dimanche 21 mars 2021

Passeport vaccinal : pourquoi c'est non


J’en ai la preuve tous les jours, surtout en ce moment : sur un sujet comme les vaccins, pas facile de porter une position nuancée. Immédiatement, on risque d’être catalogué dans un camp : complotiste antivax d’un côté, chien de garde des lobbies pharmaceutiques de l’autre ; tout noir ou tout blanc, allié ou ennemi (donc à abattre), l’ambiance de pré-guerre civile que j’analyse depuis des années sur ce blog ne faiblit pas. Mais la politique, c’est beaucoup de pédagogie, et la pédagogie, c’est beaucoup de répétition ; répétons donc.

J’ai toujours eu très peur des maladies, et je ne suis pas anti-vaccins. Bien au contraire, je suis leur très ardent défenseur quand, en usage depuis longtemps, ils ont fait la preuve à la fois de leur innocuité et de leurs bénéfices. À titre personnel, et comme mes parents avant moi, j’ai fait faire à mes enfants, avant qu’ils ne soient obligatoires, tous les vaccins recommandés. La polio, le tétanos, la rougeole, la diphtérie étaient des horreurs qui tuaient chaque année des milliers d’enfants. Pour eux surtout, incapables par définition de faire un choix éclairé, il fallait que ces vaccins fussent obligatoires ; aussi me suis-je réjoui quand, en 2018, huit vaccins sont venus compléter les trois qui étaient obligatoires jusqu’alors : pas vraiment la position d’un anti-vaccin forcené ou d’un complotiste antiscience.

Concernant la covid, je ne nourris pas non plus une position extrême. Je ne nie ni le danger de la maladie, ni sa capacité à saturer notre système hospitalier. Je n’adhère à aucune des théories délirantes selon lesquelles le vaccin serait la pièce maîtresse d’un plan machiavélique des puissances occultes visant à nous contrôler. Je pense que les vaccins qui ont été inventés jusqu’à présent sont probablement, dans l’ensemble, plutôt efficaces et sans danger. Je comprends tout à fait ceux qui veulent se faire vacciner, je respecte leur choix, et je sais qu’une vaccination de masse est un pilier nécessaire de la sortie de crise.

Mais, il y a mais. Le « mais », c’est qu’on ne peut pas non plus faire l’impasse sur certains problèmes bien réels. Les vaccins contre la covid ont été créés dans le contexte d’une panique planétaire et ont été mis sur le marché via des procédures accélérées. Rien que ça, ce n’est pas anodin : si nous avons des procédures à respecter avant de mettre un nouveau médicament sur le marché, c’est parce que de telles procédures sont indispensables pour nous protéger. De deux choses l’une : soit elles sont trop lourdes, non nécessaires, et il convient de les alléger définitivement ; soit elles sont utiles telles qu’elles sont, mais alors une procédure allégée nous protège nécessairement moins bien.

Par ailleurs, tous les indicateurs scientifiques indiquent que la covid est relativement peu dangereuse pour une large partie de la population : au-dessous de 40 ans, sans surpoids, sans comorbidité, vous ne risquez pas grand-chose. Les variants viendront peut-être changer la donne, mais ce n’est pas encore fait. Pour cette catégorie de la population, le calcul n’a donc rien d’évident : d’un côté une maladie peu dangereuse pour vous, de l’autre un vaccin validé via une procédure d’urgence. Je respecte évidemment tous les choix, mais je ne respecte pas moins celui qui choisit de ne pas se mettre en danger, fût-ce pour faire avancer l’immunité collective.

Au départ, beaucoup nous ont dit qu’un vaccin n’avait jamais tué personne. C’est faux : en 1976, le vaccin contre la grippe porcine H1N1 a déclenché 532 cas de syndrome de Guillain-Barré, dont 25 mortels. Alors évidemment, sur 48 millions de personnes vaccinées, ce n’est pas grand-chose ; mais ça leur fait une belle jambe, aux morts et à leurs proches, de savoir qu’ils n’étaient pas nombreux ! Ce précédent justifiait, encore, une certaine prudence de ceux qui ne se sentaient pas personnellement menacés par le coronavirus.

Et quelques semaines plus tard, patatras ! prudence confirmée, on se met à suspecter des cas de thrombose potentiellement liés à l’un des vaccins mis sur le marché, celui d’AstraZeneca. On connaît la suite, son blocage par plusieurs pays, dont certains (certains seulement) l’ont remis en circulation après l’avis de la Haute Autorité de Santé (HAS). Mais comme toujours, le diable est dans les détails, et il faut se méfier des journalistes ou des internautes qui se contentent d’un lapidaire « c’est bon tout va bien, la HAS a validé le vaccin, circulez y a rien à voir ».

Que dit-elle, la HAS, dans son avis ? « Toutefois, le PRAC estime que la possibilité d’un lien entre le vaccin et des cas de coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) et de thrombose veineuse cérébrale (TVC) ne peut pas être écarté à ce jour. […] 18 cas de TVC et 7 cas de CIVD ont été signalés à l’EMA par les États membres et le Royaume-Uni sur environ 20 millions de personnes vaccinées par le vaccin AstraZeneca. Ces 25 événements ont entraîné le décès dans 9 cas. La quasi-totalité de ces cas sont survenus chez des personnes de moins de 55 ans […] En prenant comme référence l’incidence observée de ces événements avant la pandémie de covid-19 chez les personnes de moins de 50 ans, le PRAC a estimé que l’on aurait pu s’attendre en moyenne […] à moins d’un cas de CIVD et à 1,35 cas de TVC dans la population vaccinée alors que respectivement 5 et 12 cas ont été signalés dans cette tranche d’âge. Ceci correspond à un risque 5 fois plus élevé pour la CIVD et 8 fois plus pour la thrombophlébite cérébrale. »

C’est moi qui souligne à chaque fois, et c’est parfaitement clair : les chiffres semblent indiquer un lien entre vaccination et thrombose chez les moins de 55 ans. La préconisation de la HAS va dans le même sens : « L’EMA a toutefois identifié un possible surrisque de TVC/CIVD chez les personnes de moins de 55 ans. […] La HAS recommande à ce stade de n’utiliser le vaccin AstraZeneca que pour les personnes âgées de 55 ans et plus. » En d’autres termes, si vous avez moins de 55 ans, la HAS vous recommande de ne pas vous faire vacciner avec le vaccin AstraZeneca. Pourquoi, s’il ne présente aucun danger ? Évidemment, il s’agit d’un risque relatif : en valeur absolue, la probabilité de développer une thrombose mortelle suite à la vaccination demeure extrêmement faible, tout simplement parce que pas grand-chose multiplié par huit, ça fait toujours pas grand-chose. Mais là encore, allez dire aux parents, aux époux et aux enfants des morts qu’ils sont bien peu nombreux ! Si le lien entre le vaccin AstraZeneca et les thromboses devait être finalement vérifié, un fait demeurera : à la fin de la pandémie, certaines personnes seront mortes tuées par le vaccin, qui n’auraient pas nécessairement été tuées par la covid.

Je ne vais évidemment pas tomber dans le travers que je prétends combattre : nous n’avons guère de recul, et nous ne sommes encore certains de rien. Mais enfin, même sans être certains, ces chiffres ne justifient-ils pas, a minima, un peu de prudence ? On ne sait pas grand-chose. Rien qu’en France, on ne sait pas combien de personnes ont réellement eu la covid ; c’est peut-être beaucoup plus que ce qu’on a mesuré. On ne sait pas combien de personnes sont réellement mortes de la covid, et combien sont mortes seulement avec la covid. Il est donc impossible d’établir des statistiques précises qui permettraient d’estimer une probabilité, par exemple, de mourir de la covid, surtout en fonction de sa situation personnelle (jeune ou vieux, gros ou maigre, malade ou pas), puis de comparer cette probabilité à celle de mourir du vaccin.

Et donc, sans aucunement remettre en cause la stratégie vaccinale à l’échelle collective (stratégie que je soutiens, je le répète), il faut se rendre à l’évidence : à l’échelle individuelle, les maths seules ne sont pas d’un grand secours pour prendre une décision. C’est donc à chacun, en conscience, d’évaluer le risque qu’il prend, et qu’il fait prendre aux autres, d’un côté comme de l’autre, et donc de se vacciner ou pas.

Et c’est là qu’entre en jeu le passeport vaccinal. La seule conclusion possible de ce que je viens de dire, c’est qu’on ne peut pas imposer à des adultes un vaccin mis en circulation de manière accélérée et dont l’innocuité n’est pas encore parfaitement établie de la même manière qu’on impose aux enfants des vaccins bien plus anciens et pour des maladies beaucoup plus graves. Le choix de se faire vacciner ne peut être qu’individuel : pour ma part, j’admire l’altruisme de jeunes qui, ne se sentant aucunement menacés par le coronavirus, se font vacciner pour faire progresser l’immunité collective ; mais il ne me semble pas moralement admissible qu’en l’état actuel de nos maigres connaissances, l’État leur impose cet altruisme.

Et il faut aller au bout de la logique. Dire qu’on n’oblige personne à se vacciner, mais que ceux qui ne seront pas vaccinés perdront leurs autres droits fondamentaux – voyager, aller au cinéma, au théâtre ou dans les restaurants – c’est ni plus ni moins qu’une manière hypocrite de rendre le vaccin obligatoire : inacceptable. Si on en croit la récente consultation du CESE, les Français l’ont d’ailleurs bien compris ; grâce leur en soit rendue.