Mais de quoi se plaignent les Hongrois ? En 2010, lors des élections législatives, ils ont donné 52% de leurs voix au Fidesz, parti conservateur qui ne faisait pas mystère de ses positions de droite, disons, dure. Ce parti a obtenu 263 sièges au Parlement sur 386, davantage donc que la majorité qualifiée des deux tiers (258 élus). Logiquement, Viktor Orbán, chef de file du Fidesz, est devenu ministre-président.
Depuis, il a appliqué son programme préfasciste. Il ne cesse de stigmatiser les Roms. Il a pondu une réforme de la Constitution qui transforme la « République de Hongrie » en « Hongrie », piétine l’indépendance de la justice et l’équilibre des pouvoirs, introduit la possibilité d’un emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle, interdit le mariage homosexuel, ne mentionne pas l’orientation sexuelle dans son article sur les discriminations, remet l’avortement en question. Ce texte place également un grand nombre de choix politiques en-dehors des compétences d’une majorité simple au Parlement, réduisant ainsi les marges de manœuvre d’un futur gouvernement dirigé par un autre parti. Cette Constitution a été adoptée en urgence, sans réelle possibilité de débat.
Viktor Orbán a également lancé une réforme du contrôle des médias qui a déjà abouti à une censure très efficace. Un Conseil des Médias, nommé par le premier ministre (une garantie d’indépendance…), décide par exemple de l’attribution des fréquences radio selon un système de points qui privilégie les stations qui diffusent des informations locales et consacrent au moins 60% de leur temps d’antenne à la musique. Ce système a permis d’ordonner la fermeture de Klubradio, la dernière radio politique indépendante du pouvoir. Plus généralement, une véritable purge est actuellement en cours dans les médias hongrois pour en éliminer tous les dissidents.
La situation hongroise valide ainsi un certain nombre de points importants de la pensée politique ardorienne :
1/ L’idée que les démocraties peuvent parfaitement mener à une restriction des droits fondamentaux. C’est le cas avec la censure contre les médias ou les attaques contre les homosexuels ou les Roms ;
2/ L’idée que les démocraties peuvent se « suicider » légalement, c’est-à-dire organiser dans le cadre légal et de manière démocratique la fin du régime démocratique lui-même. C’est partiellement le cas avec le grand nombre de questions qui ne pourront plus être modifiées par une future Assemblée dirigée par une majorité simple, ce qui constitue bien une nette diminution du pouvoir d’élus futurs au profit des élus actuels, et donc une perte démocratique.
A présent, la situation est incertaine. Une partie de la population hongroise commence enfin à protester et à manifester. La Commission européenne proteste. Les Etats-Unis protestent. Mais il faut remarquer deux choses.
D’abord, il est loin d’être certain que ces mouvements de protestation aboutissent à quoi que ce soit de tangible. Le plus probable est que le gouvernement Orbán fera avec la Constitution comme il a fait avec la loi sur les médias : quelques concessions de façade qui permettront de faire passer l’essentiel de la pilule.
Ensuite, et surtout, il faut bien comprendre que si, par extraordinaire, M. Orbán et ses troupes pliaient, malgré l’écrasante majorité dont ils disposent, ce serait sous le poids de la rue, de puissances étrangères comme les Etats-Unis et d’autorités non élues comme la Commission. Bref, si la démocratie finissait par vraiment subsister en Hongrie, ce serait à l’encontre des élus du peuple, donc à l’encontre de la démocratie elle-même et grâce à des forces non démocratiques.
Pas d'accord, évidemment : on parle de démocraties libérales, ou d'oligarchies qualifiées de démocratie, mais nous sommes d'accord sur le fait que ce n'en sont pas.
RépondreSupprimerSinon, comme tu dis dans un autre article, on demanderait son avis au peuple pour les chantiers importants. Or non, on leur demande pas.
C'est simplement, pour moi, l'avant-garde non-éclairée des oligarchies européennes : tendre à la conservation de ses intérêts via la valorisation de l'instinct, de la race, de la nationalité ou des pulsions (rayer la mention inutile) chez le peuple et par l'adoption de lois, règlements, constitutions autoritaires et sécuritaires.
L'idiot utile de l'autoritarisme étant chez nous le culte de la consommation et autres futilités qui rendent la démocratie fatigante. (faut se déplacer, faut faire des choix soi-même, réfléchir, et comme y'a Koh Lanta à la télé, ce serait mieux de déléguer à des gens qui savent, non ?)