mardi 17 décembre 2019

La fausse bonne idée par excellence : la paille en bambou

Elle fait fureur, ces temps-ci, la paille en bambou. On la trouve un peu partout, et ses thuriféraires ne manquent jamais une occasion de vanter ses mérites : pas en plastique, biodégradable… Bien sûr, elle n’est pas tout à fait aussi agréable en bouche que la paille en plastique, mais ça fait au fond partie du plaisir : on est bien content de faire ce petit sacrifice pour la planète, on se dit qu’on accepte de renoncer à quelque chose pour la nature et le bien commun, et on boit son mojito la conscience bien tranquille. Par chez nous, à Mayotte, on en voit même qui prennent l’avion à chaque vacances pour aller découvrir l’Inde, la Thaïlande ou Madagascar, mais qui ne manquent pas de s’offusquer quand un patron de bar leur sert leur planteur avec une paille conventionnelle.

En soi, la contradiction peut me faire sourire, mais ne me gêne pas outre mesure ; je suis moi-même un homme à paradoxes, et mon mode de vie ne me permet pas de m’ériger en donneur de leçons écologiques. Je suis le premier à trahir quotidiennement mes idéaux, mes principes et mes valeurs pour préserver très largement mes habitudes et mon mode de vie.

Je me pique en revanche de lucidité, et j’essaye de ne pas tomber dans les attrape-nigauds de la croissance verte et du capitalisme greenwashé. Or, de ce point de vue, la paille en bambou est-elle la panacée qu’on essaye de nous vendre ? Il faut d’abord remarquer qu’en toute logique, elle doit nécessiter du bambou pour sa fabrication. Il faut donc qu’on consacre de nouveaux espaces à la production de ce bambou, ou qu’on coupe des bambous existant : dans les deux cas, c’est très peu écologique. Ensuite, il faut transformer ces bambous en pailles, ce qui nécessite forcément des usines, de l’énergie, des ressources humaines, etc. Enfin il faut transporter les pailles vers les lieux de consommation, puis les recycler. La paille en bambou n’est donc pas écologiquement neutre : elle consomme d’autres ressources et rejette d’autres déchets que les pailles traditionnelles, moins nocifs peut-être, mais tout de même considérables.

Et tout ça pour quoi ? Tout ça pour un objet – et c’est là le point fondamental – absolument, entièrement, complètement inutile, dont on peut se passer sans la moindre difficulté. Même le plus radical des écologistes peut reconnaître qu’il nous serait difficile de nous passer des dispositifs qui nous permettent d’écouter de la musique ou de regarder des films, sans parler des scanners médicaux. Mais inversement, même le pire des consommateurs technophiles peut reconnaître que la paille, en plastique ou en bambou, est un objet non seulement non indispensable, mais qui n’ajoute qu’une dose infinitésimale de plaisir à celui de la boisson qu’elle sert à aspirer. Le plaisir, c’est de boire son sex on the beach, pas d’avoir une paille en bouche pour le faire ! À part quelques vieillards édentés et ne supportant pas les dentiers, qui pourrait bien affirmer que la paille sert à quoi que ce soit ? Si encore elle apportait le plaisir d’autres objets non directement utiles, comme les bijoux par leur beauté, ce qui faisait dire à Voltaire que le superflu était « chose très nécessaire » ; mais même pas !

La conclusion est simple : la paille est l’exemple parfait, archétypique, de l’objet dont nous pourrions parfaitement nous passer, sans en souffrir le moins du monde. La solution écologique, ce n’est pas de transformer les pailles pour qu’elles polluent moins (en essayant de nous faire croire au passage qu’elles ne polluent plus) : ce serait de dire clairement aux gens que la paille ne servant à rien, on cesse d’en fabriquer.

À l’inverse, le passage du plastique au bambou pour la fabrication des pailles est l’exemple parfait, archétypique, du refus catégorique de nos sociétés de changer quoi que ce soit à leur mode et à leur niveau de vie. Ce nouveau produit illustre à merveille la vaste chimère, le rêve de singe consistant à faire croire que nous pourrons sauver la planète et continuer à vivre exactement comme avant, y compris dans les détails les plus insignifiants. Il est urgent de dégonfler cette baudruche.


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