Jules Renard écrivait dans son journal :
« J’ignore si [Dieu] existe, mais il vaudrait mieux, pour son honneur,
qu’il n’existât point. » On retrouve l’idée sous une autre forme :
« Je ne sais pas si Dieu existe ; mais s’il existe, j’espère qu’il a
une bonne excuse. » La citation est attribuée tantôt à Woody Allen (mais
la source n’est pas citée), tantôt à Pennac, dans La fée carabine. J’avoue que j’ai la flemme (et pas le temps) de
vérifier. De toute manière, cela illustre bien la célèbre citation de Napoléon
Bonaparte (ou Albert Einstein, c’est selon) : « le problème avec les
citations trouvées sur Internet, c’est qu’on n’est jamais sûr qu’elles soient
authentiques. »
Bref. Ce n’est pas franchement pour parler de la canonicité
des citations que j’ai commencé ce billet. Au-delà de la question de son
auteur, cette citation porte une vérité : quand on regarde le monde, le
mal et les souffrances dont il est plein, on a un peu de mal à adhérer à l’idée
d’un Dieu tout-Amour et tout-puissant.
Le christianisme catholique apporte à la présence du mal
dans le Monde un début de réponse par la liberté des hommes : Dieu a voulu
les hommes libres, donc Il ne peut que les laisser faire le mal si tel est leur
choix.
Mais cela n’explique pas à la présence des souffrances qui
ne dépendent pas de l’homme : celles qui découlent des épidémies, des
catastrophes naturelles etc. À cela, Tolkien, dans sa mythologie, apporte un
complément de réponse. Pour lui, les Ainur, c’est-à-dire les anges, ou les
dieux, ont participé à la Création du Monde : ils ont chanté le thème
musical que Dieu leur a proposé et auquel Il a ensuite donné Être. Parmi eux se
trouvait Melkor, l’ange rebelle qui refusait de chanter sur le thème proposé
par Eru ; en incarnant le Chant des Ainur, dans sa totalité, sous la forme
de l’Univers, Dieu a donc également donné Être au chant rebelle de Melkor. Pour
Tolkien, le mal est donc constitutif de la nature du Monde – c’est ce qu’il
appelle « Arda marrie » –, ce qui explique que ce dernier doive être brisé
à la Fin des Temps, puis reconstruit.
C’est là une explication théologique – elle vaut ce qu’elle
vaut –, mais est-ce une excuse ? Expliquer la présence du mal et de la souffrance
dans le Monde, est-ce suffisant pour excuser Dieu de l’avoir créé ?
Une première réponse consiste à dire que si vraiment il
existe un Dieu créateur, et si, comme je le crois, chacune de Ses créatures est
promise à une vie éternelle et heureuse – j’en entends déjà certains me dire
que ça fait de bien gros « si » –, toutes les souffrances du monde ne
sont que peu de choses – presque rien, même – en comparaison. Bien sûr, dire
cela peut paraître dur, froid, insensible, et on va m’accuser de parler du haut
de mon bonheur. C’est vrai – mais peut-être aussi que le moment où on souffre n’est
pas forcément le meilleur pour réfléchir sereinement sur la nature de la
souffrance, de même qu’un père qui vient de perdre son enfant n’est pas le
mieux placé pour rendre la justice.
L’analyse lucide est sans ambiguïté : même en imaginant
les pires souffrances possibles en ce monde, elles sont forcément limitées en
nombre, en durée et en intensité. Qu’est-ce qu’une souffrance limitée, si
abominable puisse-t-elle paraître sur le moment, face à une éternité de bonheur ?
Presque rien, car ce qui est fini n’est presque rien face à ce qui est infini. Malgré
la présence du mal dans le Monde, il semble donc clair que Dieu a bien fait de
le créer.
On pourrait peut-être se contenter de ce raisonnement ;
pourtant, le christianisme n’en reste pas là, et développe une vision qui, je
trouve, fait une part importante de sa force, de sa grandeur et un signe de sa
vérité. Car pour les chrétiens, Dieu est venu dans le Monde, et Il y a
souffert.
Je ne suis pas de ceux qui disent que le Christ a vécu les
souffrances qui furent « les plus cruels et sensibles tourments que l’on
puisse imaginer, souffrant des tristesses, craintes, épouvantements, angoisses,
délaissements et oppressions intérieures qui n’en eurent ni n’en auront jamais de
pareils[1] » ;
à vrai dire, je ne trouve pas ce genre de compétition très intéressant, et je
crains qu’on ne manque l’essentiel en s’y adonnant. Mais tout le monde peut s’accorder
à dire que les souffrances du Christ furent réelles et atroces ; en
témoigne la phrase : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
La grandeur du christianisme, c’est donc la petitesse de
Dieu, parce que Dieu ne se contente pas de regarder nos souffrances d’en-haut,
ni même d’y compatir comme Dieu ; Il vient les vivre comme homme. Il Se
rend solidaire, réellement solidaire, de Ses créatures et de Sa création.
L’Incarnation, la Mort et la Résurrection de Jésus sont généralement
expliquées par les chrétiens comme le geste de Dieu venant sauver les hommes et
leur offrir le pardon ; c’est cela, la Bonne Nouvelle, l’Évangile – au
sens étymologique – de Jésus : que Dieu nous aime, qu’Il nous aime tous,
inconditionnellement, et que malgré nos fautes, malgré le mal que nous faisons,
nous sommes tous déjà sauvés, déjà promis à la vie et au bonheur éternels. Et
sans doute, l’Incarnation, la Mort et la Résurrection sont aussi cela, quoique peut-être pas exactement de la manière qu’on a ordinairement de le comprendre. De toute manière, ce sont des réalités bien trop grandes
pour que je prétende jamais en faire le tour. Mais si Dieu vient nous y offrir Son
pardon, il me semble que, d’une certaine manière, Il vient aussi nous y demander
le nôtre.
Ça pourrait être tentant, mais tu fais à mon sens un raccourci facile et surtout que tu ne justifies absolument pas.
RépondreSupprimer"Presque rien, car ce qui est fini n’est presque rien face à ce qui est infini. Malgré la présence du mal dans le Monde, il semble donc clair que Dieu a bien fait de le créer."
C'est limité donc c'est bien ? En gros, l'argument c'est de dire que ça pourrait être pire ?
Ce n'est pas "c'est limité donc c'est bien", ni "ça pourrait être pire" : c'est "ce qui est limité ou fini ne pèse presque rien face à ce qui est illimité ou infini". Ce n'est pas du tout la même chose ! Et donc, une vie de souffrance, même très intenses, ne pèse presque rien face à une éternité de bonheur.
SupprimerC'est d'ailleurs un des arguments à l'encontre de l'idée de damnation éternelle : toute faute humaine, si grande soit-elle, est forcément limitée ; donc, une punition illimitée (comme la damnation éternelle) serait forcément injuste.
Non, tu complètes en disant "il semble donc clair que Dieu a bien fait de le créer."
SupprimerJe ne vois pas en quoi un mal, parce qu'il est limité, peut devenir un bien pour cette raison.
Parce que n'importe qui préférerait avoir une éternité de bonheur, même si elle doit être précédée d'une vie humaine de souffrances, plutôt que de ne pas exister du tout.
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerMerci pour ce partage, et vos pensées Meneldil. Comme d'habitude, vous sont fiables pour nous donner très intéressantes choses à penser. J'ai vraiment apprécié cette lecture.
RépondreSupprimerThank you, Bruno, it means a lot to me.
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