mardi 6 septembre 2016

Le niveau baisse (et cette fois, c’est pas un prof qui le dit)

Que le niveau intellectuel et culturel général baisse, ça fait longtemps que beaucoup de profs le disent. Parfois, nous le faisons avec notre seul ressenti personnel : ça se voit en particulier en analysant les meilleurs de nos élèves. Ainsi, nous sommes nombreux à constater que, parmi les têtes de classe (ou de manière plus générale dans les classes d’excellence comme les classes préparatoires), un nombre croissant d’élèves a une orthographe déplorable, ou ne lit que très peu de livres.

Parfois, ce ressenti individuel est conforté par une étude un peu étayée, par exemple en cherchant à faire passer à des citoyens ou à des élèves d’aujourd’hui le certificat d’études de 1930. C’est rare, car nous sommes un malade qui n’aime pas trop prendre sa température : nous avons un peu trop peur du résultat pour cela. Aussi s’empresse-t-on généralement de nous servir une étude contradictoire qui prouve que non non, tout va bien, et qu’au contraire le niveau monte. Mais bien sûr.

L’enseignement n’est d’ailleurs pas la seule manière de constater cette baisse de niveau : on peut aisément la voir à travers l’évolution du monde politique. Jacques Chirac a été notre dernier président cultivé – encore a-t-il dû, pour être élu, se faire passer pour un homme du peuple tout en simplicité. La génération politique qui a remplacé la sienne est dans son immense majorité composée d’incultes notoires, y compris au plus haut niveau de l’État ; et des hommes qui auraient la culture (et le langage) de de Gaulle ou de Mitterrand seraient complètement inaudibles de nos jours.

Mais passons : on va de toute manière me renvoyer à ma subjectivité ou à mon passéisme. Essayons donc un autre indicateur que les tests PISA ou le classement de Shanghai, et prenons un truc tout simple : le QI. Un article du chirurgien Laurent Alexandre, publié dans le supplément Science & médecine du Monde du 31 août dernier et intitulé « Il faut enrayer la baisse du QI », apporte quelques données scientifiques sur le sujet.

Il note d’abord qu’au cours du XXe siècle, le quotient intellectuel a globalement eu tendance à s’élever. Ainsi, « les Pays-Bas […] enregistrent une progression du QI de 21 points entre 1952 et 1982 ». Il attribue cette hausse à « un environnement intellectuel plus stimulant qu’autrefois », à « l’allongement de la durée des études », à la progression de « l’égalité hommes-femmes » et à « une plus grande attention parentale ». On peut sans doute lui donner raison sur cette analyse.

Mais il remarque aussi que depuis une quinzaine d’année, cette tendance s’est inversée dans les pays développés. Ainsi, « la moyenne du QI français a […] chuté de quatre points entre 1999 et 2009 » ; comme il dit : c’est « considérable ». Il exclut le biais méthodologique puisque tous les pays sont touchés.

Cette baisse du niveau intellectuel des pays développés est réellement inquiétante. Laurent Alexandre note avec justesse « [qu’au] moment où l’intelligence artificielle fait des pas de géant », elle nous fait courir le risque du chômage de masse dans un premier temps, et de « notre marginalisation face aux cerveaux de silicium » ensuite. L’asservissement de l’humanité aux robots qu’elle aura créés n’est pas une hypothèse absurde, envisagée uniquement par des auteurs de fiction comme Asimov ou les Wachowski : elle a récemment été considérée comme plausible par le génie de la physique Stephen Hawking.

Mais avant d’en arriver à cette situation extrême, et même si nos robots de nous rattrapent jamais, la baisse générale du QI n’en reste pas moins très inquiétante : après tout, même sans devenir les esclaves d’une race en quelque sorte supérieure, le sort d’une humanité devenue largement stupide ne serait pas forcément beaucoup plus enviable – le film Idiocracy, réalisé par Mike Judge et sorti en 2006, en donne une illustration assez écœurante.

Pour résoudre cette crise, se pose donc, bien sûr, la question du pourquoi. Comment expliquer cette baisse de niveau ? Laurent Alexandre rejette l’idée qu’Internet ou les réseaux sociaux puissent en être à l’origine, et privilégie l’explication par les polluants qui saturent notre environnement, notamment les perturbateurs endocriniens.

Mais il en va probablement de nos capacités cognitives comme de la surmortalité des abeilles : chercher une cause unique (et donc une réponse unique) à ce problème est sans doute vain, car le plus probable est qu’il soit multifactoriel. Que nos hormones thyroïdiennes, celles « qui modulent l’expression des gènes pilotant la formation de structures cérébrales majeures comme l’hippocampe », soient perturbées par une pollution chimique diffuse et omniprésente, tout porte en effet à le croire. Pour autant, peut-on balayer d’un revers de la main d’autres facteurs, humains et sociaux ceux-là ? Si l’industrie chimique est un des facteurs de la baisse globale du QI, un système éducatif de plus en plus défaillant ou une utilisation largement débilitante d’Internet et des réseaux sociaux n’aident sans doute pas à compenser le phénomène : ils auraient plutôt tendance à l’amplifier.

On voit donc difficilement comment résoudre le problème. Laurent Alexandre affirme qu’il est « sans doute impossible d’interdire l’IA », et il rejette avec sagesse les illusions du transhumanisme ; mais ce qu’il propose est-il plus réaliste ? Élimination des neuropoisons, transparence réelle sur « les pollutions qui menacent nos cerveaux » iraient à l’encontre des intérêts des surpuissantes industries chimique et pharmaceutique ; comment leurs lobbies n’en feraient-ils pas une mission impossible ? Quant à un système éducatif efficace et égalitaire qui éclairerait réellement les masses populaires et leur permettrait (assez rapidement, car ça urge) d’avoir un usage intelligent d’Internet et des réseaux sociaux, nous en sommes chaque année un peu plus éloignés.

Tout cela apporte donc de l’eau au moulin de ceux qui, comme nous, considèrent d’une part que le Système actuel court à sa ruine, que l’issue en sera un effondrement civilisationnel et qu’il n’y a rien d’autre à faire que de s’y préparer ; et, d’autre part, que, les choses étant ce qu’elles sont, la démocratie, qui présuppose un peuple libre et éduqué, n’est vraisemblablement plus un système adapté à la Crise que nous commençons tout juste à traverser.

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