vendredi 16 novembre 2018

Petit message aux indignés du 17 novembre


À ceux qui m’ont demandé ce que je pensais du mouvement d’aujourd’hui, j’ai généralement répondu par cette caricature :


Quelque part, il me semble qu’elle se suffit à elle-même. Mais comme je ne veux pas être accusé de simplisme, développons un peu.

Qu’est-ce qui a lancé le mouvement populaire en question ? La hausse des prix des carburants. En soi, il y a là quelque chose d’indécent, et c’est ce que souligne la caricature. Rien, aucun des vrais enjeux de notre époque n’est capable de pousser des milliers de gens à bloquer le pays : ni les gosses qui meurent sous les bombes au Yémen, ni le massacre des forêts et de leurs habitants, ni les continents de plastique qui flottent dans le Pacifique ne les font réagir. Mais qu’on propose le Contrat Première Embauche, le mariage pour tous ou la hausse du prix du pétrole, là oui, les gens descendent dans la rue, et en masse, s’il vous plait.

Attention, je ne dis pas qu’ils ont forcément tort de le faire. Si j’ai soutenu avec ferveur le mariage pour tous, j’étais fortement opposé au CPE. En soi, ce n’est donc pas que la plèbe se mobilise sur ces causes qui est répugnant : c’est qu’elle ne se mobilise que sur ces causes, et jamais sur les véritables défis de notre époque, ceux qui sont d’une importance vitale pour nous et nos enfants. En soi, ça valide quand même pas mal de nos théories sur le fait que la majorité de la population, le nez dans le guidon de ses problèmes quotidiens, n’est pas apte à mettre en place les solutions qui permettraient de faire face à la Crise que nous traversons. Et je ne vous parle même pas des politiciens qui se mettent à la remorque du mouvement en essayant d’y grappiller des voix.

Ça, c’est une première chose. Mais ce n’est pas tout. Il reste à examiner la question de la hausse du prix des carburants en elle-même, sans se référer aux autres problèmes de société. Et de ce point de vue, on peut disserter pendant des heures pour savoir dans quelle mesure le diésel est responsable du réchauffement climatique, mais c’est de l’enculage de mouche avec du poil de brosse à dents. La réalité indiscutable et essentielle, c’est que ce qui contribue fortement à faire monter la température, c’est l’extraction du pétrole hors du sol et son rejet dans l’atmosphère, sous quelque forme que ce soit ; donc, tous les carburants fossiles ; donc la bagnole.

Attention, qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit. Je suis bien conscient que la société actuelle étant pensée pour la bagnole et pour ainsi dire selon cet unique critère, beaucoup de gens, surtout parmi les plus modestes, en ont un besoin vital. Je sais bien que pour eux, la hausse des prix de l’essence peut être dramatique. Et à eux, je ne jette pas la pierre. Je pense qu’ils ont tort de manifester, et surtout de ne manifester que pour ça, mais je comprends qu’ils le fassent.

Cela étant, il faut ouvrir les yeux : la hausse des prix des carburants est à la fois inéluctable et souhaitable. Inéluctable, parce que le pétrole se raréfiant, la simple loi de l’offre et de la demande suffira, sur le long terme, à en faire monter le cours. C’est d’autant plus vrai que nous commençons à avoir exploité à peu près tous les gisements faciles d’accès ; ceux qui s’ouvriront dans l’avenir nécessiteront des coûts d’extraction de plus en plus élevés. Ces coûts, il faudra bien les répercuter sur le prix du baril, donc de l’essence.

Et cette augmentation est de toute manière une bonne nouvelle. Les choses étant ce qu’elles sont, l’immobilisme social et politique étant ce qu’il est, la hausse des prix des carburants est un des principaux facteurs qui nous permettront, peut-être, de bâtir une société moins dépendante d’eux. Tant qu’ils resteront peu chers, nous n’aurons aucune raison de passer à un autre modèle de société. Comme pour le tabac, la hausse des prix sera forcément un des facteurs déterminants dans la baisse de l’addiction.

Reste l’argument de ceux qui disent que, dans le contexte politique actuel, il ne faut pas faire la fine bouche, et que tout ce qui peut déstabiliser le gouvernement est bon à prendre. À ceux-là, je dis : réveillez-vous ! Ouvrez les yeux ! Ce mouvement n’est le début de rien du tout. Tout comme les Nuits Debout ou le mouvement des Indignés, qu’on nous vendait comme le nec plus ultra de la révolte moderne, 2.0, hype, branchée, et dont il n’était pas bien difficile de deviner dès le début qu’ils se dégonfleraient comme des soufflés, le mouvement du 17 novembre n’est pas le Matin du Grand Soir. Bien au contraire, le pouvoir va prendre prétexte des violences qui ne manqueront pas de fleurir pour serrer les vis.

Pour plein de raisons à la fois conjoncturelles et structurelles – d’un rapport de forces très favorable aux élites, aux oligarques et au grand capital jusqu’au rejet en profondeur de la violence comme solution aux problèmes sociaux –, ce n’est pas par la révolution, fût-elle « citoyenne », que nous réglerons nos problèmes. La solution, si tant est qu’il y en ait une, elle est dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ; elle est dans la décroissance ; elle est dans les centaines de communautés de l’écologie radicale dispersées un peu partout. Elle n’est certainement pas auprès de ceux qui accommodent les vieilles sauces à la mode du jour : face à un mal vraiment nouveau, elle est auprès de ceux qui essayent d’inventer des recettes vraiment nouvelles.

2 commentaires:

  1. Les recettes vraiment nouvelles de ceux qui les essayent sont d'une dispersion et d'une faiblesse notoire: vous escamotez le fait que la violence la plus constante est celle que le pouvoir nous inflige. Le fait de s'en protéger implique, comme nous le constatons, le recours à une violence plus directe. Et le passé ne manque pas d'avancées sociales obtenues au prix de luttes et de violences assumées. Je ne crois pas un instant à la fin de l'Histoire: l'opposition à l'oppression procède d'un processus dialectique qui à permis d'en finir avec diverses formes d'esclavage...Il en subsiste, que vous évoquez par ailleurs avec lucidité. Elles accompagnent le développement technologique. Cependant je ne vois pas en quoi ses excès auraient gagné quelque autonomie par rapport à nos appétits démesurés, qu'ils s'appliquent à la domination d'autrui, à l'accumulation de capitaux, à la consommation, etc. Nos rapports sociaux n'étant plus nourris que des représentations mises en scène par le pouvoir et ses délégués, il est salutaire que le peuple s'insurge contre ceux qui le juge trop faible et trop aveugle pour s'en défendre. La révolte est un premier pas vers un changement dont il dépend de chacun d'entre nous qu'il soit salutaire.
    Le communautarisme survivaliste est sans doute une option de repli légitime, elle n'est en aucun cas la voie vers un changement ample et raisonné de culture tel qu'il préserve un avenir pour l'humanité.
    Cordialement.

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    1. Meneldil Palantir Talmayar3 décembre 2018 à 16:23

      A une époque, j'aurais été entièrement d'accord avec vous. Même aujourd'hui, je le suis encore très largement.

      Je ne crois pas non plus à la fin de l'Histoire, pas le moins du monde. La fin d'une ère, oui, mais de l'Histoire, certainement pas. De la même manière, que l'Histoire offre moult exemples d'avancées sociales obtenues au prix de luttes violentes, je n'en disconviens pas non plus.

      Il est important de comprendre que, pour moi, la violence n'est pas discréditée en soi : je reconnais parfaitement qu'il y a des cas où elle est une solution légitime, et même des cas où elle est la seule solution possible (je perds l'occasion de marquer un point Godwin, mais le cœur y est).

      Ce que je ne crois pas, en revanche, c'est que nous soyons dans une telle situation. Il me semble que, dans l'état actuel des choses, la violence est une fausse solution. Le rapport de forces est trop en faveur du capital et de l'oligarchie. Pire : la violence n'est pas qu'inutile, elle est contreproductive, car elle sert de justification au pouvoir pour durcir les lois sécuritaires et restreindre les libertés. En ce sens, et dans ce contexte, il me semble que la violence contribue à consolider le régime, et donc rend plus probable le basculement totalitaire qui est le pire qui puisse nous arriver. Mais encore une fois, je ne juge pas toute violence en soi, je juge la violence dans un contexte. Je ne la discrédite pas comme immorale ad vitam aeternam mais comme contre-productive dans un contexte donné.

      Enfin, vous dites que le communautarisme survivaliste n'est pas la voie vers un changement ample et raisonné de culture (on pourrait même dire de civilisation). Je suis bien d'accord avec vous. Seulement voilà : j'ai cessé de croire depuis assez longtemps déjà qu'il y eût quelque voie que ce soit vers un changement ample et raisonné de culture ou de civilisation tel qu'il préserverait un avenir pour l'humanité. La voie que j'ai choisie ne prétend pas être idéale : je crois seulement que les petits succès qu'elle pourra nous offrir sont les seuls et uniques que nous puissions raisonnablement espérer.

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