lundi 25 mars 2019

Le totalitarisme, ce sera aussi pour les enfants


Sur la question de la natalité, mes positions sont très claires. Assumant mon malthusianisme, je trouve la Terre déjà trop peuplée eu égard aux ressources qu’elle contient. Je suis favorable à la limitation des naissances, à la décroissance démographique, donc évidemment à la contraception. Sur la question plus complexe de l’avortement, j’ai déjà eu l’occasion sur ce blog de rappeler que, considérant que la vie humaine commençait non pas au moment de la fécondation, mais bien après, je ne voyais rien d’immoral à l’IVG pratiquée dans les douze premières semaines de grossesse. Bref, on ne peut pas m’accuser de faire partie des tenants du « croissez et multipliez-vous », ni même de cultiver l’ambiguïté sur le sujet.

Je suis donc d’autant plus affligé quand je vois des gens qui, à partir des mêmes présupposés que moi, développent les idées les plus folles, les plus absurdes, les plus aberrantes et même les plus abjectes.

Ainsi, Antoine Bueno, de son état chargé de mission et secrétaire général du groupe centriste au Sénat, excusez-moi du peu, vient-il de publier un essai intitulé Permis de procréer et consacré à la question de la limitation des naissances. Et comme diraient les Dupondt, il n’y va pas de main morte avec le dos de la cuillère à pot. Constatant l’urgence écologique, il affirme d’abord qu’il faut accepter que le fait de procréer et de donner naissance à des enfants n’est pas seulement un acte individuel, mais engage le couple dans son rapport à la société.

 Jusque-là, franchement, rien de bien nouveau sous le soleil. Que faire des enfants soit un acte qui a une dimension collective, et qui par conséquent ne concerne pas seulement les parents, c’est une évidence. Évidence appliquée concrètement d’ailleurs, puisque tant que l’État a estimé devoir mener une politique nataliste, il l’a fait sans que personne n’y trouve à redire, par exemple en favorisant les familles nombreuses (par les allocations familiales, entre autres).

À l’heure de l’urgence écologique, il me semble à moi aussi clair comme de l’eau de roche qu’il faut renverser la vapeur. Oui, de nos jours, les couples doivent être incités, en particulier financièrement, à faire moins d’enfants. A minima, il faudrait taxer plus lourdement les couples à partir du troisième enfant ; mais pour être franc, vu l’urgence de la situation, il me semblerait bien préférable de taper au portefeuille dès le second. Par ailleurs, il faudrait mener, sur le long terme, une large politique éducative informant les couples du danger que représente pour la planète le poids démographique actuel de l’humanité.

Seulement, pour ma part, je m’arrête à ces mesures incitatives : impôts et éducation. Je ne conçois pas de politique coercitive en la matière, et ce pour deux raisons. La première, c’est qu’on ne peut pas empêcher les couples de faire autant d’enfants qu’ils le souhaitent. Le remède serait forcément pire que le mal ; car les empêcher comment ? On ne va pas les stériliser, ni leur retirer leurs enfants à la naissance, ni les tuer. Or, il ne faut pas interdire ce qu’on ne peut pas empêcher, c’est forcément contre-productif.

La seconde, c’est que quand bien même il serait possible d’empêcher les couples d’avoir plus de, mettons, un ou deux enfants, je ne crois pas que l’État devrait le faire : certes, la procréation a une dimension collective ; mais il est fondamental de comprendre qu’elle est un acte individuel avant que d’être un acte collectif ; que sa dimension personnelle prime, et de loin, sa dimension sociale. Je ne crois donc pas que l’État ait la moindre légitimité pour interdire aux familles de dépasser un certain nombre d’enfants. Inciter, oui, c’est non seulement nécessaire, mais même franchement urgent ; interdire, non, c’est une ligne rouge à ne pas franchir.

Antoine Bueno la franchit, lui, et allègrement. Pour lui, les futurs parents doivent signer un « contrat de parentalité », défini par la société (concrètement, par l’État) ; et en cas de refus, pas de problème : ils sont déchus de leur autorité parentale, on leur prend le bébé à la naissance, et on le place dans une famille plus docile.

Antoine Bueno nous explique par ailleurs que cette proposition est « humaniste », ce qui, selon lui, prouve qu’on peut concilier humanisme et écologie, et prétend que ça ne pose pas de problème, puisque de toute manière, des parents motivés par le fait d’avoir un enfant ne refuseront jamais de signer le contrat.

Pour ma part, j’hésite : cette proposition débile et abjecte est-elle surtout débile ou surtout abjecte ? Débile, elle l’est parce que notre joyeux conseiller au Sénat ne comprend pas qu’un contrat signé sous la menace de se voir retirer son enfant n’a aucune valeur. Platon avait déjà compris que les serments d’amour n’engageaient pas moralement ceux qui les faisaient ; c’est pareil pour n’importe quel serment ou contrat fait avec un tel pistolet sur la tempe.

Mais la proposition est à mon avis surtout abjecte, et incroyablement dangereuse par le seul fait qu’elle soit formulée. Et comme souvent, devant l’évidence, on est à court d’arguments. Pourquoi est-elle abjecte ? Parce que le lien du parent à son enfant est une des choses les plus fortes au monde ; parce que ce lien d’amour réciproque est une des composantes les plus essentielles de notre humanité. Une relation personnelle aussi puissante, aussi fondamentale, aussi première ne peut légitimement être cassée par la société que pour un motif des plus graves : si la vie, la santé ou le développement de l’enfant sont sérieusement compromis par le fait qu’il reste chez ses parents, alors oui, la société et l’État sont légitimes pour les déchoir de leur autorité parentale et placer les enfants ailleurs, en privilégiant des proches. Mais si un couple refuse de signer un papier, non, ça ne peut en aucun cas légitimer une sanction aussi extrême.

Comme très souvent, les hommes de notre temps, y compris nos dirigeants, prouvent qu’ils ont complètement perdu tout repère moral. Face à un problème réel, ils ne savent plus répondre que par des solutions démentielles. Il y a du racisme ? Piétinons la liberté d’expression. Les femmes sont harcelées par les hommes ? Balançons des noms sans preuve sur les réseaux sociaux. Des terroristes font sauter des bombes ? Mettons des gens en prison sans procès. Des manifestants pillent des magasins ? Laissons l’administration leur interdire de manifester sans passer devant un juge. Et je ne parle ici que de ce qui a été appliqué ! Si on s’engage dans la longue liste de ce qui se voit proposé, il y a de quoi glacer le sang. Quand on entend tant de responsables réclamer qu’on enferme sans procès des gens seulement parce qu’ils sont surveillés par les services secrets, peut-on vraiment être surpris par les délires d’Antoine Bueno ?

Et comme souvent, on assiste à une marche vers le totalitarisme, l’État trouvant de plus en plus normal de s’immiscer au cœur même de la vie privée des individus.

À chaque fois, le mal a les deux mêmes racines. La première, c’est qu’à l’heure des médias de masse, tout prend des proportions sociales dantesques : le fait divers devient insupportable, chacun fantasmant sur une société du risque zéro, et chacun pouvant réagir et ajouter sa voix à la vaste grogne. La seconde, c’est l’effondrement des valeurs morales : l’école a beaucoup perdu en autorité, et de toute manière elle échoue à transmettre le peu de valeurs qu’elle met encore en avant. Je ne sais pas si le peuple a jamais eu réellement conscience du rôle et de l’importance des libertés fondamentales, de la hiérarchie des vérités et des valeurs, de ne pas faire passer la fin avant les moyens, mais s’il l’a eue, il l’a perdue depuis longtemps. Et à présent, on trouve jusqu’au sommet de l’État des gens qui n’ont plus une once de culture ou d’humanité ; pour reprendre les termes de Heidegger, les gens qui nous dirigent n’ont plus aucune « pensée méditante », ils n’ont plus qu’une « pensée calculante ». Et qu’on ne s’y trompe pas : en cela, ils représentent bien ceux qui les ont portés au pouvoir.

Antoine Bueno voulait prouver qu’on pouvait concilier écologie et humanisme. Que ce soit possible, je le crois ! Tol Ardor et la Haute Haie en sont la preuve vivante – bien qu’inconnue. Mais ce triste personnage prouve surtout, à son corps défendant, qu’on peut très facilement concilier écologie et totalitarisme. Ça ne fera pas de moi autre chose que ce que je suis, et je reste évidemment un écologiste radical jusqu’à la moelle de mes os. Mais c’est un danger dont nous, écologistes radicaux, devons tenir compte. N’oublions pas que si la fin ne justifie pas les moyens, c’est parce qu’en réalité, il n’y a pas de fins, il n’y a que des moyens.

jeudi 21 mars 2019

Médias : priorité à la bêtise ?


Les Français entretiennent à leurs médias une relation d’amour-haine assez fascinante. Les journalistes sont une des catégories socio-professionnelles dont ils se méfient le plus, voire qu’ils détestent le plus, juste derrière les politiciens ; ils ne cessent de dénoncer des médias aux ordres du gouvernement ou des grands groupes qui les possèdent ; et pourtant, ils continuent de les suivre massivement.

Pour ma part, j’essaye d’éviter le média-bashing, pour plusieurs raisons. D’abord parce que je déteste les généralisations, et que de très nombreux journalistes sont sincères, ou intelligents, parfois même les deux. Beaucoup font bien leur travail (merci, Yann Barthès). Ensuite parce que taper sur les journalistes me semble toujours un moyen bien facile de ne pas réfléchir aux véritables responsabilités. Mélenchon ne passe pas le cap du premier tour de la présidentielle ? C’est la faute des médias ! Impossible de se dire que sa campagne n’a pas été si formidable que ça, ou que ses idées ne convainquent pas tant de monde que ça. Le peuple demande à ce que les prix de l’essence baissent pour qu’on puisse rouler plus facilement en bagnole ? ou à ce qu’on refoule les immigrés à la mer ? Ce n’est pas qu’ils sont racistes ou sans conscience écologique, les pauvres chéris : c’est la faute des médias !

Cela étant, force est de constater que les médias posent plusieurs problèmes structurels dans la société d’aujourd’hui. Il y a d’abord, chez beaucoup de journalistes, un manque de rigueur intellectuelle, pour ne pas dire d’intelligence. J’ai entendu cet hiver une journaliste politique réputée, sur une grande radio du service public, demander à son invité si ça ne le gênait pas de défendre le RIC, au motif que cette réforme était défendue depuis longtemps par Étienne Chouard, qui lui-même refusait de ne dire que du mal d’Alain Soral, antisémite notoire. Je suis moi-même un fervent opposant au RIC ; mais quand on en arrive à ce niveau de bêtise dans l’argumentation et le questionnement… Vous me direz que nous avons tous nos moments creux, qu’il nous arrive à tous de manquer d’à-propos, voire de dire une belle connerie. Certes. Mais les journalistes, par les répercussions que donne à leurs propos la nature même de leur métier, ont un devoir d’exemplarité. Ils ne sont pas les seuls : je suis aussi choqué quand je vois, chez mes collègues, des bulletins scolaires remplis dans un français plus qu’approximatif.

C’est encore plus vrai de nos jours, car l’impact des médias est démultiplié par la formidable caisse de résonance de leur omniprésence : les chaînes d’info en continu, par exemple, et surtout, bien sûr, les réseaux sociaux, font que les mêmes informations tournent en boucle. Cela fait du bruit ; et face à ce bruit, les politiciens se croient obligés de réagir, immédiatement, et bruyamment, eux aussi. De là les lois de circonstances qui alourdissent à chaque fait divers, donc chaque semaine un peu plus, notre arsenal législatif pourtant déjà obèse. Proposer une nouvelle loi devient chez eux un véritable réflexe, faute d’autres idées. On en arrive à une société du spectacle ou les politiciens croient avoir fait leur travail quand, après le vacarme d’un fait divers bien choquant, ils ont fait un vacarme équivalent dans la direction apparemment opposée. Rien n’avance, car comme le dit Léodagan, deux trous du cul ne sont pas plus efficaces qu’un seul, et deux lois qui disent la même chose ne seront pas plus respectées qu’une seule. Mais les politiciens peuvent ainsi dire : j’ai réagi.

Je viens d’avoir un nouvel exemple de la manière dont les médias peuvent, d’une manière apparemment tout à fait anodine, adopter un comportement en réalité très pervers. Sur une chaîne d’information en continu, un des analystes présents sur le plateau pour parler de l’affaire Tapie a été interrompu en pleine phrase pour une « priorité au direct » : on voyait vaguement Bernard Tapie arriver au tribunal derrière les vitres d’une voiture. Bon, rien de bien grave, me direz-vous. Eh bien si, c’est grave. Je l’ai déjà dit : les journalistes, comme les professeurs ou les politiciens, sont un exemple pour le peuple, qu’ils le veuillent ou non, et même parfois – souvent – sans que le peuple en ait conscience.

Or, en agissant ainsi, que dit-on ? D’abord, qu’on peut couper la parole à quelqu’un en pleine phrase pour faire complètement autre chose, alors que dans une discussion qui se veut sérieuse et de fond, la première chose à faire pour montrer l’exemple serait de respecter les règles élémentaires de la politesse. On accroît aussi la dangereuse habitude du zapping, déjà bien ancrée par la pratique d’Internet et des liens hypertextes, qui nuit considérablement à la faculté de se concentrer plus de dix minutes sur un même sujet. Enfin, on affirme clairement qu’une mauvaise image d’un moment mineur de l’événement est plus importante qu’une analyse dudit événement. Quoi qu’on puisse penser de la qualité de cette analyse, faire primer l’image sur elle n’est pas un bon message.

À l’heure de la démocratie d’opinion, de la société du spectacle, à l’heure où la rue, les sondages et les réseaux sociaux cherchent de plus en plus à faire la loi, et pire, y parviennent, les médias ne peuvent pas se dispenser de repenser leur rôle et donc leurs pratiques. Et comme je ne veux pas être que critique, il y a des pistes d’amélioration évidentes :

1. Séparer clairement ce qui est de l’ordre du divertissement, du loisir, de l’amusement, et ce qui est de l’ordre de la réflexion de fond, et agir en conséquence. Je ne demande pas à Cyril Hanouna de ne jamais couper la parole à ses invités dans son émission, parce qu’elle n’a pas de prétentions de fond (pas trop, du moins). En revanche, cela implique que dans une émission où on prétend informer ou réfléchir, et non pas divertir, on s’interdise les raccourcis faciles, les images avant le fond, bref tout ce qui va faire le buzz plutôt que faire penser.

2. Réserver à la réflexion de fond une place suffisante, y compris en privilégiant les émissions de longue durée, et revoir les priorités des sujets abordés. Moins reprendre les sujets déjà traités cent fois en long, en large et en travers par tous les journalistes. L’affaire Benalla, même si elle est importante, ne méritait pas le traitement qu’elle a reçu. En revanche, accorder une plus grande place aux sujets de long terme. Il est inconcevable que l’écologie, dont dépend l’intégralité de notre avenir à tous, bénéficie d’un traitement aussi faible et surtout aussi peu diversifié dans les médias.

3. Mettre en avant les journalistes qui ont une formation intellectuelle solide et qui font la preuve qu’ils travaillent leurs dossiers et qu’ils essayent d’aller au bout des questions. Quand un syndicat de gynécologues appelle à faire une grève des IVG, on ne peut pas se contenter de rappeler que juridiquement, une IVG n’est pas un homicide : il est nécessaire de se poser la question de savoir quand commence la vie humaine, dans quelle conditions on peut supprimer une vie humaine, etc. Bref, il faut une réflexion qui aille au bout des choses et ne se contente pas d’être superficielle. Pas forcément pour apporter une réponse, et pas forcément la même réponse que moi, mais pour aider les gens à se poser les bonnes questions. Un journaliste ne fait pas son travail s’il se contente de rappeler ce que tout un chacun est capable de dire dans une discussion de comptoir.

Évidemment, en écrivant tout cela, j’ai bien conscience de la vacuité de mes mots. Ça s’oppose en effet frontalement à la logique capitaliste et libérale de médias qui sont des entreprises, recherchent donc avant tout un profit qu’ils n’ont à peu près que par le biais de la publicité, donc par l’audience, et sont de ce point de vue en concurrence les uns avec les autres. Dans ces conditions, évidemment que chacun cède à la facilité, au buzz, à RIC = Chouard = Soral = antisémite = caca boudin ; ce n’est pas mon billet qui va changer les choses. Mais j’aurais, au moins, nommé le mal.

mercredi 27 février 2019

Tous frères ; tous chrétiens ?


Le 4 février 2019, le pape François a signé, avec le cheikh Ahmed Mohamed el-Tayeb, imam de la mosquée Al Azhar, considéré comme la plus haute autorité de l’islam sunnite, une déclaration commune intitulée « Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune ». J’ai déjà eu l’occasion de dire tout le bien que je pense de ce texte, malgré ses lacunes et les erreurs qu’à mon avis il comporte, puisque dans l’ensemble, il va clairement dans le sens de ce Tol Ardor et moi-même disons depuis longtemps.

Le document a toutefois engendré de très nombreuses critiques, en particulier dans les rangs des traditionalistes et des conservateurs catholiques. Une phrase en particulier a soulevé leur indignation : celle selon laquelle la diversité des religions serait voulue par Dieu. Nous avons déjà eu l’occasion de démonter un de leurs principaux arguments, celui selon lequel Dieu, étant Vérité, ne pourrait vouloir ni l’erreur, ni le mensonge.

Mais les traditionalistes s’appuient également sur plusieurs passages des Évangiles, que je vous propose à présent de commenter. Les deux principaux sont extraits de l’Évangile de Jean. Le premier est en Jean 10, 7-9 :

« Jésus reprit : “En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands, mais les brebis ne les ont pas écoutés. Je suis la porte : si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir.” »

Le second, encore plus connu, est en Jean 14, 6 :

« Jésus lui dit : “Je suis le chemin, la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi.” »

L’idée, à chaque fois, est la même : le Christ est le passage obligé pour aller vers Dieu et vers le salut. Le premier passage, il faut le noter, n’exclut pas la possibilité d’un salut hors du Christ. On peut se demander à qui le Christ fait référence quand Il parle de « ceux qui sont venus avant [Lui] » : certainement pas aux autres religions, à leurs prophètes ou à leurs textes sacrés, en tout cas, puisque ceux-là, les hommes les ont écoutés, et largement. Le second passage, en tout cas, exclut sans ambiguïté la possibilité du salut pour qui ne passe pas par le Christ.

De cela, les traditionalistes tirent les conclusions les plus délirantes. Et bien tristement, les paroles les plus choquantes ne viennent pas de la FSSPX, mais d’un évêque en pleine communion avec Rome, le père Athanasius Schneider. Pour lui, « les hommes deviennent fils de Dieu non par nature, mais par adoption. […] Celui qui est leur créateur devient aussi alors, par la grâce, leur Père ». Comment se fait cette adoption ? Pour le père Schneider, qui suit Athanase d’Alexandrie, « les hommes ne peuvent devenir fils de Dieu que par la foi et le baptême […]. Par conséquent, par nature, Dieu n’est pas au sens propre le Père de tous les êtres humains. C’est seulement si une personne accepte consciemment le Christ et est baptisée qu’elle pourra crier en vérité : Abba, Père ». Le même cite également Cyprien de Carthage : « Il ne peut pas avoir Dieu pour père, celui qui n’a pas l’Église pour mère ».

Est-il besoin d’argumenter contre une telle aberration, et même une telle ignominie ? N’est-on pas instinctivement révolté rien qu’à lire la phrase ? Que, dans les premiers siècles du christianisme, dans un contexte bien particulier où cette religion encore jeune était menacée dans son existence même, de grands penseurs aient pu écrire ces énormités, on le comprend. Mais comment des gens un tant soit peu éduqués peuvent-ils faire de même de nos jours, malgré les progrès spirituels et moraux censés avoir été faits entretemps ?

Un Dieu d’Amour ne peut qu’être le Père de ce qu’Il crée. J’ajouterais : le Père et la Mère, tant il est vrai que Dieu est également masculin et féminin[1]. Créer dans l’amour, par amour et pour l’amour, c’est très exactement la définition même de la paternité et de la maternité. Dieu est donc à l’évidence Père et Mère non seulement de tous les hommes, mais encore de tous les êtres vivants ; prétendre le contraire, c’est dire soit qu’Il n’est pas leur créateur, soit qu’Il n’est pas un Dieu d’Amour ; toute autre proposition serait illogique et incohérente[2].

Pour dire cela, faut-il renier l’Évangile de Jean ? À l’évidence non. Oui, Jésus est la Porte. Oui, Il est le Chemin. Mais comment peut-on avoir l’arrogance de s’imaginer que seuls ceux qui croient consciemment en Lui passent par ce Chemin ? Comment peut-on se dire chrétien et prétendre savoir où est le Christ et où Il n’est pas ? Ce que nous dit le Christ, ce n’est de toute évidence pas que les non-baptisés ne peuvent pas entrer dans le Royaume ; c’est que bien des gens passent par la Porte sans le savoir et sans la reconnaître.

« Bien des gens », ai-je dit ? Plus encore : chaque homme, chaque être vivant. Que ce soit avant sa mort ou après, chacun passe par le Christ et vient au Père, parce que la bonne nouvelle annoncée par le Christ, c’est justement l’amour absolu, infini et inconditionnel de Dieu, et donc le salut universel. Cette idée n’est pas de moi, c’est la théorie des « chrétiens anonymes ». Athanasius Schneider l’exprime bien, même si c’est pour la condamner : selon elle, « la mission de l’Église dans le monde consisterait […] à faire naître la conscience que tous les hommes doivent avoir de leur salut en Jésus-Christ, et par voie de conséquence, de leur adoption filiale en Jésus-Christ ». On est évidemment aux antipodes de la vision de Schneider, conception d’exclusion, fermée et finalement très humaine.

Une chose, et une seule, m’empêche finalement de dire que nous sommes tous chrétiens, même si nous n’en avons pas tous conscience, et c’est le respect que je voue aux convictions de chacun. Appelant « chrétiens » des gens qui ne se revendiquent pas comme tels, j’aurais l’impression de leur faire violence. Mais si nous ne sommes pas tous chrétiens, nous sommes tous frères. Ne pas le voir est, je le crains, tout à fait incompatible avec le christianisme.


[1] Puisque « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Genèse 1, 27).
[2] Exactement de la même manière que l’idée de l’enfer ou de la damnation éternelle est contradictoire avec le caractère absolu et infini de l’Amour divin.

vendredi 15 février 2019

L’Église catholique se convertit à la tolérance (la vraie)


Il y a des jours où le pape François me déçoit (et même beaucoup). Il y en a d’autres où il me réconcilie avec mon catholicisme – en général, ce sont les jours où il met le monde des conservateurs et, plus encore, celui des traditionalistes, en ébullition. Il y avait eu, l’été dernier, la condamnation absolue de la peine de mort – je prévois toujours d’écrire quelque chose là-dessus. Et là, nouveau coup de tonnerre, sur la tolérance religieuse cette fois-ci.

Petit rappel pour ceux qui ne suivent pas de près l’agenda papal. Le 4 février dernier, François a signé, à Abu Dabi, une déclaration commune avec le cheikh Ahmed Mohamed el-Tayeb, imam de la mosquée Al Azhar, considéré comme la plus haute autorité de l’islam sunnite. Ce texte, intitulé « Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune », est pour l’Église catholique comme pour l’islam – je pèse mes mots – d’une portée historique.

Dès le premier paragraphe de l’avant-propos, il appelle le croyant à « sauvegarder la création » et à soutenir ceux qui « sont le plus dans le besoin et les plus pauvres » : d’entrée de jeu, les deux grands enjeux de notre temps sont rappelés. Rien que cela fait du bien : c’est un soulagement de voir l’Église se préoccuper un peu moins de ce qui se passe dans nos slips et nos chambres à coucher, et un peu plus de ce qui compte vraiment. Et rien que ça a fait réagir : le très traditionaliste évêque Athanasius Schneider s’est écrié, avec son sens de l’à-propos habituel, que le « changement climatique » contre lequel la lutte était la plus urgente était le « changement climatique spirituel » – on reste pantois, à défaut d’être surpris. Pas grave : les chiens aboient, la caravane passe.

Cela pourtant n’est déjà plus complètement une nouveauté : c’est le prolongement de ce que le pape avait déjà dit auparavant, en particulier dans son encyclique Laudato si’. Le véritable bouleversement arrive après : « Le pluralisme et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine ». Ça peut vous sembler aller de soi, mais quand on met ça en relation avec l’histoire de l’Église et de sa doctrine, on comprend qu’il s’agit là d’un véritable séisme intellectuel, philosophique et théologique. Non seulement la diversité des religions est, pour la première fois, considérée non pas comme un effet du péché, mais comme étant voulue par Dieu ; mais en plus, cette diversité est placée sur le même plan que l’altérité sexuelle. Pas étonnant que ça secoue.

L’Église catholique romaine deviendrait-elle ardorienne ? Avec cette phrase, le pape François ne fait que dire ce que nous disons depuis très longtemps, et que, jusqu’à présent, l’Église niait : la véritable tolérance consiste non pas à accepter la différence comme un mal nécessaire, mais à l’aimer comme une richesse. Pour cela comme pour beaucoup d’autres choses, on m’a largement traité d’hérétique ; finalement, il semblerait que j’aie surtout été en avance sur mon temps.

Le pape agit comme à son habitude : sans trop en avoir l’air. Il avait autorisé la communion pour les divorcés remariés de manière on ne peut plus explicite, mais dans une note de bas de page de son exhortation apostolique Amoris laetitia. Il procède ici de la même façon : plutôt qu’une encyclique tonitruante entièrement consacrée à la question et qui affirmerait frontalement la révolution doctrinale, le pape glisse l’idée au milieu de beaucoup d’autres, et dans un document tout ce qu’il y a de plus officiel, mais qui sort des cadres traditionnels. Pour ma part, j’ai une préférence instinctive pour la méthode forte ; mais je reconnais que la douceur et la subtilité jésuitiques de François ont leurs avantages. Avant tout, elles permettent de réduire le risque de schisme.

Néanmoins, elles ont aussi leurs inconvénients. Outre que les tradis vont évidemment faire tout ce qu’ils pourront pour affirmer que ce texte ne fait pas partie du Magistère, la forme empêche évidemment tout développement théologique ou argumentatif un peu approfondi. Or, un tel coup de tonnerre mériterait quand même de répondre par avance aux objections qu’on ne manquera pas de lui opposer. Mais comme je suis très bon, je vais le faire pour le pape – il n’aura qu’à s’inspirer, au besoin.

Le principal argument qu’on oppose à cette déclaration est que, comme les différentes religions disent des choses différentes et souvent incompatibles sur Dieu, sur la manière de L’honorer ou sur les règles de morale qu’Il nous demande de suivre, elles ne peuvent toutes avoir raison en même temps. Donc, certaines seraient vraies quand d’autres seraient fausses. Or Dieu, étant Vérité, ne saurait vouloir ni l’erreur, ni le mensonge. Donc, Il ne pourrait vouloir qu’une seule religion (la vraie, évidemment, suivez un peu).

Sur l’argument de base, rien à redire : les différentes croyances (j’y inclus l’athéisme) affirmant des choses contradictoires, elles ne peuvent pas toutes dire vrai sur tout. Je ne suis donc absolument pas relativiste : je ne prétends pas que les religions se valent, ou qu’elles disent toutes également la vérité, ou encore qu’il n’y aurait pas qu’une vérité mais que tout ne serait qu’une question de point de vue. D’ailleurs, si je me revendique chrétien et catholique, c’est bien que j’estime que cette croyance doit, d’une manière ou d’une autre, être plus vraie que les autres – et cela est vrai de toute personne qui revendique une croyance, quelle qu’elle soit.

Il faut cependant rappeler trois choses. La première est le droit à l’erreur : tout le monde – c’est la base de la liberté de conscience et de la liberté d’expression – a le droit absolu de croire et de dire des choses fausses. Ceux qui pensent que la Terre est plate ont le droit de le croire et le droit de le dire, même si on peut leur démontrer le contraire.

Ce droit à l’erreur – et c’est le deuxième point à souligner – est encore plus flagrant en matière de croyance métaphysique, puisqu’en la matière, il est impossible de rien prouver. Les croyances métaphysiques ne sont toujours justement que cela : des croyances, et jamais des savoirs, des connaissances. Je peux croire que Jésus était le Fils de Dieu, ou croire qu’il n’était qu’un prophète, ou croire que Zeus est le dieu de la foudre, ou croire que Dieu n’existe pas, mais je ne peux pas prétendre le savoir. Celui qui pense savoir cela se trompe. Contrairement à ce que continue de prétendre l’Église catholique, la seule raison ne suffit pas à connaître Dieu avec certitude.

Pour ces deux premiers points, on pourrait me rétorquer, cependant, que si Dieu veut que nous soyons libres de professer l’erreur, Il ne veut pas l’erreur elle-même pour autant.

Il y a, cependant, le troisième point, et le plus important : c’est qu’il est bien sûr extraordinairement simpliste de croire qu’il y aurait une religion vraie quand les autres seraient fausses. Même si, évidemment, je pense que ma religion, et plus exactement ma manière de penser et de vivre ma religion, est plus vraie que les autres, j’ai quand même assez d’humilité et de lucidité pour réaliser que, bien sûr, il y a des points sur lesquels je me trompe forcément, et où ce sont d’autres qui ont raison.

Par ailleurs, bien souvent, les différents discours tenus par différentes religions ne s’opposent pas, mais se complètent en insistant plus ou moins sur différents aspects d’une même réalité ; aspects qui ne sont contradictoires qu’en apparence, mais sont en fait également vrais. En tant que catholique, je voue un culte aux saints ; mais je vois dans le refus de ce culte par les protestants un rappel de la primauté de Dieu. Pour moi, le refus du culte des saints par les protestants n’est donc pas en contradiction avec la pratique catholique : il est une autre pratique, qui me convient moins à moi, mais donc l’existence permet probablement aux catholiques d’éviter des dérives propres à leur manière de croire et de faire. Une des plus flagrantes est la tentation permanente de mettre certaines créatures au même niveau que Dieu : la mariolâtrie en cours dans l’Église en est le meilleur exemple. Même si je ne suis ni protestant, ni juif, ni musulman, la présence dans le monde de ces croyants qui n’honorent que Dieu m’évite, je crois, de tomber dans l’excès inverse. De même que, je l’espère, les catholiques peuvent éviter aux protestants, aux juifs et aux musulmans de tomber dans leur propre dérive, qui serait de ne plus voir l’univers que comme un face à face exclusif entre Dieu et l’homme.

Dès lors, il apparaît que les différentes croyances, athéisme inclus, ne sont pas avant tout des discours opposés et contradictoires, mais plutôt l’équivalent des instruments qui, dans un orchestre symphonique, ont des sonorités différentes et jouent des partitions différentes, mais qui sont toutes orientées au service de la même musique. On pourrait également les comparer à des cartes différentes indiquant différents chemins pour se rendre au même point. Chaque chemin peut donc être voulu par Dieu, puisque chacun contient ses richesses et ses particularités propres. L’art est une magnifique illustration de cette vérité : comment croire que Dieu n’a pas voulu la mosquée bleue, le Daigo-ji, la statue chryséléphantine de Zeus à Olympie ou le temple d’Amon à Louxor ?


Évidemment, ça ne veut pas dire que Dieu a tout voulu dans toutes les religions. Évidemment qu’Il ne voulait pas les sacrifices d’enfants des Carthaginois : mais je crois qu’Il veut, en revanche, qu’on n’aille pas à Lui que par un seul chemin. On va m’objecter les paroles de Jésus : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi.[1] » Certes ! Mais l’arrogance – et l’erreur – des chrétiens est de croire que le Christ n’est présent que là où il est consciemment et explicitement reconnu et honoré.

L’essentiel n’est donc pas le chemin qu’on emprunte pour aller au Bien – ou à Dieu, car c’est exactement la même chose –, mais bien d’aller dans cette direction. Or, de ce point de vue, le document signé par le pape et l’imam témoigne d’une remarquable évolution aussi bien de l’Église que de l’islam. L’Église évolue vers plus de tolérance, et vers une tolérance plus réelle ; mais l’islam change également. Le texte signé par el-Tayeb est en effet en contradiction flagrante avec des nombreux passages du Coran, y compris avec des versets considérés comme « abrogatifs » (nâsikh), c’est-à-dire censés primer sur les versets « abrogés » qui les contredisent.

La conclusion s’impose : l’islam est en train d’évoluer vers un nouveau regard sur le Coran. En particulier, la théorie des versets abrogés et des versets abrogatifs s’écroule sous nos yeux. C’est bien sûr un mouvement lent, qui est très loin d’être achevé, alors qu’il remonte au moins aux années 1950. Mais qui pourrait s’en étonner ? L’Église catholique aussi a mis des décennies pour accepter des vérités aussi fondamentales que la liberté religieuse, le dialogue inter-religieux, etc. Le schisme lefebvriste, qui dure encore de nos jours, témoigne que ces évolutions, pourtant officiellement actées par le Concile de Vatican II en 1965, sont loin d’être encore parfaitement admises, presque 60 ans plus tard.

C’est en cela qu’on peut dire que ce document est un pas important vers le fait que le catholicisme et l’islam sunnite regardent un peu plus dans la même direction : les autorités qui les représentent officiellement se rapprochent l’une de l’autre et, ce faisant, s’éloignent chacune des intégristes auxquels elles sont respectivement confrontées. Alors évidemment, ce texte n’est pas parfait, et je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’il contient. Mais il est révélateur d’une évolution de long terme extrêmement positive. Il faut la soutenir.


[1] Évangile selon Jean, 14, 6.

mercredi 6 février 2019

Il faut parler aux gens avant de les manger


Moi qui écoute régulièrement l’émission d’Alain Finkielkraut sur France Culture, Répliques, j’ai eu l’occasion d’y entendre François-Xavier Bellamy. Je sais, je sais, je commence fort, pas vrai ? Vous allez vous dire que je fais de la provoc, que j’abuse, que déjà qu’écouter Finkielkraut, c’est pas bien joli-joli, mais qu’alors un jour où il invite Bellamy, là ça dépasse toutes les bornes, et que la coupe est pleine. Le type est de la Manif pour tous, contre le mariage pour les couples homos, contre l’avortement, évidemment contre la PMA : si je l’écoute, je suis suspect ; si je m’en vante, je suis un monstre.

Je sais. Et depuis l’émission, qui date du 24 novembre dernier, il est en plus devenu la tête de liste des Républicains pour les européennes. Sylvain Tesson, l’autre invité du même jour, le lui avait pourtant déconseillé – il aurait mieux fait de l’écouter, j’en suis conscient. De même que, je vous rassure, je n’ai changé d’avis ni le sur le mariage homo, ni sur l’avortement, deux sujets à propos desquels mon blog, entre autres, témoigne de mon engagement.

Alors pourquoi venir la ramener aujourd’hui ? Parce que, comme je le supposais d’ailleurs en commençant l’émission, j’ai trouvé que ce type avait plein de choses très intéressantes à dire ; et que j’ai compris, simultanément, qu’il pouvait bien dire tout ce qu’il voulait, il serait toujours inaudible, à cause justement de ses positions sur d’autres questions de société.

Ce qui me ramène à un autre de mes grands combats, la liberté d’expression, et à un autre sujet que j’aborde moins souvent, l’importance de l’écoute. C’est d’ailleurs le slogan affiché par l’émission Répliques : « on a besoin d’être éclairé par d’autres et d’écouter silencieusement des conversations qui prennent leur temps ». Or, nous vivons au contraire dans un monde qui cherche de moins en moins à écouter, mais de plus en plus à faire taire.

« Faire taire », c’est même en train de devenir la stratégie principale et pour ainsi dire unique d’un nombre sans cesse croissant de militants de tous bords – et, ce qui me chagrine infiniment, souvent de militants dont je partage par ailleurs les combats. Il y a quelques mois, Philippe Soual, un professeur de philosophie membre de la Manif pour tous, s’est vu retirer son cours d’agrégation sur Hegel à la faculté de Toulouse suite à une campagne menée contre lui sur le campus. Je n’aime pas plus la Manif pour tous qu’il y a quelques lignes, notez bien ! Mais Soual est agrégé et docteur en philosophie, il est spécialiste de Hegel : lui confier ce cours ne semblait pas insensé. En revanche, que la direction d’une faculté de lettres cède aux pressions de groupes de militants, voilà quelque chose d’inquiétant.

Après son film Les Proies, Sophia Coppola a été accusée de racisme pour avoir gommé du roman qu’elle adaptait deux personnages de femmes noires et les avoir remplacées par des blanches. Pire encore, le film Detroit, qui traite de la lutte des Noirs pour l’égalité et la justice aux États-Unis, a subi des attaques similaires au motif que sa réalisatrice, Kathryn Bigelow, blanche et d’origine anglo-norvégienne, n’aurait aucune légitimité à traiter ce sujet qui concerne l’histoire afro-américaine… donc exclusivement les noirs. Dana Schutz, peintre américaine et blanche, avait essuyé une cataracte d’injures et de menaces pour son œuvre « Open Casket », œuvre inspirée d’une photo du cadavre au visage défiguré d’Emmett Till, gamin de 14 ans torturé et tué en 1955 par les suprématistes blancs du Mississippi. Hannah Black avait alors appelé à la destruction du tableau dans une lettre ouverte signée par une vingtaine d’autres artistes. La même Hannah Black qui déclarait : « Le sujet du tableau n’appartient pas à Schutz. La liberté d’expression blanche et la liberté de création blanche ont été fondées sur la contrainte des autres et ne sont pas des droits naturels. » Le PIR ne fait pas mieux.

Dana Schutz, « Open Casket »

Dans un article publié sur sa page Facebook et sur le site de l’UJFP, Julien Salingue, docteur en sciences politiques, enseignant à Paris X, s’en prenait à ceux qui affirment que rien ne justifie la violence et leur lançait : « Tu n’as aucune légitimité […] pour expliquer aux gens qui veulent se faire entendre et qui ne sont jamais entendus, jamais pris au sérieux, jamais écoutés, ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire pour se faire entendre. […] On se passera de tes commentaires, de tes leçons de morale et de tes injonctions. »

On en revient toujours au même point : tu n’es pas d’accord avec moi, et en plus tu n’es pas directement concerné par la question, alors tais-toi.

Qu’il faille donner aussi, et même d’abord, la parole à ceux qui sont directement concernés par un problème comme le racisme, le sexisme ou l’homophobie, c’est une évidence. Mais croire qu’ils seraient les seuls à être légitimes pour en parler est bien entendu complètement absurde ; sinon, aucun être humain ne serait fondé à s’exprimer sur des questions comme la maltraitance animale. Et pourtant, cette absurdité est bien tenace.

À ma modeste échelle, j’en ai fait récemment l’expérience en me faisant rappeler sur Facebook par une amie d’amis que, n’étant ni noir ni femme, je n’avais aucune légitimité à parler de racisme ou de sexisme, à dire par exemple ce qui, à mon avis, était du racisme ou n’en était pas. J’ai essayé de discuter, d’argumenter, mais plus j’apportais d’arguments, plus on me répondait par la même injonction : « Tais-toi ! » Si bien que finalement, la propriétaire des lieux m’a intimé l’ordre de ne plus parler, faute de quoi je serais banni de la page. Faire taire comme seule stratégie face à un désaccord politique : nous y sommes.

Soulignons pour finir que les gouvernements ne sont évidemment pas en reste : la loi sur les « fake news » voulue par le gouvernement de Macron et actuellement discutée va exactement dans le même sens. De même que le gouvernement de Hollande qui, à propos de l’IVG, voulait pénaliser le mensonge. Dans tous les cas, la liberté d’expression, de plus en plus, n’est conçue comme valable que lorsque ce qu’on dit est « vrai ». Dans la discussion mentionnée plus haut, on m’a ainsi balancé, comme si c’était quelque chose d’absolument scandaleux et indéfendable : « En gros tu revendiques ta liberté à dire n’importe quoi ? »

Il faudrait apporter des nuances, bien sûr ; je ne suis pas pour une liberté d’expression absolue et sans aucune limite. L’appel à la haine ou à la violence, la diffamation, la violation de la vie privée me semblent devoir être interdits. Mais sinon, oui, c’est ça : je revendique la liberté pour chacun de dire n’importe quoi. Parce qu’il faut bien penser à une chose : si on n’autorise plus l’expression que de ce qui est « vrai », qui va déterminer ce qui est vrai, et donc autorisé, et ce qui est faux, et donc interdit ? Le gouvernement ? La majorité ? Ce serait la porte ouverte à l’oppression de toutes les minorités. Et d’ailleurs, ça ne satisferait pas grand-monde : au fond, ceux qui veulent faire interdire ce qu’ils considèrent comme « faux » voudraient toujours être eux-mêmes les juges de ce qui l’est. Ce n’est pas comme ça qu’on fera société.

Il faut donc le redire, contre toutes les tentatives d’intimidation, contre toutes les accusations de racisme, de sexisme, d’islamophobie : nous sommes, tous, toujours légitimes à dire ce que nous voulons. La liberté d’expression doit, à mon sens, avoir des limites, mais seulement celles strictement et impérativement nécessaires au vivre-ensemble. Heurter quelqu’un, le choquer, le secouer dans sa zone de confort, ce n’est pas contraire au vivre-ensemble.

Le titre de cet article est la dernière phrase d’un petit conte de Gilles Vigneault, « L’aigle et le castor ». Ceux qui prendront sept minutes pour l’écouter comprendront, peut-être, qu’il est toujours utile et bon d’écouter ceux qui ne sont pas comme nous.
 
 

*** EDIT du 20 mars 2021 ***

Lors de l’investiture du nouveau président des États-Unis Joe Biden, une jeune afro-américaine nommée Amanda Gorman a lu un poème qu’elle avait également écrit, « The Hill We Climb ». Ce poème, devenu immédiatement célèbre, a été traduit dans de nombreuses langues.

Aux Pays-Bas, l’éditeur qui en a obtenu les droits a confié cette traduction à l’écrivain et poétesse Marieke Lucas Rijneveld. Avant même que la traduction ne soit publiée, une journaliste, Janice Deul, a protesté contre ce choix qu’elle qualifie « d’incompréhensible » et qui provoquerait « douleur, frustration, colère et déception ». Pourquoi ? Parce que Rijneveld est blanche. Eh oui, étant blanche, elle ne peut pas traduire une noire.

Même topo en Catalogne, où l’écrivain Victor Obiols s’est vu retirer la traduction du poème, qui lui avait été confiée pas une maison d’édition qui lui a expliqué que finalement il leur fallait « une femme, jeune, activiste, et de préférence noire ». Il a eu beau rappeler que, sans être ni un Grec de l’Antiquité, ni un Anglais de la Renaissance, il avait bien réussi à traduire Homère et Shakespeare, rien n’y a fait.

Voilà où en sont le communautarisme et le racisme en Europe. Des conneries, on en avait entendu : un homme ne pourrait pas être féministe ou parler pour défendre les femmes, un blanc ne pourrait pas être antiraciste ou parler pour défendre les noirs. Maintenant un blanc ne peut plus légitimement traduire une noire. Le racisme anti-blancs, non, toujours pas ?

 

mercredi 16 janvier 2019

Reconnaissance faciale : un combat malheureusement perdu d’avance


D’après Le Monde, 85 associations de défense des droits humains et des libertés publiques ont « sommé » Amazon, Microsoft et Google de ne pas vendre aux États leurs technologies de reconnaissance faciale. On peut déjà s’amuser de la forme. Prétendre que des ONG, aussi importantes soient-elles que « la puissante ACLU (Union Américaine pour les Libertés Civiles) », je cite l’article, puissent « sommer » de quoi que ce soit des entreprises aussi colossales, aussi puissantes (pour le coup) que Google, Microsoft ou Amazon, voilà qui prête pour le moins à sourire.

Mais cette initiative pose surtout des questions de fond. Évidemment, les arguments soulevés par les ONG sont excellents :

« Avec ce pouvoir, il est désormais possible de repérer et de cibler des migrants, des minorités religieuses et des personnes de couleur. […] Dans un monde de surveillance fondé sur la reconnaissance faciale, les gens craindront d’être repérés et ciblés par le gouvernement s’ils participent à une manifestation, se rassemblent hors des lieux de culte, ou simplement vivent leur vie. »

En effet ! Et on peut même aller plus loin : la reconnaissance faciale appliquée à grande échelle par les États serait, à l’évidence, un pas certain vers le totalitarisme ; il faut avoir une solide dose de bêtise ou de mauvaise foi pour ne pas s’en rendre compte. Et naturellement, l’initiative de ces ONG vaut mieux que rien : on ne peut que la soutenir.

Il faut cependant la soutenir lucidement ; et là, une autre évidence s’impose : pour louable qu’elle soit, cette tentative est vouée à l’échec. De deux choses l’une : soit lesdites entreprises, soulevées par un soudain élan de conscience morale et politique, vont effectivement arrêter de vendre leurs technologies dangereuses aux États, se privant ainsi volontairement et de revenus et de leur bienveillance ; soit elles proposeront gentiment aux ONG d’aller se faire foutre et continueront à vendre aux États les outils des totalitarismes de demain.

Même dans l’hypothèse improbable où la première option se réaliserait, que se passerait-il ? Les États ne vont évidemment pas se dire « Ah bon, ben tant pis alors », et en rester là. Ils développeront leurs propres techniques de reconnaissance faciale, et au final le résultat sera exactement le même. Dans le meilleur des cas, tout ce que pourraient faire les patrons des grandes entreprises, avec la meilleure volonté du monde, ce serait de ralentir l’accès des États à la reconnaissance faciale (ou à d’autres technologies tout aussi dangereuses) ; mais ils ne pourraient certainement pas l’empêcher.

Cela illustre parfaitement la pertinence du discours de Tol Ardor sur la technique : face à une technologie nouvelle et dangereuse, il est parfaitement vain d’en appeler à l’éthique, à la morale, au respect des droits fondamentaux ou à la bonne volonté des individus au pouvoir. Une technique disponible sera utilisée parce qu’elle est disponible, de manière parfaitement inévitable, sans autre forme de justification, et quelles qu’en soient les conséquences. Elle le sera plus ou moins vite, à plus ou moins grande échelle, par plus ou moins d’acteurs différents, mais elle le sera.

Prétendre que la technique est neutre en soi et que tout dépend de l’usage qu’on en fait est donc une stupidité : de fait, les hommes étant ce qu’ils sont, si une technique peut être utilisée pour accroître la domination de certains sur d’autres, la domination des riches sur des pauvres, des gouvernants sur les citoyens, des entreprises sur les clients, des humains sur le reste de la nature, elle le sera. Si, par « mauvais usage » d’une technique, on accepte d’entendre « usage entraînant davantage de malheur que de bonheur pour l’humanité et pour la vie », il faut se rendre à cette évidence : dès lors qu’une technique est mauvaise mais présente pour l’humanité ou même pour une petite fraction de l’humanité des avantages immédiats, il est impossible d’empêcher le mauvais usage de cette technique.

Quelles issues nous sont encore ouvertes ? Eh bien pas des masses. Puisque on ne peut pas empêcher qu’une technologie, même extrêmement dangereuse, soit mal utilisée, la première tentation (qui nécessite déjà pas mal de courage) serait de proposer de s’en passer : réduire volontairement notre niveau de développement technique pourrait nous permettre qu’il ne dépasse plus notre niveau de développement spirituel et moral, et donc d’éviter les conséquences les plus dévastatrices de l’usage de ces techniques (destruction massive de la nature, exploitation économique d’une large part de l’humanité, disparition progressive des libertés publiques…).

Mais cela non plus n’est pas possible : l’adage « On n’arrête pas le progrès » est parfaitement juste. De la même manière qu’on ne peut pas empêcher le mauvais usage d’une technique existante, on ne peut pas davantage empêcher le développement d’une technique non encore existante : même si un pays, une entreprise, une institution publique ou privée s’interdit de faire des recherches dans certaines directions, de développer certaines techniques, il y en aura toujours d’autres pour le faire à leur place.

Le totalitarisme semble donc inévitable. Une seule chose pourrait nous en préserver, en fait : c’est que l’effondrement civilisationnel dont nous voyons déjà les premiers signes se fasse assez rapidement pour que les élites ne puissent pas s’y organiser en captant les dernières ressources disponibles sous la forme d’un totalitarisme. Auquel cas, le monde sombrerait dans le chaos, ce qui serait à l’évidence infiniment préférable : dans le chaos, nous pourrions conserver des possibilités d’une vie authentiquement humaine et digne d’être vécue ; du sein même du chaos, nous pourrions reconstruire autre chose. Les totalitarismes de l’avenir ne nous offriront pas de telles chances.

Le totalitarisme ou le chaos : l’avenir apparaît donc d’autant moins réjouissant que ce n’est pas vraiment de nos actions que dépend la résolution de cette alternative, mais du rythme d’évolution de la Crise et des formes qu’elle prendra. Nous pouvons (et même nous devons !) essayer de favoriser ce qui nous pousse vers le chaos plutôt que vers le totalitarisme ; mais, quand on parle concrètement, il est souvent bien difficile de savoir comment agir. Ainsi, on pourrait penser que l’agitation révolutionnaire, les manifestations violentes, etc. iraient dans ce sens ; en réalité, elles suscitent bien souvent de la part du pouvoir des réactions sécuritaires qui, au contraire, nous poussent vers le totalitarisme. Les mesures annoncées par Édouard Philippe à la suite des violences en marge du mouvement des gilets jaunes en sont la parfaite illustration.

À ce stade, on pourrait me reprocher de défendre une position ne pouvant conduire qu’au désespoir et à l’inaction : s’il n’y a plus rien à faire, à quoi bon se bouger ? En fait, c’est tout le contraire. Comme face à une maladie incurable, il n’y a pas de remède, mais il y a des choses à faire. S’il nous sera difficile de provoquer le chaos, nous pouvons au moins l’espérer, et donc, surtout, nous préparer à son arrivée en construisant des communautés résilientes et décroissantes qui porteront en germe la renaissance de notre civilisation. C’est ce que Tol Ardor essaye de faire à travers son installation concrète de la Haute Haie. Il ne s’agit pas de prêcher pour notre paroisse : on peut agir avec nous ou avec d’autres, selon nos principes ou selon des principes différents ; l’essentiel est d’agir.

samedi 12 janvier 2019

Condamne le gavage, aime le foie gras


En 2004, la Californie a voté une loi interdisant la vente des produits « issus du gavage d’une volaille en vue d’agrandir son foie ». Le mets particulièrement visé, vous l’aurez compris, c’est le foie gras. Ses producteurs, évidemment, ne sont pas laissé faire : ils se sont lancés dans une longue bataille judiciaire. Mais ils viennent de la perdre : le 7 janvier dernier, la Cour suprême des États-Unis vient de valider la loi, qui est donc entrée en vigueur. À partir de maintenant, vendre du foie gras en Californie devrait exposer à une amende de mille dollars.

En réalité, les choses sont un tout petit peu plus complexes. Les défenseurs du foie gras arguaient qu’un État ne pouvait pas interdire un produit autorisé à l’échelle fédérale. Le sujet étant sensible – les intérêts économiques des producteurs étatsuniens et canadiens étaient en jeu, mais aussi les relations avec la France, qui avait fait de l’affaire un petit cheval de bataille –, la Cour suprême avait demandé son avis au gouvernement. La réponse de l’exécutif avait été claire : la loi californienne pouvait rester en vigueur, car ce n’était pas un produit – le foie gras – qu’elle interdisait, mais une méthode de production – le gavage.

Sans connaître bien le sujet, on pourrait dire que c’est hypocrite : pour obtenir du foie gras, il faut gaver les volailles ; interdire le gavage reviendrait donc à interdire le foie gras. Sauf que ce n’est pas vrai : on peut tout à fait obtenir du foie gras sans gavage.

En effet, les canards et les oies, qui sont des migrateurs, se gavent naturellement avant d’entreprendre leur migration annuelle, afin de pouvoir voler longtemps sans se nourrir. Il est donc possible de les élever en plein air, de les laisser se préparer naturellement à la migration, et de les abattre juste avant qu’elles ne s’envolent. Vous avez alors un foie gras sans aucun gavage. Le procédé peut d’ailleurs être aidé, par exemple en donnant aux animaux des ferments lactiques naturellement présents dans leurs intestins.

Vous aurez compris, je pense, que cette découverte qui n’en est pas vraiment une ne va pas tout changer du jour au lendemain. Le procédé sans gavage est beaucoup plus long que la méthode conventionnelle ; par ailleurs, les foies obtenus sont aussi plus petits. Conséquence évidente : le produit est beaucoup plus cher (environ 6 fois plus, alors que le foie gras industriel est déjà un produit de luxe).

Mais cette question illustre parfaitement les débats actuels sur notre agriculture, eux-mêmes emblématiques de la réflexion écologiste sur notre mode de vie. Le constat, pour quiconque a les yeux ouverts et un iota d’honnêteté, est sans appel : notre mode de vie n’est pas soutenable. Il ne se passe pas une semaine sans qu’une étude scientifique vienne nous rappeler à quel point notre niveau de vie est prédateur, destructeur ; il ruine la possibilité même pour nos enfants de vivre une vie décente et pleinement humaine. De la même manière, d’un point de vue moral, infliger aux animaux de grandes souffrances pour notre simple plaisir gustatif n’est pas défendable.

Face à ce constat, il n’y a que trois attitudes possibles. La première, très majoritaire, consiste à ne rien faire, à mettre la tête dans le sable et la poussière sous le tapis, à se dire qu’après-moi-le-déluge et que ça-tiendra-bien-tant-que-je-vivrai. C’est une attitude irresponsable et moralement indéfendable. C’est, à mon sens, celle de tous ceux qui ne se réclament pas de l’écologie radicale – je pèse mes mots.

La seconde consiste à vouloir tout arrêter. C’est une position montante dans au sein de l’écologie radicale. Les animaux souffrent dans l’élevage industriel ? Supprimons toute forme d’élevage. C’est la position des vegans, par exemple, qui veulent interdire non seulement toute forme de consommation animale, mais également l’usage de tout produit dérivé des animaux ou fabriqué par eux – fromage, beurre, cuir, miel, cire d’abeille, etc.

Pour ma part, je crois qu’il est possible de construire une écologie authentiquement radicale, biocentriste et antispéciste, mais qui repose sur d’autres fondements ; et le foie gras sans gavage en est une illustration. Il montre qu’il est possible d’assumer sa nature d’animal omnivore et de préserver une part de notre culture tout en respectant les animaux aussi bien que la nature, à condition de changer de modèle. Car de la même manière que ce n’est pas le foie gras comme produit qui pose problème, mais le gavage comme méthode de production, ce ne sont pas l’élevage ou la consommation de viande qui posent problème, mais l’industrie comme méthode d’élevage, de transport et d’abattage.

Une agriculture écologique coûtera plus cher, nécessitera plus de bras, plus de temps, plus d’efforts. Du foie gras, nous en mangerons moins et moins souvent, mais nous pouvons en manger. Pour cela, il faut choisir une écologie radicale qui impose de changer de modèle, mais pas forcément de renoncer à tout. Ni immobilisme, ni jusqu’au-boutisme.