mardi 12 avril 2022

Deux conseils aux écolos suite à la présidentielle - N°1 : divorçons !

 « Tout royaume divisé contre lui-même court à la ruine ; et nulle ville, nulle maison, divisée contre elle-même, ne saurait se maintenir. »

 Évangile selon Matthieu, 12, 25


Dans mon dernier billet de blog, j’analysais la ruine du Parti socialiste et des Républicains comme étant avant tout le résultat d’une incohérence idéologique. Ces deux partis ont été, de plus en plus nettement au cours des quarante dernières années, divisés chacun en deux camps irréconciliables : d’un côté ceux qui, de manière assumée ou non, s’accommodaient très bien du Système et ne voulaient surtout pas le changer ; de l’autre, ceux qui voulaient au fond en sortir et construire autre chose à sa place.

Au PS comme chez les Républicains, les partisans du Système tenaient le haut du pavé et, quand ils parvenaient à prendre le pouvoir, menaient la même politique de perpétuation du Système, avec quelques ajustements mineurs – ce qui explique qu’ils se soient finalement tous très bien retrouvés chez Macron, qui a su leur montrer qu’il n’y avait pas grand-chose pour les séparer, et qu’ils avaient beaucoup à gagner à quitter les ruines de leurs partis respectifs pour s’unir.

Au sein de chaque parti, les opposants au Système luttaient au contraire pour des visions diamétralement contraires, quoique symétriques précisément par leur volonté d’en sortir : à gauche, on voulait baser un nouveau monde sur l’égalité ; à droite, on voulait le faire sur l’identité.

Entre les deux, le divorce était inévitable : les anti-Système sont partis chez Mélenchon pour les socialistes, chez Le Pen pour les Républicains ; les partisans du Système se sont joyeusement retrouvés chez Macron ; et les quelques-uns qui ont refusé le divorce et cru qu’on pouvait encore sauver le couple se sont fait laminer dimanche dernier, et sont dans l’état qu’on sait.

Eh bien c’est précisément le même danger qui guette les écologistes. Car il n’y a pas une écologie politique, il y en a deux. Comme je le montrais dans mon livre L’Écologie radicale expliquée à ma belle-mère, l’écologie politique est fracturée par la même ligne que les autres partis : d’un côté, ceux qui s’accommodent du Système ; de l’autre, ceux qui veulent en sortir. D’un côté, ceux qui s’imaginent que la science et la technique finiront bien par trouver des solutions pour régler toutes les crises écologiques ; de l’autre, ceux qui estiment qu’on ne peut pas se permettre de risquer un tel pari. D’un côté, ceux qui pensent qu’à condition de voyager, de produire et de nous chauffer autrement, nous pourrons continuer à le faire autant ; de l’autre, ceux qui savent qu’on ne pourra pas s’en sortir sans voyager, produire et nous chauffer moins. D’un côté, ceux qui considèrent qu’on peut sauver la planète en conservant la croissance, l’industrie et le capitalisme ; de l’autre, ceux qui ont compris que telles étaient les racines de nos problèmes, et qu’en tant que telles ils ne pouvaient pas faire partie de la solution. Bref, d’un côté, ceux qui pensent que nous pourrons tout résoudre tout en conservant notre mode de vie, et même en l’étendant à toute l’humanité ; de l’autre, ceux qui, au nom de la lucidité, ne promettent rien d’autre que « du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. »

Disons-le tout net : ces deux écologies politiques sont irréconciliables. Non pas au sens où elles seraient ennemies l’une de l’autre ; non pas au sens où elles ne pourraient pas manifester ensemble, lutter ensemble, voire gouverner ensemble, comme les communistes ont pu gouverner avec les socio-démocrates ; mais au sens où elles sont séparées par un désaccord de fond et qui ne peut se résoudre par aucun compromis, par aucune vision synthétique ou médiane. Un gouvernement commun serait possible, mais il ne serait que le fruit d’un rapport de forces où un camp l’emporterait forcément sur l’autre, sans jamais parvenir à définir une politique qui satisferait réellement les deux.

Il serait grandement souhaitable que les écologistes comprennent cela tout de suite. Le PS a agonisé pendant des décennies de ne pas reconnaître ce désaccord de fond ; son aile gauche a espéré, sans relâche et sans succès, d’infléchir en profondeur l’orientation du parti. Élus sur des programmes de gauche, les partisans du Système ont, sans surprise, toujours mené des politiques de droite, ce qui d’une part a fait perdre un temps considérable, d’autre part a nourri une extrême défiance face à la politique ; autant éviter le bis repetita.

Amis écolos, divorcez maintenant : quand il est fait à temps, un divorce peut se faire à l’amiable. Croyez-moi, vous n’avez pas envie de faire durer ça autant que le PS, et de vous retrouver dans dix ans dans la situation de haine qui existe aujourd’hui entre quelqu’un comme François Hollande et quelqu’un comme Jean-Luc Mélenchon, qui ont justement accumulé bien trop de rancunes pour pouvoir jamais travailler ensemble de nouveau.

Ceux qui pensent qu’on peut garder la mondialisation, l’Union européenne avec ses règles actuelles, le capitalisme, l’industrie, la croissance, rejoignez La République en Marche : elle vous accueillera à bras ouverts, et tout sera plus clair. Vous pourrez y bénéficier d’un courant, ou d’un micro-parti, comme le Modem, l’UDI, Agir ou Horizons : il y a de nombreuses demeures dans la maison de Macron. Vous pourrez appeler ça « L’écologie de progrès » ou « Verdissons enfants » ; le si nécessaire greenwashing ainsi que la menace permanente de voir votre petit groupe faire sécession obligeront les grandes instances à infléchir un peu leur politique dans votre sens et à vous réserver quelques sièges de députés, et vous pèserez du mieux que vous pourrez, en attendant que votre ligne devienne dominante au sein de cette belle famille pro-Système et de centre-droit. Alors, après avoir fait interdire le glyphosate dans les exploitations de plus de mille hectares quand vous étiez minoritaires, vous profiterez de cette nouvelle hégémonie pour frapper un grand coup en abaissant le seuil à 900 hectares.

Pendant ce temps, l’écologie de rupture pourra essayer de se construire. Elle ne vous fera pas d’ombre avant longtemps, je vous rassure : le discours sur le sang et les larmes, ça marche quand on est vraiment sous les bombes, pas quand la menace est encore à quelques kilomètres. Il a fallu attendre mai 1940 pour que le Royaume-Uni choisisse Churchill comme premier ministre ; jusqu’alors, c’est-à-dire jusqu’au tout dernier moment, il avait préféré le très immobiliste Chamberlain.

Évidemment, dans les circonstances actuelles, cette stratégie fait un peu peur. C’est sûr qu’à 4,63%, EELV est comme un couple très pauvre qui se dit que le divorce, c’est au-dessus de ses moyens. Mais c’est tout le contraire ! Soutenus par un beau et gros parti de centre-droit, les écologistes du Système arriveront sûrement à négocier plus de députés qu’ils n’en auront au soir du 19 juin.

Quant aux anti-Système, ils n’atteindront évidemment pas tout de suite le seuil des 5%, mais qu’est-ce que ça changera ? Ce n’est pas comme si demain leurs frais de campagne allaient être remboursés. Au moins, ils pourront parler clairement, et ils rassembleront probablement des gens qui ne veulent certainement pas voter pour ce qu’est devenu EELV. Car soyons francs : si le parti avait choisi Delphine Batho comme candidate et avait porté un programme de décroissance, je n’aurais pas considéré que le programme le plus véritablement écologiste était celui d’un autre candidat, et j’aurais voté pour eux.

Ça aussi, je le disais dans mon livre : l’écologie radicale, celle qui a compris qu’on ne gagnerait pas la partie en respectant les règles du jeu, est pour le moment une nébuleuse complètement atomisée. Elle a besoin, un besoin vital, de se structurer et de s’organiser. Pour cela, la première chose à faire, c’est de se débarrasser de ceux qui, foncièrement, ne sont pas d’accord avec nous sur la base, le socle, l’origine de tout. Arrêtons de pinailler pour savoir si nous sommes pour la PMA ou l’écriture inclusive ; demandons-nous si nous sommes pour la croissance. Entre opposants à la croissance, on trouvera moyen de s’arranger sur ce qui, au fond, reste secondaire. Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat.

Alors c’est sûr, cette stratégie ne nous fera pas gagner la présidentielle dans cinq ans. Il est clair que dans un pays où on accuse les écologistes d’être devenus fous dès qu’ils proposent de supprimer un sapin de Noël ou une compétition sportive, alors qu’on va vers un monde où il y aura forcément une machine à laver pour trois familles, une voiture pour dix, et des voyages en avion pour aucune, il va en falloir, des canicules, pour faire bouger les pourcentages.

Mais dites-vous deux choses. La première, c’est qu’on n’a jamais rien à gagner en politique à ne pas être clairs, à ne pas assumer ce qu’on pense, et à trop cacher son jeu ; rien d’autre, en tout cas, qu’un petit pouvoir qui n’en est même pas un puisqu’on ne peut rien en faire, et que la déception de ceux qui nous ont soutenus. La seconde, c’est que dans les partis qui ont entretenu l’ambiguïté, les modérés, les mous, les partisans du Système, l’ont toujours, toujours, emporté. Parce qu’ils proposent la voie de la facilité.

Trois ans, a dit le GIEC. Nous n’avons pas le temps.
 
© AFP - Xose Bouzas

 

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