lundi 9 septembre 2013

La laïcité, inutile passion française

Vincent Peillon, notre bon et glorieux ministre (sallahou ’alayhi wasalam), s’attaque enfin à bras-le-corps aux vrais problèmes de l’école, et nous concède une Charte de la Laïcité à l’École. Déjà, rien qu’à voir les majuscules partout, on sent que c’est pas de la rigolade. Moi, quand j’écris « la volonté de Dieu », je ne mets pas de majuscule à « volonté » ; et même si je dois un jour en parler (ce qui est improbable), je n’écrirai pas Le Saint Pagne Que Portait Notre Seigneur Jésus-Christ Le Jour De Sa Crucifixion. Mais là, laïcité-laïcité, les majuscules sont de rigueur.

La laïcité, une vraie passion chez nous. Mara Goyet, la célèbre bloggeuse prof d’histoire-géo, dont je suis attentivement le blog (très souvent génial, drôle et pertinent) et que je salue au passage (salut collègue !), s’est fendue d’un article à l’occasion : 62 commentaires en deux jours ! Si seulement je faisais aussi bien… Par comparaison, ses trois billets précédents, qui portaient sur tout autre chose, avaient respectivement reçu 14, 12 et 10 commentaires (ce qui reste nettement mieux que mon propre résultat, hein).

C’est qu’on l’aime, notre laïcité. Les débats passionnés du début (1905, c’est pourtant pas la dernière pluie !) avaient fini par faire deux morts : André Régis et Géry Ghysel, victimes collatérales de la loi de séparation, avaient été tués en 1906, lors des manifestations visant à empêcher l’inventaire des biens de l’Église (à cette occasion, Clemenceau avait lancé à la Chambre : « Nous trouvons que la question de savoir si l’on comptera ou ne comptera pas des chandeliers dans une église ne vaut pas une vie humaine »). Et depuis, on a toujours trouvé moyen de rebondir, de relancer le sujet, l’épisode le plus réussi étant bien entendu la très réussie « loi sur les signes religieux dans les écoles publiques » de 2004.

Bref, en France, on a tendance à porter la laïcité aux nues, à en faire une panacée, l’alpha et l’oméga de la tolérance ; en fait, elle est devenue, avec le temps, un véritable dogme social, et s’opposer à elle vous place immédiatement, pour bon nombre de personnes, dans le même sac exactement que les talibans afghans.

En soi, la laïcité, je n’ai rien contre, autant le dire tout de suite. Ce n’est pas le pire système imaginable pour régler les rapports des Églises et de l’État. Elle vaut infiniment mieux, déjà, que tous les systèmes intolérants qui forcent des gens à adhérer à une religion (ou à en abandonner une), ou que ceux qui hiérarchisent les citoyens selon leur appartenance religieuse. Je reconnais même que dans le cas français, elle a joué un rôle salutaire et a permis de trouver une liberté et un esprit critique que nous avions moins auparavant, et cela doit être porté à son crédit.

Mais de toute évidence, elle n’est pas la seule manière de bien fonctionner ou d’établir la tolérance religieuse. Prétendre le contraire, c’est oublier un peu vite que la plupart des pays, même développés, ne sont pas laïcs. La Suisse, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Italie et bien d’autres font référence à Dieu dans leur Constitution ou financent les cultes ; plus encore, l’Angleterre, l’Irlande, le Danemark, l’Islande, la Norvège, l’Écosse ou la Grèce ont tous une religion d’État. Or, dans l’ensemble de ces pays, personne ne se plaint de criantes inégalités ou de discriminations religieuses ! Même les pays officiellement laïcs (on peut penser aux États-Unis ou au Portugal) ont de la laïcité une vision bien moins exacerbée que la nôtre et, de fait, ont des lois et pratiques bien peu compatibles avec ce principe.

C’est donc bien la preuve que la France n’est pas la seule à avoir trouvé une manière de faire coexister pacifiquement les différentes options religieuses. La laïcité est-elle franchement meilleure que les solutions élaborées par nos voisins Anglais, Norvégiens ou Danois ? Pour ma part, je n’en suis pas convaincu. Par exemple, elle entraîne certaines dérives liberticides que ces pays ne connaissent pas, dont la tentation récurrente de vouloir cantonner toute forme d’expression religieuse à la seule sphère privée, en contradiction avec certaines libertés fondamentales.

Mais bon, qu’on soit pour la laïcité ou pour une autre politique de tolérance, l’essentiel, je crois, est de comprendre que la première n’est pas, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, le seul et unique rempart contre la violence intercommunautaire.

Et donc la Charte de la laïcité de Peillon, au milieu de la catastrophe qu’est devenue l’Éducation nationale, tombe complètement à côté de la plaque. Déjà, une charte, pour quoi faire, grand Dieu ? Selon mon Robert, une charte, c’est une « liste, [un] recueil de points que l’on s’engage à observer par une adhésion, une signature. » Mais quand avons-nous demandé leur avis aux élèves ? Allons-nous devoir leur faire signer la Charte ? Ceux qui refuseront de le faire seront-ils brûlés, ou seulement exposés au pilori dans la cour de récré ? Ou alors, l’acceptation de la Sainte-Charte est-elle implicite ? Quand vous entrez au collège, vous acceptez implicitement de respecter la Charte, comme vous acceptez implicitement de recevoir des cookies quand vous allez sur un site Internet ?

En plus, on croirait entendre les opposants à l’intervention militaire en Syrie quand ils demandent un procès international. Mais attendez, les cocos, vous croyez que si on lui colle un procès au cul, il va gentiment arrêter la guerre séance tenante et aller préparer sa défense, le Bachar ? Là, c’est pareil : ce n’est pas en affichant une Charte qu’on va convaincre les enfants que ce n’est pas grave si leurs copains mangent pendant le ramadan ou le carême.

Enfin, la Charte ment. Elle ment quand elle affirme que la laïcité « garantit l’égalité de traitement de tous les élèves et l’égale dignité de tous les citoyens ». Ce n’est pas la laïcité qui garantit cela, ce sont l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. La loi de 1905 n’a rien à voir avec cela, elle n’a fait que le rappeler. De même qu’elle n’a rien à voir avec « l’égalité entre les filles et les garçons ». Elle ment lorsqu’elle affirme que la laïcité assure aux élèves l’accès à une culture commune et partagée (ils n’ont pas de culture commune, les Anglais ?). Et j’en passe.

Alors d’accord, il y a des problèmes de violences intercommunautaires ou inter-religieuses. D’accord, il y a des gosses qui se font tabasser parce qu’ils mangent du porc à la cantine. Mais ce n’est pas une charte qui y changera quoi que ce soit. Tous les outils sont déjà à notre disposition : ce sont les sanctions, voilà tout. Qu’on punisse vraiment les élèves qui en frappent d’autres, et on réglera partiellement le vrai problème.

Bref, à quoi servira cette nouveauté ? Elle remplacera avantageusement le viagra chez bon nombre de collègues ; à part ça, je ne vois pas.

2 commentaires:

  1. Parlons de la laïcité en Italie: La constitution italienne ne se base pas sur "Dieu" et l'Etat ne subventionne AUCUNE religion, il permet juste aux personnes qui paient des impôts de donner 1/1000 ème de leurs impôts à l'association, religion ou ONG de leur choix.
    Par contre l'influence, néfaste, de l'Eglise a été combattue tant par les hommes politiques de gauche que par les hommes politiques de droite. Par exemple Mussolini a imposé un Concordat a l'Eglise Catholique et construit une avenue juste devant le Vatican afin d'y envoyer des chars au besoin...
    Dans les années 80 l'Eglise soutenait: La Mafia, la Démocratie Chrétienne et tout le système mafieux au pouvoir, qui est tombé grâce à "mani pulite" dans les années 90.
    Aujourd'hui l'Eglise est toujours mal vue et son influence est un vrai lobbyisme décrié par tous... sauf les pourris!

    Maintenant la Laïcité garantit la liberté des citoyens et je partage avec toi l'idée qu'il faut punir les actes comunautaristes et cette charte va dans ce sens, mais pas assez fort à mon avis.

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  2. je suis d'accord :`
    En fait la laïcité est admise par l'ensemble des français, le plus important est de faire comprendre aux étrangers ou aux personnes qui n'en sont pas imprégnées faute d'avoir connu l'histoire de notre République par la mémoire familiale que c'est une bonne chose et que s'y référer, c'est comme suivre le Code de La Route, cela n'évite pas les imprudences, mais cela évite les grosses conneries si on le respecte. Je suis un peu loin de l'E.N. mais je ne suis pas indifférente aux gros problèmes que rencontrent les enseignants sur ces questions religieuses. Et je crois qu'il eut mieux valu les aider dans cette mission qui autrefois n'a jamais été dans leurs attributions et qui maintenant semble-t-il leur mange leur énergie, leur temps au détriment de leur ensneignement et de facto des élèves et surtout de leur santé. Or, je persiste à croire ( oh naïve ) qu'une société malade de son éducation est une société réellement en danger. J'ai aussi le soucis d'un excès de laïcité érigée en seule et unique morale, une laïcité intégriste. Et cela me fait peur, tout d'abord par principe, et deuxièmement par les réactions que cela pourrait entraîner. Le fait religieux habite l'homme, vouloir éradiquer cela c'est créer des fondamentalismes opposés qui peuvent devenir violents. On voit bien que 50 ans d'opposition à l'Eglise orthodoxe n'ont pu faire disparaître la Foi et ses gestes rituels dans la Russie. Pour moi tout cela manque d'amour. Ensuite oh oui comme je suis d'accord avec Toi lorsque tu parles des autres pays européens qui ne se portent pas plus mal de ne pas afficher sur leur porte des "Chartes de laïcité" et qui pourtant hébergent des populations multiraciales et multi-confessionnelles. Nous voyageons tous, physiquement ou par internet, nous suivons ce qui se passe chez nos voisins et l'exception française dans ce domaine me paraît être le fait de personnes qui cherchent à tous prix à laisser leur trace dans l'histoire de leur ministère. Nous savons bien ce que cela donne : un mille feuilles difficile à traduire et quelques fois à comprendre. Qu'à cela ne tienne j'adore les mille-feuilles et nous le savons bien nous avons d'excellents pâtissiers en France. Mais qu'ont ils donc tous contre Dieu ? Tarte à la crème !!!!!

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