mercredi 27 avril 2022

Les écologistes au piège de la crédibilité

En plein questionnement existentiel pour analyser la claque prise à la présidentielle, Europe-Écologie-les-Verts risque fort de manquer, encore une fois, l’essentiel. Et s’il y en a un qui est décidément à côté de la plaque, c’est Yannick Jadot. La baffe, c’est quand même surtout lui qui l’a prise, mais la remise en question ne semble pas pour demain. Une alliance aux législatives avec la France Insoumise ? Hof, « ça marchera pas ». En revanche, aider Macron ? Ah, oui, « s’il décide enfin d’agir pour le climat ». Eh ! le poste de Premier ministre est à prendre.

En écoutant plus attentivement ce qu’il raconte, par exemple sur France Inter hier, une chose ressort dont peu de gens parlent : l’obsession de cet homme, et du courant qu’il représente, pour la « crédibilité ». Pour lui, c’est clair, les écolos sont devenus « crédibles », « responsables », « sérieux ». C’est donc qu’avant, ou à une époque, ils ne l’étaient pas. Quand, et pourquoi ? Et d’opposer son camp, celui des écolos « responsables », à « la radicalité des postures », visant Mélenchon – il ne se remet par d’avoir rassemblé près de cinq fois moins de voix que lui.

Yannick Jadot aurait dû se pencher un peu plus sur l’histoire du Parti socialiste pendant ces cinquante dernières années ; ça lui aurait appris que cette histoire de responsabilité a précisément été le piège dans lequel est tombée la social-démocratie en son temps.

Petit retour en arrière. En 1981, François Mitterrand est élu Président de la République. Non seulement c’est la première fois qu’un socialiste est porté à la magistrature suprême sous la Ve République, mais encore il l’est sur un véritable programme de gauche : nationalisations de banques et d’entreprises, passage aux 35 heures, planification économique, et j’en passe. Soutenu au second tour par Georges Marchais et le PCF, à l’époque où, rappelons-le, ils approuvaient toujours l’URSS et appelaient officiellement à la révolution, et même par Arlette Laguiller, Mitterrand a été élu dans l’angoisse de la droite, qui hurlait aux chars russes sur les Champs-Élysées.

Deux ans plus tard, crac ! tournant de la rigueur. À partir de cette date, et de plus en plus fortement à mesure que le temps passe, c’est au sein du PS la ligne des « sérieux », incarnée par Jacques Delors, qui l’emporte. Or, que signifie « sérieux » ? C’est très simple : ça signifie « de droite ». Être « sérieux », « crédible », « responsable » (déjà le mot était lâché à l’époque), c’est accepter la mondialisation, le libre-échange, les délocalisations, le pouvoir des actionnaires sur les entreprises et des entreprises sur les États et les corps sociaux – bref, c’est la défense du Système, et c’est la droite.

On a retrouvé le même schéma avec François Hollande, qui a été élu sur un programme de gauche et de rupture, avant de mener une fois au pouvoir une politique de droite et de Système – une politique « responsable ».

L’alignement du PS sur cette ligne « sérieuse », pro-Système, et de droite, a eu des conséquences apparemment paradoxales : il a permis au parti, qui n’était plus un danger, de se maintenir au pouvoir, mais au prix du renoncement à son propre programme, donc d’une déconnexion progressive de son électorat, qui se sentait trahi à juste titre, et donc d’une érosion de ses résultats électoraux, jusqu’à l’effondrement absolu que représente la présidentielle 2022. Comme cela a été maintes fois répété, l’alternance a tué l’alternance : les électeurs, voyant que le PS menait à peu de choses près la même politique que la droite, en tout cas en matière d’économie, sont allés voir ailleurs.

Le « sérieux » a donc été un piège mortel pour la social-démocratie, sommée de se renier pour être « responsable », ce qui ne pouvait se traduire que par le divorce entre ceux qui voulaient rester de gauche et ceux qui voulaient être sérieux.

L’écologie politique est en train de se débattre dans ce même piège exactement. Certains veulent à toute force gouverner, et pour cela, ils sont prêts à tout renier, ne comprenant pas que le projet écologistes ne sera jamais assez « sérieux » aux yeux du Système, c’est-à-dire assez conforme au Système. Il n’y a qu’une seule solution, une seule : envoyer valdinguer cette accusation en affirmant clairement qu’au vu des résultats de la recherche scientifique, la seule position crédible, sérieuse, responsable, est précisément celle de la radicalité. Les écologistes mous comme Yannick Jadot sont coupables avant tout d’avoir accepté les termes du débat imposés par les plus farouches adversaires de l’écologie politique en acceptant d’opposer radicalité et crédibilité, alors que toute position qui n’est pas radicale n’est pas non plus crédible.

Si l’écologie politique ne sort pas très rapidement de ce piège, elle subira les mêmes conséquences que le Parti socialiste en son temps : elle n’appliquera pas son programme, et elle perdra ses (rares) électeurs. Choisissant le déshonneur, elle aurait aussi la défaite.

 

Rare image de Yannick Jadot pris au piège du Système.


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