Le mariage pour tous, c’était décidément une affaire politique
rentable. Triplement rentable : premièrement, Hollande réalisait une
réforme sociétale majeure, qui assurait à son quinquennat raté d’avance de
rester quand même dans les mémoires, au même titre que le septennat de Valéry
Giscard d’Estaing avec la légalisation de l’avortement ou l’abaissement de la
majorité, ou celui de Mitterrand avec l’abolition de la peine de mort.
Deuxièmement, il masquait (un peu) l’échec évident de ses réformes économiques.
Troisièmement, il jetait le trouble dans l’opposition de droite.
C’est ce troisième effet dont on peut mesurer aujourd’hui
toute l’ampleur et toute la brillance stratégique. J’ai toujours dit que
François Hollande était un faux bête : un animal politique assez
redoutable, très intelligent sous sa mollesse apparente et son peu de charisme.
Plus de deux ans après le début des débats, plus d’un an après le vote de la
loi, le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels continuent de semer
le trouble à droite.
Et encore, semer le trouble, le mot est faible. Dans la
droite radicale, Marine Le Pen a, je ne sais trop par quel miracle, réussi à
échapper au débat jusque-là. Elle s’est très mollement engagée à abroger la loi
Taubira en cas de prise du pouvoir ; mais son parti entretient savamment l’ambiguïté
sur le sujet. De nombreux maires FN ont refusé de signer la charte de la Manif
pour tous ; Florian Philippot est favorable à la loi aussi ouvertement qu’il
le peut ; le PVV néerlandais de Geert Wilders, un des rares alliés du FN
au niveau européen, est tout à fait favorable au mariage homo ; enfin, des
élus FN ont déjà célébré, eux-mêmes, des mariages entre couples homosexuels, ce
qui va tout à fait dans le sens de la stratégie de dédiabolisation du parti. On
se demande pourquoi les uns et les autres ne demandent pas plus clairement à
Marine Le Pen de s’engager personnellement sur la question : peut-être les
adversaires de la loi ont-ils aussi peur de sa réponse que ses partisans.
À l’UMP, c’est encore pire. Chez les candidats à la
présidence du parti, seul Mariton est vraiment clair sur le sujet : il n’en
veut pas, il veut l’abrogation pure et simple de la loi Taubira. Sarkozy, en
essayant de ménager la chèvre et le chou, a fâché tout le monde ; mais au
fond on sent bien qu’il s’en moque, et qu’en cas de retour à la Présidence, la
loi resterait probablement exactement ce qu’elle est. Parmi les autres
candidats plus ou moins déclarés à la magistrature suprême, Fillon et Bertrand affirment
vouloir un « PACS amélioré » sans possibilité d’adoption ; ceux
qui crient le plus fort pour l’abrogation ne sont pas des candidats sérieux ;
Juppé, enfin, affirme tout bonnement qu’il ne reviendra pas dessus.
Cette position est celle qui mérite le plus l’analyse. D’abord,
elle va dans le sens de l’Histoire : l’expérience prouve qu’on ne revient
que très rarement sur une réforme sociétale de cette ampleur. En Espagne, la
récente volte-face du gouvernement conservateur, qui a renoncé à réduire
drastiquement les possibilités d’avorter, prouve à quel point ce genre d’évolution
entre vite dans les mœurs.
Mais c’est aussi, probablement, le positionnement
stratégique le plus efficace. Je suis assez d’accord – une fois n’est pas
coutume ! – avec Christine Boutin pour dire que le mariage pour tous va être
un des thèmes majeurs de la prochaine campagne présidentielle. En revanche, je
ne suis pas du tout d’accord avec son calcul. Elle affirme, et beaucoup d’autres
avec elle, qu’un candidat de droite qui ne s’engagera pas contre la loi ne
pourra pas être élu, parce qu’il lui manquera le million de voix de la Manif
pour Tous ; et là, je crois qu’elle se trompe.
D’une part parce que, si tant est que ce mouvement pèse
réellement un million de voix, je ne suis pas du tout convaincu qu’il
manquerait entièrement à un candidat de droite qui ne se serait pas engagé à
abroger la loi : parmi tous ceux qui ont manifesté, beaucoup voteront
pour n’importe quel candidat de droite contre n’importe quel candidat de
gauche, quoi que le premier dise sur le mariage homo.
Et d’autre part parce qu’Alain Juppé a entièrement raison quand
il répond à Christine Boutin qu’il ne compte pas céder à tous les lobbies qui
se présenteront à lui et qu’il pourrait bien gagner d’un côté ce qu’il perdrait
de l’autre. Ainsi, j’ai pas mal réfléchi à mes choix électoraux en 2017, et je
sais que je ne voterai pas pour n’importe qui ; par exemple, même contre
Marine Le Pen, Sarkozy n’aurait pas ma voix. En revanche, Juppé l’aurait,
alors même que je n’ai aucune sympathie pour sa personne ou ses idées de
manière générale. Mes
critères ? Ce n’est évidemment pas le seul, mais entre autres, je ne
voterai pas pour un candidat qui s’engagerait à abroger cette loi une fois
arrivé au pouvoir.
Bien sûr, je ne prétends pas être représentatif de tous ceux
qui ne sont pas de droite. Mais je crois que tous ceux qui se sont fait avoir à
la présidentielle de 2002 ne retomberont pas automatiquement dans le panneau.
Marine Le Pen fait nettement moins peur que son père ; si la droite
modérée veut rassembler une partie de la gauche face à elle, il lui faudra donc,
logiquement, un candidat qui ne sera, au pire, pas plus repoussant que ne l’était
Chirac. Et la non-opposition à la loi Taubira fera justement office de marqueur
politique.
L’équation va devenir très difficile à tenir pour les chefs
de file des opposants à la loi. On voit bien que les candidats sérieux de l’UMP
ne vont pas leur donner satisfaction : soit, comme Juppé, ils leur
opposeront une fin de non-recevoir ; soit, comme la plupart des autres,
ils chercheront à ne fâcher personne. Mais le sujet est probablement trop
clivant, trop polémique pour que les opposants se contentent de vagues
promesses. Inversement, s’ils ne s’en contentent pas, que peuvent-ils faire ?
S’ils présentent une candidature autonome, ils apparaîtront immédiatement comme
les diviseurs de la droite et feront courir à leur camp le risque d’un 21 avril
à l’envers : de quoi les discréditer durablement.
Alors que la gauche, modérée comme radicale, est
globalement unie dans le soutien à la loi Taubira, cette dernière reste donc
une énorme épine dans le pied de la droite, modérée comme radicale – à tel
point qu’elle pourrait bien leur coûter la victoire en 2017. Un coup de maître,
je vous dis.
Bahhh depuis que tu as écris ce texte, Marine le Pen semble avoir décidé d'abroger la loi Taubira si elle arrive au pouvoir !!
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