Je viens de finir de corriger mon lot de copies du brevet
des collèges, et le moins qu’on puisse dire est que ceux qui le décrocheront
cette année n’auront pas de quoi l’exposer au-dessus de la cheminée.
Tout un chacun peut déjà se désoler sur la facilité
déconcertante des épreuves en elles-mêmes. Ainsi, comme repères géographiques,
on demandait cette année aux élèves de nommer l’océan indien, l’océan
atlantique, l’océan pacifique, les États-Unis, la Chine et la Russie ;
difficile de ne pas décrocher les 3 points accordés. Je ne suis pas prof de
français, mais mes collègues m’ont fait part des mêmes remarques quant à leur
épreuve.
Ce que les gens ne voient pas, en revanche, ce sont les
barèmes. Là, on entre dans quelque chose d’encore plus pervers, car a priori caché ; et ceux qui
peuvent en avoir un aperçu ne sont pas déçus du voyage.
Ainsi, cette année, on demandait aux élèves ayant choisi
l’épreuve de géographie de « composer » (les guillemets sont là pour
souligner le peu qu’on demande dans un « paragraphe argumenté ») sur
la puissance économique et commerciale de l’Union européenne. Mais le corrigé
officiel et le barème qui allait avec ne faisaient aucune référence aux limites de cette puissance. Par
conséquent, un élève qui ne parlerait que de la puissance en elle-même, sans
montrer que l’Union connaît tout de même quelques problèmes, pourrait très bien
avoir 10/10. En pleine crise de l’euro, la pertinence du raisonnement pose tout
de même question.
Dans le même ordre d’idée, mais peut-être encore plus grave,
l’an dernier, le sujet d’histoire portait sur la France de Vichy. Dans le
paragraphe argumenté, on demandait aux élèves de décrire et de qualifier le
régime de Vichy ; mais le barème ne mentionnait pas le caractère
antisémite de l’État pétainiste. Si un élève le mentionnait, cela lui apportait
une valorisation ; mais on pouvait avoir la totalité des points en
omettant cette réalité pourtant centrale. Serait-ce un… détail de
l’histoire ?
Dernière chose à remarquer : l’an prochain, les
épreuves du brevet vont changer. J’ai eu droit aux ébauches des nouveaux
sujets. Mieux ou moins bien ?
Il y a du mieux : on demandera davantage de
connaissances aux élèves. Ainsi, dans le sujet que j’ai eu en main, on attend d’eux
qu’ils datent les lois sur l’école de Jules Ferry et qu’ils en expliquent
l’importance dans l’histoire de la République. Comme ils n’ont pas de document
pour les aider, il faudra bien qu’ils maîtrisent ces connaissances. En outre,
leur demander des explications, et pas seulement des dates, permettra d’éviter
le par cœur qui ne permet pas de comprendre.
Mais il y a aussi du moins bien, en particulier concernant
le travail de rédaction. Déjà, dans l’ancien brevet, on ne leur demandait pas
une grosse réflexion. Mais enfin, le « paragraphe argumenté », comme
on l’appelait (très improprement, puisqu’il était justement censé se composer
de plusieurs paragraphes), exigeait tout de même (en théorie du moins) de
construire un raisonnement historique ou géographique. Dans les nouvelles
épreuves, on ne leur demande plus de réfléchir ou de construire un raisonnement
mais seulement de raconter, de poser une description d’une réalité.
Bref, voilà le nouveau brevet : plus de connaissances,
mais moins de réflexion. Le tout pour former des élèves ayant la tête bien
pleine, mais pas forcément bien faite. Ce n’est pas seulement grave pour ceux
qui iront au lycée et devront apprendre la méthode de la dissertation sans
passer par l’étape intermédiaire qu’était le paragraphe argumenté ; c’est
surtout grave parce que cela traduit une volonté très perverse au sommet de
l’organisation : on produit les citoyens qui réfléchiront le moins
possible. Après ça, on leur donne le pouvoir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire