Pendant très longtemps, j’ai profondément respecté le
militantisme, quelle que soit la cause défendue. Probablement en partie parce
que je suis très militant moi-même, et surtout parce que je défends des idées généralement
très mal vues, j’étais tolérant envers les autres « militants des
mauvaises causes ». Même ceux avec lesquels je me sentais le moins de
choses en commun, ceux de la droite radicale par exemple : à chaque fois
que je voyais qu’ils se battaient par réelle conviction, qu’ils luttaient pour
le bien commun et non pour défendre un intérêt particulier, je me disais que
cela valait mieux que l’inaction apolitique (attitude la plus répandue de nos
jours) ou la lutte égoïste pour la perpétuation de privilèges (seconde attitude
la plus répandue). Eh bien les « manifs pour tous » ont réussi l’impossible :
me faire douter de cet a priori
favorable, de cette bienveillance instinctive.
Déjà, en voyant les opposants au mariage et à l’adoption
pour les couples homosexuels, en voyant ces centaines de milliers de personnes dans
les rues, je me disais que tout de même, toute cette énergie était bien mal
employée. C’est le nombre qui m’a fait basculer : quelques dizaines de
militants qui consacrent leur vie au but d’étriper les banquiers ou de chasser
les étrangers de la mère patrie, ce n’est pas mon truc (encore que les premiers…),
mais j’admire le dévouement à une cause, et je me dis que de toute manière,
militeraient-ils ailleurs que ça ne changerait pas grand-chose.
Alors que contre la loi Taubira, pardon mais on ne jouait
pas dans la même cour. Et c’est là qu’arrive l’irrépressible regret : sur
tous ces manifestants, une très grande majorité étaient chrétiens ; honnêtement,
si le Christ revenait aujourd’hui sur Terre, est-ce vraiment le mariage pour
tous qui le scandaliserait le plus ? Franchement, qui peut croire que c’est
le principal crime, ou même un des principaux crimes, que commet l’humanité en
ce moment ? Qui peut croire que c’est l’urgence, la priorité ? Tout
le monde connaît ma position, et je l’ai largement argumentée sur ce blog ;
mais même si l’on n’est pas d’accord avec moi, même si l’on pense sincèrement que
le mariage et l’adoption d’enfants par les couples homosexuels sont une
mauvaise chose, comment peut-on croire que c’est plus grave que, mettons, la
destruction de notre environnement, les inégalités entre les hommes, la crise économique,
le délitement du lien social ?
Si tous les opposants à la loi Taubira avaient déployé la même
énergie pour ces causes évidemment plus importantes, ils auraient davantage
fait progresser les choses. Certaines associations, avec une cinquantaine de
militants dévoués, verraient leur efficacité multipliée par cent. Si quelques dizaines
de militants des JNR ne changeraient pas le cours des choses en militant
ailleurs, ces centaines de milliers de personnes pourraient le faire, si elles
plaçaient leur énergie au bon endroit.
Et maintenant, voilà qu’ils ont enfourché un nouveau cheval
de bataille, aussi boiteux que le précédent : la lutte contre la « théorie
du genre ». Si la chose était possible, je dirais que ce combat est encore
plus stupide que le précédent. Encore, quand ils se battaient contre le mariage
des couples homosexuels, ils se battaient contre quelque chose qui existait ;
alors que là, même pas. Car la théorie du genre, ça n’existe pas. Il n’y a
aucune « théorie du genre » cohérente et unifiée, comme il y a une
théorie de l’évolution des espèces ou une théorie de la relativité générale. Il
n’y a que des études de genre.
Bien sûr, ces études scientifiques, universitaires, ont quelques
points communs. Mais pas ceux que leurs prêtent leurs adversaires, qui bien souvent
n’en connaissent strictement rien. Par exemple, les études de genre ne nient
pas la réalité biologique que constitue la différence des sexes, ou les
éventuelles conséquences déterminées par cette réalité ; seule une infime
minorité va dans ce sens.
Alors quoi ? À dire le vrai, il n’y a pas de quoi
fouetter un chat : comme leur nom l’indique, ce qui unit les études de
genre, c’est… d’étudier le genre, c’est-à-dire les différences socialement
construites entre hommes et femmes. C’est ça, le « genre », ni plus,
ni moins : ce qui, dans les différences entre hommes et femmes, entre
masculin et féminin, relève non pas de la biologie mais de la société, non pas
de l’inné mais de l’acquis, non pas du donné mais du construit. Honnêtement,
qui peut prétendre que le genre n’existe pas ? Qui peut prétendre que
tout, intégralement tout, dans les différences entre hommes et femmes, vient de
la nature et de la biologie ? Que les hommes soient naturellement plus forts
que les femmes, on peut encore l’admettre ; mais qu’ils soient naturellement
plus enclins à des études scientifiques, quand les femmes pencheraient
naturellement vers des études littéraires, ça non, ne serait-ce que pour une
raison : c’est qu’il n’y a rien de moins naturel, à la base, que des
études, qu’elles soient scientifiques ou littéraires…
Bref, prétendre que les différences entre hommes et femmes
relèvent exclusivement de la nature et pas du tout de la société serait
exactement aussi stupide que de prétendre qu’elles relèvent exclusivement de la
société et pas du tout de la nature.
Bien sûr, j’ai conscience de prêcher dans le désert. Ils
vont continuer à se battre, à manifester, à veiller, à prier pour rien. Pour
certains, sur un simple malentendu, sur une incompréhension, parce qu’on leur
aura bourré le mou sur quelque chose à quoi ils ne connaissent strictement rien
et qu’ils sont prêts à saisir le premier drapeau qu’on leur présente, pourvu qu’il
ressemble un peu à leur habit, et à foncer tête baissée avec. Pour d’autres,
pour des motifs beaucoup moins nobles : parce qu’ils redoutent les conséquences
prévisibles, et d’ailleurs déjà visibles, des études de genre.
Car elles ont, bien entendu, des conséquences concrètes :
de la même manière que la biologie a largement contribué à discréditer le
racisme, les études de genre sont en train de montrer que rien ne justifie les
inégalités entre hommes et femmes, ou que l’homosexualité n’a rien d’anormal,
etc. Pour tous les partisans du maintien des valeurs morales traditionnelles
façon béton armé, les études de genre sont donc évidemment dangereuses.
Mais elles sont aussi, pour les mêmes, une aubaine. Avec la
lutte contre le mariage pour tous, et malgré leurs dénégations, il y avait toujours
un soupçon d’homophobie. Tandis que là, aucun problème ! On ne prétend pas lutter contre des actes, des pratiques,
encore moins contre des personnes ; on prétend lutter contre une « théorie » ;
on se situe sur le plan des idées. Sans arrière-pensée, sans homophobie (puisqu’on
vous le dit). La « théorie du genre » permet aussi de faire remonter
une autre théorie, celle du complot : ses détracteurs ne perdent jamais de
temps pour vous dire qu’on en veut à vos enfants, à qui on va apprendre à
vouloir changer de sexe, ou qu’ils n’ont pas de sexe (on ne sait pas
tellement), voire qu’on va pouvoir violer légalement, puisque John Money, bien
sûr (alors que ce monsieur n’est pas du tout l’inventeur du concept de genre, même
s’il l’a utilisé). Et que
donc finalement, il est clair que la théorie du genre, c’est le nouveau totalitarisme.
Et voilà comment de vrais conservateurs, voire de vrais
réactionnaires, entraînent à leur suite des centaines de milliers de personnes qui
ne sont pas plus mauvaises que d’autres, mais qui sont tout bêtement très mal
informées.
On va donc en rester là : avec d’un côté des associations,
des mouvements, des leaders sans partisans, ou avec trop peu de partisans, donc
trop peu d’énergie ; et de l’autre, des troupes immenses, dont une grande
part est de bonne volonté et pourrait rejoindre les premiers, si elle était un
peu mieux informée. C’est la vie. Mais c’est triste.
Pour info, pour ceux qui aiment veiller, l’Association
des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT) organise dans la nuit du 22
au 23 juin la 8e Nuit des Veilleurs contre la torture. Allez-y,
veillez pour quelque chose qui en vaut la peine. Pour les cathos qui veulent s’engager,
la Conférence Catholique des Baptisés Francophone (CCBF) promeut la prise de
conscience, l’expression libre et l’action autonome des baptisés au sein de l’Église
catholique romaine ; elle mérite votre soutient. Et plus généralement,
pour tous ceux qui aiment militer, Tol Ardor recrute.
Encore une fois, je suis entièrement d'accord avec vous.
RépondreSupprimerEn tant que membre de l'Acat et "veilleuse Acat" , je me suis élevée dans un texte posté sur mon blog contre l'emploi de ce mot 'veilleurs' par ceux de la manif.
( je suis membre de la CCBF).
Bonjour Meneldil,
RépondreSupprimerMerci pour cette démystification. A noter : la parution d'une série d'articles par les chrétien-ne-s de FHEDLES et David et Jonathan sur le concept de genre envisagé de manière positive.
C'est ici : http://fhedles.fr/affiche/notre-publication-le-genre-dans-tous-ses-etats-fhedles/
Gonzague