Est-ce parce que je suis sérieusement en pétard à cause des
propositions indécentes que le gouvernement fait pour renouveler le statut des
enseignants à Mayotte ? Toujours est-il que je ressens l’impérieux besoin
de secouer mes potes (dans le métier on dit « mes collègues » ou « mes
camarades », selon les circonstances) syndicalistes, et de leur hurler :
mais tonnerre de Brest, faites enfin votre boulot !
Syndiqué moi-même, j’entends souvent les copains se plaindre
de leur prétendue impuissance et geindre doucement : « ah là là, on n’arrive
pas à mobiliser… » Ben oui, banane ! évidemment que t’arrives pas à
mobiliser. Que nous proposent les syndicats ? Un jour de grève par-ci, un
jour de grève par-là. En insistant bien : surtout, ne restez pas chez
vous, hein ! Venez manifester ! Et une fois le jour de grève et la
manif faits et peu suivis, chacun rentre bien gentiment chez soi et retourne au
turbin le lendemain.
Mais franchement, quel intérêt ? Aucun, strictement
aucun. Un jour de grève isolé, c’est un jour de salaire perdu pour ceux qui travaillent,
donc un jour de salaire gagné pour ceux qui nous emploient. Premier bon point
pour le gouvernement. On ne fait pas chier grand-monde : les élèves sont
fous de joie, les parents râlent, mais pas trop puisque le lendemain, leurs
mioches ont de nouveau un enseignant face à eux, ce qui est la seule et unique
chose qui les intéresse. Donc, second bon point pour le gouvernement, tout le
monde est à peu près content. Et les revendications des grévistes, pendant ce temps ?
Eh bien le ministère s’en tamponne l’oreille avec une babouche, et regarde les
manifestants d’un œil amusé, le sourire aux lèvres, en murmurant la devise de
toutes les démocraties : « cause toujours… »
Il faut donc être réaliste. Si nous, enseignants, voulons être
entendus, si nous voulons voir nos revendications vraiment prises en compte, il
faut toucher les rectorats et le ministère, les frapper là où ça fait mal.
Notre mécontentement, ça leur en touche une sans faire remuer l’autre. Les
conséquences de leurs réformes, pareil. Qu’est-ce qu’il nous reste ? Une seule
option : mécontenter les parents. Pour ça, que faut-il ? Que leurs
enfants n’aient, intensément et durablement, pas de profs devant eux. Et ça, ça
marche : si chaque soir, petit chéri rentre à la maison en disant, tout
heureux : « aujourd’hui, j’ai eu que deux heures de cours ! »,
là croyez-moi, les parents vont grincer des dents.
Le problème, c’est qu’évidemment, on ne peut pas faire grève
indéfiniment. On n’est pas assez bien payés, même à Mayotte, pour avoir
accumulé des réserves suffisantes pour arrêter le travail pendant un mois. Pour
pallier ce problème, il y a longtemps que les travailleurs ont inventé la grève
tournante : chacun fait grève un jour dans la semaine, en organisant des
rotations ; ainsi, chacun ne perd que quatre ou cinq jours de salaire par
mois, ce qui est tout à fait supportable, mais le système est perturbé sur la
durée.
Et là, je me pose une question : est-ce que les
syndicalistes ont réalisé à quel point ce système était redoutable dans la main
des profs, ou est-ce qu’ils sont trop bêtes même pour ça ? On tient là un
moyen imparable, une arme de destruction massive, et non seulement on n’y
touche jamais, mais on n’en fait même pas un usage dissuasif ! Moi, ça me
rend dingue.
J’explique pour ceux qui n’ont pas suivi. Tout tient dans une
particularité du métier d’enseignant : on ne travaille pas autant chaque
jour. Certains jour, on ne vient pas du tout dans l’établissement ; d’autres,
on peut avoir jusqu’à huit ou neuf heures de cours. Bref, la moitié, ou
quasiment la moitié, de notre service hebdomadaire.
Vous voyez où je veux en venir ? La mécanique est très
simple : les syndicats déposent un préavis de grève illimitée ; à
partir de là, les profs sont couverts et peuvent légalement faire grève quand ils
veulent. Chaque prof choisit ensuite le jour de la semaine où il a le plus d’heures
de cours et fait grève ce jour-là et uniquement ce jour-là.
Bilan des courses : chaque prof perd 4/30 ou 5/30 de
son salaire, mais entre 1/5 et la moitié de son emploi du temps. Bref, pour une
perte salariale minime, on supprime un maximum de cours. Deux petits
ajustements pour finir :
1/ Les profs qui ne pourraient vraiment pas, financièrement,
perdre 4/30 de leur salaire, pourraient ne faire grève qu’une fois toutes les
deux semaines ;
2/ En cas de grève illimitée, l’employeur a le droit de
retenir le salaire jusqu’à la reprise effective du travail. Autrement dit, si
vous faites grève le vendredi et ne reprenez les cours que le lundi, vous
perdez trois jours de salaire au lieu d’un. Réponse simple : chaque prof
fait grève le jour où il a le plus d’heures de cours et où il travaille le lendemain. On ne perd pas beaucoup en
efficacité.
On peut tenir ainsi quasiment indéfiniment, en désorganisant
en profondeur le système. Bien sûr, cette méthode est catastrophique pour le
métier en termes d’image. Mais franchement, dans la situation actuelle, je
crois que le gouvernement ne nous laisse pas d’autre choix.
Camarades syndicalistes, s’il y a une faille que je ne vois
pas, dites-la moi, et s’il n’y en a pas, diffusez l’idée !
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