Qu’est-ce qui est préférable, avec les services secrets :
qu’ils nous prennent pour des cons, ou qu’ils nous trouvent dangereux ?
Terrible dilemme ; un Corneille d’aujourd’hui en ferait quelque chose. En
tout cas, ils font les deux très bien.
Côté « vous n’êtes pas bien futés », la
récente annonce par la NSA qu’elle allait supprimer 90% de ses administrateurs
de systèmes. But affiché : réduire le nombre de personnes ayant accès à
des informations sensibles, autrement dit réduire le nombre d’agents qui savent
quels sont les sites de cul que vous consultez avec le plus de régularité ou si
vous avez pensé à souhaiter sa fête à votre grand-mère cette année. Oooh, mais
c’est gentil, ça ! Alors comme ça, la NSA se préoccupe de réduire le
nombre de personnes qui en savent trop sur nous ? C’est gentil et puis
surtout, c’est nouveau.
Tellement nouveau qu’on se demande quand même si c’est bien
la vraie raison. Attendez voir… Il était quoi, Snowden ? Oh, mais administrateur
de système, justement ! Mais alors… j’y songe… la coupe dans le personnel de
la NSA ne serait-il pas plutôt une manœuvre pour limiter le risque d’un nouveau
Snowden ? Oooh, mais c’est très vilain, finalement. Et machiavélique :
d’une seule pierre, on réduit les coûts salariaux de la boîte (ce qui est toujours
bon à prendre), on redore un peu son blason auprès d’un public qui avale tout
ce qu’on lui présente tant que c’est à la télé, et en plus on diminue
drastiquement le risque qu’un nouveau scandale éclate ! Le tout sans
limiter le moins du monde ce que les services secrets savent de nous : que
ce soient cinquante gugusses ou un seul gros bonnet qui lisent mes mails, au
fond, ça m’en touche une sans faire remuer l’autre ; ce qui me dérange, c’est
que l’État lise mes mails. Après, qu’ils soient lus par un agent ou par vingt…
Bref, avouez que la NSA aurait eu tort de se priver de ce bon coup.
Cela étant, tout en nous prenant pour des blaireaux, les
services secrets nous trouvent quand même un peu dangereux, puisqu’ils essayent
de nous faire taire. J’en veux pour preuve ce qui est arrivé au Guardian, par exemple : le GCHQ et
le gouvernement anglais ont fait pression sur la rédaction pour qu’ils
détruisent les documents livrés par Snowden. Ils ont carrément débarqué dans leurs
locaux et ne les ont quittés qu’après que les disques durs contenant ces
dossiers ont été réduits en miettes sous leurs yeux. Opération particulièrement
débile, puisque bien entendu le Guardian
avait sauvegardé les données sur des disques durs à l’étranger, donc (plus ou
moins) hors d’atteinte des services secrets britanniques. Mais opération qui
témoigne d’une évolution inquiétante vers la violence.
Violence : j’assume le terme. Et pourtant, je n’aime
pas l’employer à la légère. Je suis le premier à être sceptique quand on me dit
que l’enseignement ou le refus de la burqa sont des violences, fussent-elles symboliques.
Mais là, je crois que nous y sommes : menacer un journal de poursuites
judiciaires pour le faire taire, c’est une violence, et c’est piétiner la
liberté d’expression. D’autant que les faits ne s’arrêtent pas là : on
pourrait aussi mentionner l’arrestation et la détention, certes provisoire,
mais tout de même très louche, de David Miranda, le compagnon de Glenn
Greenwald, le journaliste du Guardian
qui travaillait sur ce dossier.
Bref, l’évolution entamée dans la foulée du 11 septembre
2001 n’est pas en train de se tasser ou de s’inverser, mais bien au contraire
de se renforcer, de se durcir. Tout porte à croire que cela va continuer :
la lutte contre le terrorisme servira de plus en plus de prétexte pour
instaurer un régime de surveillance généralisée de nos vies privées. D’ailleurs,
la lutte contre le terrorisme n’est elle-même qu’un élément d’un ensemble bien
plus vaste qui englobe tous les risques, quels qu’ils soient : de manière générale,
c’est par la recherche chimérique de l’élimination complète de toute forme de
risque que nos vies privées seront épiées et que nos libertés se réduiront. Ce
sera prétendument pour nous aider à prévenir le risque d’AVC ou de fatigue au
volant qu’on nous implantera d’ici quelques années (ou au mieux quelques décennies)
des puces bioélectroniques qui informeront en permanence les États et les administrations
sur tous les menus détails de nos existences. En ce sens, l’évolution vers une
violence liberticide des États était enclenchée bien avant les attentats du
World Trade Center.
Cette évolution est-elle réversible ? Actuellement, les
démocraties représentatives non seulement ne la freinent pas, mais encore elles
l’alimentent ! Il est particulièrement intéressant de noter que les gouvernements
dits de gauche (Obama aux États-Unis, Hollande en France, Blair au Royaume-Uni etc.,
c’est-à-dire à peu près les plus à gauche parmi ceux qui ont quelque chance d’accéder
démocratiquement au pouvoir) n’ont rien fait pour limiter les programmes de
surveillance mis en place par les droites, ou a fortiori pour y mettre fin ; bien au contraire, ils les ont
couverts, soutenus et parfois renforcés.
Il n’y a, cela dit, rien d’étonnant à ce que la démocratie
se montre incapable de respecter la vie privée des citoyens ou la liberté d’expression :
dans l’état actuel de notre développement spirituel et moral, la technologie
dont nous disposons est un levier de pouvoir bien trop efficace, et donc une
tentation irrésistible, pour tous les puissants de la planète : les États,
les services secrets, les administrations, mais aussi les entreprises privées.
Ces quelques évidences étant posées, je laisse ceux
qui, comme moi, tiennent à ces libertés fondamentales comme à leur vie
réfléchir aux solutions à mettre en œuvre pour éviter d’aboutir à un nouveau totalitarisme.
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