mercredi 16 mars 2016

Petits rappels à l’usage du traqueur de pédophile


Ami traqueur de pédophile, bonjour.

Avant toute autre chose, laisse-moi te remercier et te féliciter d’accomplir la mission qui est la tienne. La pédophilie est bien évidemment une tragédie à l’origine de souffrances immenses et innombrables. Les pédophiles, bien sûr, ne sont pas responsables de l’attirance qu’ils éprouvent pour les enfants ; mais on ne peut pas tolérer qu’ils satisfassent leurs pulsions pour autant, étant donné la souffrance que cela infligerait aux enfants concernés. La plupart des pédophiles en sont d’ailleurs eux-mêmes conscients : beaucoup ne passent jamais à l’acte, et ceux qui sautent le pas le font souvent dans une terrible culpabilité.

Merci, donc, de lutter contre ce fléau. Non, il ne faut pas se taire, sous aucun prétexte. Oui, ceux qui commettent des actes pédophiles doivent être traduits en justice et condamnés. Crois-moi, je ne cherche d’excuse à personne : moi aussi, j’ai deux enfants.

Prends garde cependant qu’entraîné par la bonne cause que tu défends, tu ne te laisses aller à de fâcheux errements.

D’abord, respecte la présomption d’innocence. Ce n’est pas pour rien que ce principe est inscrit dans à peu près toutes les déclarations des droits de l’homme depuis 1789. Surtout à l’heure de l’extrême puissance des médias, de l’immédiateté et de la diffusion planétaire de l’information, il est l’unique barrière face à des lynchages en règle. Souviens-toi que tu peux te tromper, et qu’un lynchage médiatique peut anéantir un homme innocent – l’anéantir parfois physiquement, littéralement, le tuer. Souviens-toi surtout que, même coupable du pire des crimes, aucun homme ne mérite d’être lynché. Tu dois rechercher la justice, pas la vengeance. Oui oui, même pour un pédophile.

Beaucoup gagneraient à méditer sur le fait que le plus petit des principes devrait toujours passer avant le plus grand des événements. Un événement, même très grave, même tragique, est toujours ponctuel. Un principe est intemporel. Ce sont les principes, et eux seuls, qui nous protègent du déferlement de passions, parfois violentes, nées des événements.

Si tu es Premier ministre, ami traqueur de pédophile, je comprends ton empressement à surfer sur les peurs et les colères populaires dans l’espoir d’être, à ton tour, le prochain Président de la République. Devenir calife à la place du calife, c’est le jeu, je ne te lance pas la pierre, et dans ces conditions je me doute bien que ma défense des droits fondamentaux de la personne humaine, ça t’en touche une sans faire remuer l’autre. Mais bon, manifestement, tu fais mal ton travail, faute d’avoir compris que la politique, c’est servir le Bien et les autres, pas satisfaire son ambition. Démissionne et lis Platon.

Ensuite, ami traqueur de pédophile (et même si tu n’es pas Premier ministre), n’hésite pas à te servir de ce merveilleux outil qu’est le dictionnaire, ni à feuilleter les textes de loi.

Ainsi, essaye de ne pas oublier que dans ce beau pays qu’est la France, un adulte peut avoir des relations sexuelles avec un mineur (quelqu’un qui a moins de 18 ans, donc) si celui-ci consent à ladite relation et est âgé de plus de 15 ans. Eh oui, 15 ans. On peut regretter cet état de choses et préférer vivre en Californie, en Floride ou en Turquie, où un adulte ne peut avoir aucune relation sexuelle avec quelqu’un de moins de 18 ans, voire en Indonésie, ou il faut pour coucher avec un garçon attendre qu’il ait 19 ans. Ce n’est pas mon cas, je trouve l’âge défini par la loi française équilibré et respectueux tant de la sécurité des enfants que de la liberté des adolescents ; mais encore une fois, chacun est libre de penser ce qu’il veut.

En revanche, la loi étant pour le moment ce qu’elle est, tu dois appeler les choses par leur nom, et éviter de voir de la pédophilie là où il n’y en a pas. Quand un adulte couche avec un garçon de 16, 17 ou 19 ans, ce n’est pas de la pédophilie, c’est une relation sexuelle tout ce qu’il y a de plus légale. Si l’adulte est lui-même un homme, ça ne s’appelle toujours pas de la pédophilie, ça s’appelle de l’homosexualité, et Dieu merci, c’est légal – même si, là encore, chacun est libre de préférer la façon iranienne ou soudanaise de gérer l’homosexualité.

Je t’entends déjà me dire : eh oui, mais si la relation n’est pas consentie ? Eh bien dans ce cas, ça s’appelle un viol ou une agression sexuelle, tout bêtement. C’est très mal aussi, et c’est tout aussi condamnable, mais ce n’est toujours pas de la pédophilie pour autant.

Reste la question du statut de l’adulte qui a des relations sexuelles avec un mineur de 18 ans (je te rappelle qu’en droit, « mineur de 18 ans » signifie « personne âgée de moins de 18 ans », de même que « mineur de 15 ans » signifie « personne âgée de moins de 15 ans »). Oui, tu as raison de soulever ce point : un adulte ne peut pas coucher avec un mineur, même âgé de plus de 15 ans, s’il y a un lien de subordination entre eux, c’est-à-dire s’il est un de ses parents, beaux-parents, professeurs, moniteurs, médecins, ou s’il est policier. Ou prêtre.

Mais (attention accroche-toi il faut suivre), même dans ce cas, on n’a toujours pas trace de pédophilie. Si un prêtre, un prof ou un médecin a des relations sexuelles consenties avec une personne placée sous son autorité et âgée de 15 à 18 ans, c’est une atteinte sexuelle (pas une agression, ça c’est pour les relations non consenties : une atteinte), mais ce n’est toujours pas de la pédophilie, puisque ça concerne une personne qui a déjà atteint « l’âge du consentement », c’est-à-dire l’âge à partir duquel on considère un consentement comme éclairé et donc réel, valide.

Voilà. Je crois que je viens de bien faire mon métier de professeur éthique et responsable, justement, en te rappelant deux choses essentielles, la première en droit, la seconde en langue. Ravi d’avoir pu t’aider.

3 commentaires:

  1. Top
    Je partage bien sûr
    Bravo !!

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  2. "L'Eglise de France n'a pas vraiment évolué dans sa prévention des abus sexuels" (Karlijn Demasure, voir ci-dessous)
    http://www.cathobel.be/2016/03/18/prevention-abus-sexuels-ne-attendre-quun-scandale-eclate/

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