% des voix depuis Georges
Marchais en 1981), mais qui reste en réalité assez modeste si on le compare à
celui du FN (près de 18%) et si on le met en balance à la fois avec le génie
charismatique de son candidat, Jean-Luc Mélenchon, et avec l’absence de réelle
concurrence à sa gauche (Philippe Poutou et Nathalie Arthaud totalisant, à eux
deux, moins de 2% des voix). Ensuite, le déchirement vient vite : aux
municipales, puis aux européennes de 2014, les différentes composantes du Front
ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la stratégie à mettre en œuvre, en
particulier par rapport au Parti socialiste. Elles s’engagent désunies dans ces
batailles et, bien logiquement, s’y fracassent. Fatigué, et sentant
probablement l’échec poindre, Mélenchon se retire durant l’été.
Moralité ? Quand on a un véritable capitaine dans le
bateau, le départ de marins rebelles sur une barquette, même accompagné de pas
mal d’officiers, n’est pas un très gros problème. Mais quand on n’en a pas, le
bateau n’a pas de cap et coule sur le premier récif venu. Ce n’est pas plus
compliqué que cela. Il manque donc à la gauche radicale, comme je le dis depuis
longtemps, la faculté à se soumettre : se soumettre à quelqu’un avec qui
on n’est jamais parfaitement d’accord, parce qu’on n’est jamais parfaitement d’accord
avec personne, et parce qu’on se souvient qu’on n’accomplit jamais rien tout
seul, qu’il faut donc se regrouper, et qu’un groupe sans autorité est voué à l’échec.
La force du FN, c’est qu’un catholique traditionnaliste est capable de se
soumettre à Marine Le Pen, alors même qu’elle affirme qu’elle ne reviendrait
pas sur la loi Veil en cas d’accession au pouvoir, parce qu’il préfère quand même
le gouvernement de Marine Le Pen à celui de François Hollande ou même de Nicolas
Sarkozy. La faiblesse du FdG, c’est qu’un communiste n’est pas capable de se
soumettre à Mélenchon, parce qu’il préfère voir la droite arriver au pouvoir plutôt
que de laisser la place à quelqu’un qui n’est pas issu précisément de son parti.
Que la droite se rassure : la vraie gauche n’est pas
prête d’arriver au pouvoir.
Ça devient plus intéressant après : 23% des sondés
souhaitent qu’il convainque des personnalités de droite et du centre à
participer au gouvernement. Ils ne sont que 12% (deux fois moins !) à
souhaiter qu’il convainque des personnalités du FdG ou d’Europe-Écologie-les-Verts
à faire de même. EELV, un autre parti qui a un gros problème de leadership.
*** EDIT ***
Rajoutons-en une petite couche, puisqu’un nouveau sondage
vient de tomber : le premier enseignement est que 85% des Français ne
souhaitent pas qu’il se représente en 2017, et ils sont encore 55% à penser qu’en
effet, il ne sera pas candidat. Bon, pas de surprise.
Tu as oublié le rôle des media.
RépondreSupprimerJe ne crois pas. Je crois surtout qu'il est toujours facile et tentant d'accuser les médias. Si le FN monte, c'est forcément la faute aux médias qui parlent trop de lui. Mais pourquoi en parlent-ils ? Je crois surtout que les médias sont un bouc-émissaire commode qui permet d'éviter de se poser les vraies questions, et d'ouvrir les yeux sur l'évidence : le peuple vote mal.
SupprimerMeneldil, si vous voulez ( sur la montée de l'extrême-droite)http://icietmaintenantlecorps.blogspot.fr/2012/04/l-progression-de-lextreme-droite-nest.html
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