vendredi 22 janvier 2016

La Manif Pour Tous : chronique d’une défaite annoncée


Il ne faut pas que je boude mon plaisir : c’est rare que l’actualité m’en donne autant. C’est encore plus rare quand ça vient de Sarkozy. Et surtout, c’est rare que j’aie raison et que ça me plaise : en général, la réalité confirme mes pronostics, mais ça me désole. Tandis que là, mmmmm ! qu’est-ce que c’est bon. Qu’est-ce que j’ai aimé cette séquence ! J’ai nommé : « le grand reniement de Nicolas Sarkozy façon saint Pierre ». Ou « Sarko à contre-Sens commun ». Ou encore « attention, Sarko ne met plus de beurre ».

Mais que s’est-il donc passé pour mettre le sombre, le pessimiste Meneldil en joie ? Nicolas Sarkozy sort un livre intitulé La France pour la vie (il paraît qu’il voulait l’appeler Président pour la vie, mais que son conseiller en com’ a dit non). Jusque-là, pas de quoi sauter au plafond. Mais dans ce livre, que dit-il ? Que s’il récupère le pouvoir, il ne reviendra pas sur la loi Taubira.

Quoi ? Ô surprise ! Mais quel étonnement ! Oui, croyez-le ou non, il y a des gens qui ont l’air de vraiment tomber des nues. Allez, je ne résiste plus, je vous balance la première, ma préférée : Madeleine Bazin de Jessey ! Porte-parole de « Sens commun », association intégrée à l’UMP et dont la vocation est justement de pousser ce parti à abroger la loi Taubira, mais également secrétaire nationale dudit parti (nommée par Sarko, me semble-t-il) ; et on voit qu’elle n’est pas contente, mais alors là pas contente du tout. Regardez, je vous la fais en triptyque, façon Philippe de Champaigne :


Regardez-moi la gueule de six pieds de long qu’elle tire ! Aux dernières nouvelles, elle aurait été contactée pour doubler Dégoût dans Vice versa 2. Elle n’est d’ailleurs pas la seule à tirer la tronche. Hervé Mariton, dont le combat se résume à peu près à l’abrogation de la loi Taubira, mais qui trouve que c’était bien suffisant pour justifier sa participation à la primaire de l’UMP (6,3% des voix), dénonce le « parjure » de son patron. Jean-Frédéric Poisson, du Parti Chrétien-Démocrate (celui de Christine Boutin, au cas où son intense rayonnement médiatique vous aurait échappé), se demande « où est passée la droite ».

Et pourquoi ils sont si fâchés, ces braves gens ? Parce que Nico la leur avait promise, l’abrogation ! Mais si, souvenez-vous, à ce meeting de Sens commun, justement, pendant la primaire pour la présidence de l’UMP, en novembre 2014 :


C’était encore un grand moment, ce meeting. Qu’est-ce qu’il était mal, ce pauvre Sarkozy ! Qu’est-ce qu’ils le faisaient chier, ces militants de Sens commun, à vouloir le forcer à clarifier sa position ! Il n’est pas bête, et il avait parfaitement compris qu’il avait le cul entre deux chaises, pour ne pas dire la tête dans un étau. D’un côté, il savait pertinemment qu’il ne reviendrait pas, en fait, sur la loi Taubira, s’il était élu, ni pour l’abroger, ni pour la réécrire ; il savait bien que le mariage pour tous serait un non-sujet pour l’élection présidentielle de 2017, contrairement à ce dont LMPT essaye désespérément de se convaincre ; mais en même temps, il savait aussi qu’il avait réellement besoin des anti-Taubira pour gagner la présidence de l’UMP.

Aussi sortait-il des phrases alambiquées. « Avec le mariage pour tous tel qu’il est organisé, la séparation entre la filiation et le mariage est impossible, et à ce moment-là, si nous gardons les choses en état, cela voudra dire qu’on ne pourra pas faire la différence entre un mariage homosexuel et un mariage hétérosexuel dans ses conséquences sur la filiation, donc ça ne sert à rien de dire qu’on est contre la GPA ou contre la PMA si on n’abroge pas la loi Taubira puisque la loi Taubira justement conduira à ça. » La journaliste de BFM-TV, croyez-le ou non, estime qu’il a « clarifié sa position ».

Bon, il avait quand même dit des choses plus explicites : « la loi Taubira devra être réécrite de fond en comble ». Hurlements de la salle : « A-brogation ! A-brogation ! » Sarko fou de rage. Il le cache, mais ça se sent : « Parfait ! Parfait ! [Il est coupé par la foule] Parfait ! Quand on dit que la loi va être réécrite de fond en comble, si vous préférez qu’on dise qu’on doit l’abroger pour en faire une autre, en français ça veut dire la même chose, mais ça aboutit au même résultat ! Enfin, si ça vous fait plaisir, franchement ça coûte pas très cher. »

Ah ah, le piège ! Ça, ça s’appelle plier sous les huées : vox populi, vox dei. Sauf que bien sûr, dans la politique contemporaine, les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Pas étonnant qu’après un tel discours, et même si on sentait bien qu’on lui avait un peu forcé la main, la frange homophobe de l’UMP ait la gueule de bois. LMPT, qui sait écrire, tweete lestement : « Allo Nicolas Sarkozy ? Pas d’abrogation, plus d’élection ! » Mais non, pauvre cruche : la seule élection où il avait besoin de vous, c’était celle de la présidence de l’UMP, et il l’a gagnée, en partie grâce au mensonge qu’il vous a fait avaler. Maintenant, il n’a plus besoin de vous ; pire : vous êtes en train de devenir un gros boulet.

Mais aussi, si vous lisiez un peu blog, les gens de la Manif pour Tous ! En novembre 2012, je vous le disais déjà, que la droite au pouvoir ne reviendrait pas sur la loi Taubira. Que non seulement les « démariages » proposés par Valérie Pécresse et d’autres étaient une absurdité totale, mais qu’il n’y aurait pas d’abrogation, et pas même de réécriture. Suivez, bon sang !

C’est d’autant plus vrai qu’à présent, tout le monde va se lâcher, à l’UMP – euh, pardon, chez les Républicains. Pécresse avait déjà bien retourné sa veste (indispensable si elle voulait gagner l’Île-de-France) ; maintenant que Sarko, donc le grand totem du parti, a fait de même, tout le reste va suivre. On va voir la différence, à droite, entre ceux qui étaient vraiment contre le mariage pour tous, par conviction, et ceux qui ne faisaient que suivre la rue : seuls les premiers vont continuer à se battre contre vents et marées, sans « rien lâcher », comme ils disent. Mais on va voir, pour ceux qui ne s’en étaient pas encore rendu compte, qu’ils sont bien peu nombreux, et que ce sont tous des gens qui n’ont aucune chance de l’emporter. Les seconds, eux, vont tous entonner le même couplet : « c’est vrai, là-dessus, j’ai changé… Ah oui, c’est vrai, j’ai réfléchi… C’est-un-sujet-sur-lequel-j’ai-évolué… On-a-bien-le-droit-de-changer-d’avis… »

Bref. Rien de surprenant dans tout ça, mais c’était quand même une bonne séquence. Comme disait Al Pacino dans L’avocat du diable : « Ah ah! Invigorating. »

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