Affichage des articles dont le libellé est Benoît XVI. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Benoît XVI. Afficher tous les articles

mercredi 15 janvier 2020

Procès Preynat : je suis inquiet


Rien ne peut justifier, excuser, minimiser ce qu’a probablement fait le père Preynat aux très nombreuses personnes qui l’accusent. Si ce qu’ils disent est vrai, et je le crois sans l’ombre d’un doute, puisqu’il avoue lui-même l’essentiel des faits, et tant la masse des témoignages qui l’accablent est importante, ses crimes sont épouvantables. Et il est inquiétant de constater que l’Église ne semble toujours pas prendre toute la mesure de l’horreur qui se révèle.

C’est vrai pour le clergé, dont une large part reste arc-boutée sur des positions dogmatiques qu’il est pourtant bien difficile d’exonérer complètement de toute responsabilité en la matière. Comment croire qu’un célibat et une abstinence sexuelle non choisis puissent n’avoir aucun rapport avec l’ampleur des crimes pédophiles dans l’Église ? Le cardinal Sarah, qui il est vrai ne manque jamais l’occasion de dire une sottise pour peu qu’elle ait été défendue par le Magistère depuis quelques siècles, vient ainsi de publier un livre dans lequel il demande qu’on ne touche surtout pas à cette discipline du célibat des prêtres. Son livre, publié avec la complicité plus ou moins consciente de Benoît XVI, aura un mérite auquel il n’a sans doute pas pensé : en mettant en scène l’affrontement idéologique entre deux papes vivants, il contribuera à affaiblir l’autorité papale, en montrant que les évêques de Rome ne sont finalement que des hommes, et pas les demi-dieux que beaucoup de catholiques ont trop tendance à voir en eux. C’est peu au regard de la défense d’une discipline qui, si elle peut se justifier quand on la choisit, fait tant de mal quand elle est imposée.

Mais c’est vrai aussi pour les fidèles, les catholiques de la base, qui sont aussi l’Église, et qu’on voit refuser de répondre aux questions des journalistes sur l’affaire Preynat au sortir de la messe, et fuir l’air offensé en criant au complot et à l’acharnement médiatique. Il est inquiétant de voir la ghettoïsation, la balkanisation, la communautarisation de la France prendre une telle ampleur que les gens cessent ainsi de réfléchir pour se contenter de réagir, réagir « en » quelque chose, ici « en » catholiques : oh, ah, grrr ! encore une accusation de pédophilie qui sort dans les médias ! Éteignons les cerveaux, c’est de l’acharnement.

Pour autant, il est également inquiétant d’entendre les journalistes qui couvrent le procès parler, sans la moindre précaution oratoire, des « victimes » du père Preynat, de ce qu’il leur « a fait subir », bref sans s’embarrasser d’un soupçon de présomption d’innocence, et précisément comme si justice était déjà rendue. Encore, dans ce cas précis, est-ce moins grave du fait que l’accusé reconnaît lui-même les crimes dont on l’accuse, même s’il semble n’en pas mesurer pleinement la gravité. Mais dans bien d’autres affaires, ou dans des affaires connexes, les journalistes ne prennent pas plus de gants : c’est inquiétant.

Il est inquiétant aussi de voir ces mêmes journalistes ne pas opposer la moindre critique, la moindre mise au point, que dis-je ? pas même la moindre nuance ou le moindre questionnement quand une des victimes présumées affirme que la prescription des crimes commis ne devrait pas exister. Qu’il le ressente, qu’il le croie, c’est très compréhensible ; ça s’explique par les souffrances inouïes qu’il a probablement vécues. Mais justement, quand on est victime, on est rarement le mieux placé pour savoir ce qui est juste. Si quelqu’un tuait un de mes fils, je sais très bien que je n’aurais plus qu’un désir, l’emmurer vivant dans une cellule minuscule et l’y faire croupir pour le restant de ses jours, comme dans Les Maîtres de l’orge – sauf que je lui aurais sans doute arraché les ongles et les dents auparavant. Mais est-ce que la réalisation de ce désir serait juste ? À l’évidence non, et c’est justement parce que, Dieu merci, je ne suis pas victime de ce drame, que je peux le voir.

Le Monde a publié, le 10 janvier dernier, un article qui rappelle qu’« une société sans oubli est une société tyrannique ». Rappel salutaire. Il est inquiétant qu’il soit nécessaire.

L’Église ne parvient pas à ouvrir les yeux sur l’horreur de ce qu’elle a, sinon bâti, du moins couvert et protégé ; et l’École, obnubilée qu’elle était par la promotion acharnée de la démocratie et de la souveraineté populaire, a échoué à transmettre tout le reste de nos valeurs les plus fondamentales, pourtant infiniment plus précieuses et plus importantes : la présomption d’innocence, la nécessité de l’oubli et du pardon pour faire vivre une société, l’importance d’un procès contradictoire et des droits des accusés. Il y a des raisons d’être inquiet.

Le père Preynat (photo Maxime Jegat pour Le Progrès)


samedi 15 juillet 2017

Réintégrons les tradis de la FSSPX à l’Église !

Tout le monde en parle, alors parlons-en : les lefebvristes pourraient être prochainement réintégrés dans l’Église via une prélature personnelle. Et ça y est, comme dans une classe de terminale ES, je sens bien qu’au bout d’une phrase, j’ai perdu les neuf dixièmes de mon auditoire. Lefebvristes ? Prélature personnelle ???

Point histoire. De 1962 à 1965, le concile de Vatican II fut à l’origine d’un immense aggiornamento de l’Église. Sur les dogmes, sur la morale, sur les rites, il fut un grand moment de réforme de catholicisme dans le sens d’une modernisation et d’une ouverture au monde. Évidemment, de nombreux fidèles, mais aussi des évêques, s’opposèrent à ces évolutions. Parmi eux, le plus virulent était sans doute Marcel Lefebvre. Ses grands refus : la liberté religieuse, l’œcuménisme, le dialogue inter-religieux, la messe en langue vernaculaire, pour l’essentiel.

En 1970, il fonde la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX), qui regroupe des prêtres fidèles à l’ancienne doctrine, et le séminaire d’Écône, en Suisse, destiné à en former de nouveaux et ainsi à renouveler leurs troupes. En 1976, suite à sa décision d’ordonner des prêtres sans autorisation du Saint-Siège, Marcel Lefebvre est frappé de suspens a divinis (concrètement, il n’avait plus le droit d’administrer les sacrements). En 1988, il va plus loin et ordonne quatre évêques, toujours sans autorisation papale. Il est alors frappé d’excommunication. Il refuse la sentence, ce qui donne naissance à un schisme au sein de l’Église catholique.

Avant d’aller plus loin, il faut parler un peu du fond. La question essentielle que posait la FSSPX était la suivante : les enseignements du Concile de Vatican II étaient-ils, oui ou non, tous compatibles avec le Magistère antérieur de l’Église ? Et sur ce point, la réponse est claire : non, ils ne l’étaient pas. Beaucoup d’idées professées par Vatican II non seulement ne sont pas compatibles avec ce que l’Église avait auparavant affirmé, mais il y a quelques siècles de cela, elles auraient même conduit au bûcher ceux qui les auraient tenues publiquement. Ce que les conservateurs appellent « l’herméneutique de la continuité », à savoir la tentative d’interpréter les textes de Vatican II en conformité avec la totalité du Magistère et de la Tradition, est une pure illusion, vouée à l’échec.

Les exemples sont légions. Je ne peux en citer ici que quelques-uns. En 1864, le Syllabus de Pie IX établit une liste des propositions qui doivent être tenues pour fausses par tout catholique. Parmi elles : « Il est libre à chaque homme d’embrasser et de professer la religion qu’il aura réputée vraie d’après la lumière de la raison. » (§ XV). Ou encore : « C’est avec raison que, dans quelques pays […], la loi a pourvu à ce que les étrangers qui s’y rendent y jouissent de l’exercice public de leurs cultes particuliers. » (§ LXXVIII) De la même manière, en 1832, Grégoire XVI, dans son encyclique Mirari vos, condamne aussi bien la liberté de la presse que la liberté de conscience.

Or, toutes ces condamnations frappent des idées reconnues vraies par Vatican II. Dignitatis humanae affirme ainsi la liberté religieuse et la possibilité pour toutes les religions d’enseigner et de manifester leur foi publiquement. Lumen gentium affirme que les musulmans et les chrétiens adorent le même Dieu. Nostra ætate va plus loin en posant la présence d’une vérité dans les religions non chrétiennes et en promouvant le dialogue interreligieux.

Je passe rapidement sur le mythe qui voudrait que tout cela ne serait pas bien grave, puisque Vatican II serait un Concile « pastoral » et non pas « dogmatique ». Faut-il rappeler que, sur les quatre constitutions produites par le Concile, deux sont qualifiées de « dogmatiques » ? Dont, justement, la très critiquée Lumen gentium.

Force est donc de le constater : sur la question de savoir si les enseignements de Vatican II étaient tous compatibles avec la Tradition et le Magistère antérieurs, Marcel Lefebvre et la FSSPX avaient raison ; ils ne le sont pas. Il faut donc en effet faire un choix : soit on est fidèle à la Tradition antérieure, soit on est fidèle à Vatican II, mais on ne peut pas être fidèle entièrement aux deux à la fois : ce serait contradictoire.

Ce point étant réglé, revenons à l’histoire. Depuis le schisme de 1988, la FSSPX continue son œuvre, et le dialogue entre elle et le Vatican n’a jamais été rompu, sans pour autant parvenir à le résorber. Mais depuis quelques mois, on parle de plus en plus de la possibilité de réintégrer officiellement les tradis de la FSSPX en créant pour eux une prélature personnelle. Pour faire vite, une telle institution (créée, ironie de l’histoire, par le Concile de Vatican II…) regroupe des clercs – diacres, prêtres et évêques – autour d’un engagement particulier ; ils sont placés sous l’autorité d’un prélat qui lui-même dépend directement du Saint-Siège. Les prélatures personnelles sont assez proches des ordinariats militaires destinés aux soldats catholiques, ou encore des ordinariats personnels qui regroupent les anciens fidèles anglicans ayant demandé leur rattachement à l’Église catholique.

La FSSPX pourrait donc prochainement devenir à son tour une prélature personnelle. Un évêque serait nommé à sa tête par la Fraternité, puis confirmé par le pape ; elle rassemblerait les prêtres et évêques qui demanderaient à la rejoindre ; elle aurait le droit de célébrer la messe comme elle l’entend (c’est-à-dire en latin et selon le rite de Pie V). Reste une question majeure : aurait-elle le droit de refuser certains enseignements de Vatican II ?

Pour l’instant, c’est sur ce point, et sur ce point seulement, que les discussions achoppent. Benoît XVI avait envoyé une multitude de signaux favorables à la FSSPX (motu proprio Summorum pontificum en 2007, levée des excommunications des évêques schismatiques en 2009…) et on s’attendait alors à un retour de la Fraternité dans le giron de l’Église. Mais le pape avait cherché à imposer à ses membres un « préambule doctrinal » établissant leur adhésion à l’ensemble des dogmes établis par le Concile, ce qu’ils avaient refusé.

Théoriquement, on en est toujours là. Mais le pape François, contrairement à Benoît XVI, n’est pas un dogmatique ; il se pourrait, même si à ce stade rien n’est encore certain, qu’il accepte de réintégrer la FSSPX à l’Église sans chercher à les faire plier sur le plan doctrinal. Il sait que, de toute manière, la plupart des membres de la Fraternité ne peuvent pas, en leur âme et conscience, accepter le Concile. S’il y a une qualité qu’on peut leur reconnaître, c’est la clarté, l’honnêteté, la franchise : quand ils ne sont pas d’accord avec quelque chose, ils le disent. Ils n’essayent pas, contrairement à bon nombre de conservateurs ou de traditionnalistes non schismatiques, de tordre les textes et de leur faire dire le contraire de ce qu’ils disent pour faire croire que des contradictions pourtant éclatantes n’existent pas. Par conséquent, ils n’accepteront jamais aucun texte qui les ferait plier sur ce qui les dérange dans Vatican II. Et François se dit peut-être qu’après tout, ce ne serait pas un prix si élevé à payer pour mettre fin au schisme.

Face à cela, les réactions des catholiques réformateurs, d’ouverture ou « modernistes » se résument en général à un refus scandalisé. Certains vont même jusqu’à en faire une ligne rouge : « c’est eux ou nous ! S’ils reviennent, on s’en va. » Or, cela me semble parfaitement absurde ; et je crois même, pour ma part, que la réintégration des intégristes schismatiques dans l’Église serait une excellente nouvelle.

Ça vous semble paradoxal ? De toute évidence, je suis en désaccord total, radical, absolu avec les positions de la FSSPX. Sur tous les points qui ont donné naissance au schisme, je suis d’accord avec l’Église de Vatican II bien plus qu’avec eux. Si je veux les réintégrer, ce n’est donc évidemment pas parce que je soutiendrais leur position ; c’est parce que ça signifierait que l’Église n’imposerait plus aux fidèles l’acceptation de l’ensemble des dogmes professés pour se dire catholique.

Je crois que la plupart des gens ne mesurent pas l’immense révolution que cela représenterait dans l’Église. Une des choses dont elle crève, notre Église, c’est justement son dogmatisme. L’attachement aux dogmes, voilà notre faiblesse et notre grande tentation. On ne mesure pas assez tout ce qui découle de là. Sa première manifestation, c’est l’idée que l’Église a toujours eu raison, qu’elle n’a jamais erré, ne s’est jamais trompée ; idée si manifestement absurde qu’elle a éloigné du catholicisme de très nombreuses personnes. De là découlent d’autres inepties comme l’infaillibilité pontificale ou le mythe du développement continu et non contradictoire du dogme – encore de véritables repoussoirs.

Le premier pas vers la guérison de cette maladie mortelle, de cette addiction aux dogmes, c’est justement d’admettre l’évidence : il n’est pas besoin d’adhérer à l’ensemble de ce que l’Église a toujours reconnu comme vrai pour se dire catholique. De toute manière, si c’était nécessaire, des catholiques, il n’y en aurait aucun. Personne, absolument personne, n’adhère entièrement à l’intégralité du Magistère ; ceux qui prétendent le contraire soit ne le connaissent pas assez, soit son de mauvaise foi. Cela, l’Église ne veut pas encore le voir. Mais accepter le retour des lefebvristes sans les faire plier sur Vatican II, ce serait enfoncer un énorme coin dans ce mythe destructeur. Car si on accepte que la FSSPX revienne sans adhérer à Vatican II, ça signifie que nous, en retour, nous avons le droit de refuser Vatican I sans cesser pour autant de nous proclamer catholiques. Pour faire simple, l’Église reconnaîtrait enfin, réellement, le primat de la conscience personnelle sur l’enseignement magistériel.

Bien sûr, il faudrait se battre pour éviter que les autorités romaines ne fassent deux poids, deux mesures. Mais ce combat serait gagné d’avance, car il aurait pour adversaire une contradiction logique.

Il ne faut donc pas avoir peur d’un retour des lefebvristes au sein de l’Église : bien au contraire, il faut l’espérer et y travailler ! D’abord parce que, en toute logique, nous qui revendiquons pour nous-mêmes la liberté de conscience et le droit de critiquer l’enseignement de l’Église, nous ne pouvons pas raisonnablement refuser ces mêmes droits à nos frères traditionnalistes. Si nous voulons avoir le droit de critiquer l’enseignement de l’Église en matière de contraception ou de prêtrise des femmes, il faut bien leur laisser celui de le critiquer aussi en matière d’œcuménisme ou de liberté religieuse ! Mais aussi parce que, d’un point de vue stratégique, un retour de la FSSPX sans capitulation doctrinale serait un précédent sur lequel nous pourrions à jamais nous appuyer à l’avenir.

De même que le Christ nous rappelait que nous n’avons guère de mérite si nous faisons du bien à nos amis, je dirais que nous n’en avons pas plus si nous n’acceptons dans l’Église que ceux qui sont plus ou moins d’accord avec nous. Depuis le XIXe siècle, l’Église est fracturée, et les traditionalistes essayent de nous en chasser au motif que nous refusons des dogmes de l’Église. Maintenant que le pape est un peu plus de notre côté, ne nous abaissons pas à leur niveau. Montrons-leur que nous les accueillons au contraire et que, même si ce n’est pas réciproque, nous les reconnaissons comme nos frères. Assumons nos désaccords, traitons-les en adversaires, mais pas en ennemis. La cohabitation au sein de la même Église sera sans doute plus difficile que de construire deux Églises séparées, une pour eux et une pour nous, mais je crois tout de même que sur ce chemin ardu, nous avons beaucoup à gagner.

jeudi 15 octobre 2015

La fracture dans l’Église catholique peut-elle encore être résorbée ?


Le début de la session ordinaire du Synode sur la famille fait décidément très peur aux conservateurs et aux traditionnalistes de l’Église catholique. Dans mon dernier billet, j’analysais certaines réactions au coming-out du père Charamsa. L’intervention du cardinal Sarah devant le Synode vient d’en apporter un nouvel exemple.

Présentons le personnage. Né en 1945 en Guinée, le père Robert Sarah est une huile de la Curie. Nommé évêque en 1979 par Jean-Paul II, il est élevé au cardinalat par Benoît XVI en 2010 – autant dire qu’il n’a pas fait carrière sur ses ambitions réformatrices. En 2014 enfin, il devient préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements. Depuis, il se dispute avec le cardinal Burke la place de grand-gardien-de-la-doctrine-de-toujours contre tous ceux qui proposent des évolutions doctrinales ou pastorales.

Or, il y a quelques jours, le père Sarah s’est exprimé devant le Synode ; son intervention ayant fuité dans la presse, certains de ses propos déclenchent ces jours-ci une petite polémique. C’est un peu long, mais je ne trouve pas inutile de le partager à peu près in extenso. Jugez plutôt :

« Il y a de nouveaux défis par rapport au synode de 1980. Un discernement théologique nous permet de voir à notre époque deux menaces inattendues […] situées sur des pôles opposés : d’une part, l’idolâtrie de la liberté occidentale ; de l’autre, le fondamentalisme islamique : laïcisme athée contre fanatisme religieux. Pour utiliser un slogan, nous nous trouvons entre “l’idéologie du genre et l’État islamique”. Les massacres islamiques et les exigences libertaires se disputent régulièrement la première page des journaux. […] De ces deux radicalisations se lèvent les deux grandes menaces contre la famille : sa désintégration subjectiviste dans l’Occident sécularisé, par le divorce rapide et facile, l’avortement, les unions homosexuelles, l’euthanasie, etc. (cf. la gender theory, les FEMEN, le lobby LGBT, le Planning familial…). D’autre part, la pseudo-famille de l’islam idéologisé qui légitime la polygamie, l’asservissement des femmes, l’esclavage sexuel, le mariage des enfants, etc. (cf. al-Qaida, État islamique, Boko Haram…). […]
Ces deux mouvements […] encouragent la confusion (homo-gamie) ou la subordination (poly-gamie). En outre, ils postulent une loi universelle et totalitaire, sont violemment intolérants, destructeurs des familles, de la société et de l’Église, et sont ouvertement christianophobes. […]
Nous devons être inclusifs et accueillants à tout ce qui est humain ; mais ce qui vient de l’Ennemi ne peut pas et ne doit pas être assimilé. […] Ce que le nazisme et le communisme étaient au XXe siècle, l’homosexualité occidentale et les idéologies abortives et le fanatisme islamique le sont aujourd’hui. »

Logiquement, toute personne saine d’esprit devrait rester muette de stupeur devant un tel étalage de bêtise. Je passe sur les amalgames habituels (les homos seraient tous forcément christianophobes, comme s’il n’y avait pas d’homos cathos…) pour en venir directement au cœur du sujet. Le père Sarah compare trois choses : d’une part les deux totalitarismes les plus aboutis du XXe siècle (le nazisme et le stalinisme), d’autre part le fanatisme violent de l’islam fondamentaliste, enfin le mouvement de libération sexuelle occidental, plus précisément l’homosexualité et la « théorie du genre ».

Est-il vraiment besoin de démontrer que cette comparaison est vide de toute espèce de crédibilité, de validité ou d’intelligence ? Ces trois choses n’ont rien de comparable. D’abord parce que pour les mettre en parallèle, il faut faire complètement l’impasse sur leurs conséquences concrètes, en premier lieu sur le nombre de morts : des dizaines de millions pour les totalitarismes ; quelques dizaines de milliers pour l’islam fondamentaliste ; aucun pour l’homosexualité. Rien que ça devrait suffire à invalider l’équivalence.

Ensuite parce qu’il faut n’avoir rien compris au concept de totalitarisme pour croire qu’il y ait quoi que ce soit de totalitaire dans la banalisation de l’homosexualité ou dans les études de genre. Le totalitarisme est un concept essentiel pour comprendre certaines réalités de notre histoire (et peut-être – Dieu nous en garde – de notre avenir) ; on ne gagne rien à le galvauder et à l’utiliser pour tout et n’importe quoi. Le totalitarisme est un régime politique (pas n’importe quelle idéologie, déjà…) qui vise à établir un contrôle total de l’État non seulement sur tous les aspects de la société (politique, économie, culture etc.), mais également sur tous les aspects de la vie des individus, ce qui implique la surveillance de masse de leur vie privée. Rien, absolument rien de tel dans les études de genre ou l’homosexualité.

À ce stade, quelques élèves du fond de la classe se dressent et me disent : « mais non, vous n’avez rien compris, le cardinal Sarah comparait seulement les deux parce que ce sont deux menaces ! ». Rasseyez-vous, jeune homme, on va s’occuper de vous. Quand bien même l’homosexualité serait une menace (ce que je réfute), la comparaison n’en serait pas plus valide pour autant. En effet, il ne suffit pas que deux choses puissent être qualifiées de la même manière pour pouvoir être comparées ; encore faut-il qu’elles soient de grandeur comparable. Ainsi, le père Sarah est clairement une menace pour nous, de même que Hitler était une menace en 1939 ; mais il ne me viendrait pas à l’esprit de les mettre en balance, parce que de toute évidence, même un crétin de son calibre n’est pas une menace équivalente à ce qu’était Adolf Hitler. Quand une différence de degré devient trop importante, elle induit une différence de nature : la mer, ce n’est pas une très-très-très grande bassine d’eau.

Mais tout ça, à la rigueur, ce n’est pas le plus intéressant. S’il ne s’était agi que de démontrer l’absurdité des propos de ce triste prélat, je n’aurais pas pris la peine d’écrire. Non, ce qui m’intéresse, moi, ce sont les réactions des gens, en particulier sur les réseaux sociaux.

Face à une connerie aussi manifeste, en effet, même le plus irréductible adversaire de l’homosexualité, de l’avortement ou des études de genre devrait avoir la sagesse de dire : « ok, d’habitude je suis d’accord avec le cardinal Sarah, et je suis d’accord avec lui pour dire que l’homosexualité est une menace, mais là, il a merdé, sa comparaison ne tient pas la route ». Moi, par exemple, je défends, dans certains cas de figure, la possibilité pour les femmes d’avorter ; mais quand quelqu’un défend la même chose que moi en disant « la femme c’est son corps elle en fait ce qu’elle veut d’abord ! », ça ne m’empêche pas de dire que c’est un argument débile et d’expliquer pourquoi.

Or, ici, c’est tout le contraire qui se passe : loin de renier ces propos, tous ceux qu’on entend généralement hurler à la mort de la civilisation pour cause de loi Taubira y vont de leur petite phrase – je n’ose écrire « de leur argument » – pour défendre la comparaison établie par le père Sarah. Et cette défense de ce qui est manifestement indéfendable n’est pas innocente ; au contraire, elle est très révélatrice d’une évolution de ces gens : ils ne sont plus dans une logique de débat d’idées, ni même dans une logique militante ; ils sont dans une logique de guerre.

Ces trois stades doivent être bien distingués. Dans un débat d’idées, on se contente de parler de théorie, sur le fond. Le militantisme s’appuie sur le débat d’idées, mais c’est dans une perspective d’action concrète, pour une transformation ou au contraire le maintien d’un état de choses. Dans l’un et dans l’autre, il peut se constituer des camps (on est d’accord ou pas avec une idée, on promeut une réforme ou on veut l’empêcher), mais ces camps sont toujours plus ou moins souples : ainsi, on peut défendre une certaine réforme, mais pas une autre, et donc passer d’un camp à l’autre selon les questions examinées.

Mais la logique de guerre est différente. Dans cette perspective, on cherche d’une part à polariser le conflit, et de préférence en le moins possible de pôles – l’idéal est qu’il n’y en ait plus que deux, « nous et eux », « nous et les autres », « les gentils et les méchants » –, et d’autre part à forcer les gens à choisir leurs camp : « if you’re not with me, then you’re my ennemy ». Et à partir du moment où les camps sont constitués, on tire à vue sur l’ennemi, et on protège le camarade de combat le plus possible.

C’est très exactement ce qu’on observe. Le cardinal Sarah peut proférer les plus énormes aberrations, il sera automatiquement défendu bec et ongles par un très grand nombre de personnes pour la seule raison que, comme elles, il s’oppose à toute évolution doctrinale ou même pastorale de l’Église sur les questions de morale sexuelle et familiale.

Qu’il y ait, au sein même de l’Église catholique, une fracture entre des camps – grosso modo trois camps : les réformateurs qui veulent des évolutions, les traditionnalistes qui veulent revenir à une situation antérieure, les conservateurs qui veulent préserver le statu quo –, il y a longtemps que nous le savons. Mais ce qui me semble nouveau, c’est que ces trois camps soient apparemment en train d’évoluer d’une logique militante vers une logique guerrière. Si cette évolution se confirme, les conséquences pour l’Église ne pourront être que catastrophiques, car il sera bien plus difficile pour les représentants de ces trois courants de continuer à se prétendre en communion, et donc de continuer, tout simplement, à faire partie de la même institution.

Il faut donc lutter contre cette tendance. Mais cela implique de renoncer aux attitudes guerrières, et donc à la solidarité inconditionnelle entre membres d’un même camp. On peut être de Robert Sarah ou de Hans Küng ; mais il faut savoir si l’on est d’abord de Robert Sarah ou de Hans Küng, ou d’abord du Christ.

mardi 24 février 2015

Le fouet pour HSBC, le pardon pour Gleeden


L’Évangile gagne à être lu comme un tout ; trop souvent l’exégèse isole les textes les uns des autres, et affaiblit leur sens.

Prenons d’abord le très célèbre passage de la femme adultère, en Jean 8, 3-11 :

« Les scribes et les pharisiens amenèrent alors une femme qu’on avait surprise en adultère et ils la placèrent au milieu du groupe. “Maître, lui dirent-ils, cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère. Dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu ?” Ils parlaient ainsi dans l’intention de lui tendre un piège, pour avoir de quoi l’accuser. Mais Jésus, se baissant, se mit à tracer des traits sur le sol. Comme ils continuaient à lui poser des questions, Jésus se redressa et leur dit : “Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre.” Et s’inclinant à nouveau, il se remit à tracer des traits sur le sol. Après avoir entendu ces paroles, ils se retirèrent l’un après l’autre, à commencer par les plus âgés, et Jésus resta seul. Comme la femme était toujours là, au milieu du cercle, Jésus se redressa et lui dit : “Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ?” Elle répondit : “Personne, Seigneur” et Jésus lui dit : “Moi non plus je ne te condamne pas : va, et désormais ne pèche plus.” »

Le « piège » dont il est question est clair. Les scribes et les pharisiens, c’est-à-dire ceux qui sont attachés à la loi juive dans sa lettre, qui veulent qu’elle soit respectée strictement, les fondamentalistes ou les traditionnalistes de l’époque pourrait-on dire, savent deux choses.

D’abord, évidemment, ils connaissent leur sacro-sainte Loi sur le bout du doigt : en effet, la Bible ordonne de lapider les femmes adultères. En Lévitique 20, 10 par exemple, ou encore en Deutéronome 22, 22-24, la condamnation à mort est explicite. Ce qui, entre nous soit dit, devrait régler déjà pas mal de discussions : oui, l’Ancien Testament est un texte souvent violent, qui appelle plusieurs fois au meurtre, ou qui du moins condamne à mort à tire-larigot, et souvent pour des peccadilles. Et donc ce texte, ou plutôt ce recueil de textes, ne saurait être considéré comme étant intégralement la Parole divine : c’est la loi de Moïse, pas celle de Dieu, et si la première s’inspire souvent de la seconde, en bien des passages l’écart entre les deux se fait béance. Mais passons.

Ensuite, nos pharisiens connaissent aussi, à défaut de le comprendre, le message du Christ : ils savent bien qu’Il ne pourra pas prononcer la condamnation à mort. Ils veulent donc exposer Jésus comme traître et rebelle à la loi mosaïque, dans le but de pouvoir le condamner à mort Lui aussi (eh oui, c’était une manie chez pas mal de Juifs du Ier siècle) : soit Il condamne la femme adultère, soit il dénonce la loi de Moïse, mais ce faisant, Il Se condamne Lui-même.

Jésus, cependant, ne tombe pas dans le panneau, et parvient à éviter à la fois la condamnation de la femme et sa propre condamnation. On a beaucoup écrit qu’ainsi, Il préservait la loi juive, en y voyant une illustration du fameux « Je ne suis pas venu pour abolir la Loi mais pour l’accomplir ». Je suis assez sceptique quant à cette interprétation. Quand la loi dit : « il faut lapider », je ne vois pas bien comment on peut dire à la fois « il ne faut pas lapider » et « je n’abolis pas la loi ». Quand on dit l’exact contraire de ce que dit la loi, pardon mais on ne l’accomplit pas, on l’abolit. Je pense donc plutôt qu’ici, le Christ, dont « le temps n’est pas encore venu », pour reprendre une autre formule célèbre, gagne du temps ; il continue à diffuser son message, sa « bonne nouvelle » (ici, c’est particulièrement le cas de le dire, surtout pour la femme), mais Il le fait d’une manière qui ne l’amène pas à la mort – pas encore.

Peut-on généraliser ? Sans doute. Déjà, on peut noter que des histoires de cul, il n’y en a pas des masses dans l’Évangile. La femme adultère, la Samaritaine (encore chez Jean, 4, 5-42), l’affirmation qu’on commet l’adultère dès qu’on regarde quelqu’un avec désir alors qu’on est marié (en Matthieu 5, 27-28), c’est à peu près tout ce qui me vient à froid. Dans les deux premiers cas, Jésus S’abstient de toute condamnation. Cette rareté des mentions de la morale sexuelle, et la rareté plus grande encore des condamnations liées à ces questions, doit déjà nous mettre la puce à l’oreille : nos histoires de fesses, Dieu S’en fout un peu.

Bien sûr, je ne dis pas qu’on ne peut rien faire de mal en matière de sexualité. Le viol, la pédophilie, la zoophilie, parce qu’ils affectent des êtres qui ne sont pas consentants ou qui ne peuvent pas exprimer de consentement éclairé, les blessent profondément, et sont donc intrinsèquement mauvais. De même, ce qu’il y a de mauvais dans l’adultère, c’est principalement qu’il blesse celui qui est trompé. Qu’on ne m’accuse ni de laxisme, ni de relativisme ; mais clairement, ce n’est pas le sexe qui obsède Jésus. Peut-être parce qu’en-dehors des cas extrêmes que je viens de mentionner, les questions sexuelles sont finalement à la fois trop complexes et trop intimes pour pouvoir faire l’objet d’une morale, ou moins encore d’une législation : elles concernent ceux qui font, et Dieu.

Ce manque d’intérêt divin pour les questions de morale sexuelle est plus clair encore si on les met en regard avec d’autres thèmes. Ainsi l’argent, la richesse, l’exploitation de l’homme par l’homme : ça, ça a l’air de L’obséder davantage. On peut noter par exemple l’omniprésence des publicains, qui est un peu le modèle de l’homme pécheur à qui le Christ S’adresse pour le convertir et le sauver. Qui étaient les publicains ? Des individus à qui le pouvoir romain sous-traitait la collecte des impôts. En gros, le publicain avance la somme due au pouvoir, puis se rembourse sur la population en prenant une commission au passage. Et pour récupérer les sommes engagées, les publicains n’hésitaient pas, bien souvent, à recourir à la violence en cas de besoin. Pas franchement des enfants de chœur, donc : plutôt un mélange entre le collecteur d’impôts et le parrain de la mafia. Voilà donc le personnage qui semble avoir le plus besoin de la conversion : celui qui s’enrichit sur le dos des autres, particulièrement des faibles.

On peut aussi citer plusieurs passages des Évangiles qui vont dans le même sens. Le jeune homme riche, par exemple. Il interroge le Christ sur la manière d’obtenir la vie éternelle, et Jésus lui répond par le décalogue. Ce à quoi le jeune homme répond, d’après Luc 18, 21-25 :

« “Tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse.” L’ayant entendu, Jésus lui dit : “Une seule chose encore te manque : tout ce que tu as, vends-le, distribue-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi.” Quand il entendit cela, l’homme devint tout triste, car il était très riche. Le voyant, Jésus dit : “Qu’il est difficile à ceux qui ont les richesses de parvenir dans le Royaume de Dieu ! Oui, il est plus facile à un chameau d’entrer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu.” »

La comparaison est éclairante. À la femme adultère, Jésus ne faisait ni menace, ni avertissement : Il lui conseillait de ne plus pécher, point final. Au riche, c’est tout autre : sans la grâce divine, mentionnée aux versets suivants, la comparaison avec le chameau indique clairement que le riche ne peut tout simplement pas être sauvé. Dans la même veine, on pourrait citer l’épisode des marchands du Temple, en Jean 2, 13-16 :

« La Pâque des Juifs était proche et Jésus monta à Jérusalem. Il trouva dans le Temple les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, ainsi que les changeurs qui s’y étaient installés. Alors, s’étant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du Temple, et les brebis et les bœufs ; il dispersa la monnaie des changeurs, renversa leurs tables ; et il dit aux marchands de colombes : “Ôtez tout cela d’ici et ne faites pas de la maison de mon père une maison de trafic.” »

Un fouet, grand Dieu ! Jésus, l’homme du pardon, de l’amour universel, de priez-pour-ceux-qui-vous-persécutent, et de faites-du-bien-à-ceux-qui-vous-font-du-mal, et de tends la joue gauche, et de donne encore ton manteau, Jésus, le Gandhi de l’époque, l’homme de la douceur et de la non-violence, pour une fois, une seule fois dans tout l’Évangile, Jésus frappe. Qui frappe-t-Il ? Pas les adultères, pas les homosexuels, non, Il frappe les marchands, les changeurs, autrement dit les banquiers de l’époque. La seule et unique fois où Jésus attaque avec Ses mains, et plus avec Ses mots, ce n’est pas contre les adeptes de la Luxure, c’est contre ceux de l’Avarice.

Que peut-on en déduire ? Que François, en condamnant le capitalisme libéral et en faisant des pauvres un des piliers de son pontificat, est bien plus proche de Dieu que Paul VI, Jean-Paul II ou Benoît XVI, qui donnaient un peu l’impression de considérer comme plus important de savoir s’il fallait se mettre un tuyau de plastique sur la queue pour baiser. Parce qu’on aura beau tout chercher à mettre sur le dos des médias, la grande encyclique de Paul VI, ça reste Humanæ Vitæ, et les théologiens de la libération, qui osaient demander pourquoi les pauvres étaient pauvres, ont été condamnés par Jean-Paul II et son adjoint le cardinal Ratzinger.

On peut aussi se dire qu’en portant plainte contre Gleeden, site de rencontre basé sur l’infidélité, pour outrage à la pudeur et atteinte aux bonnes mœurs et à la morale publique, les Associations Familiales Catholiques sont bien à côté de la plaque. Franchement, les mecs, c’est ça, selon vous, l’urgence ? Lutter contre les promoteurs de l’infidélité ? D’accord, c’est cynique de faire du fric là-dessus ; mais vraiment, c’est ça qui vous semble le plus nocif au bien public ? Dassault qui fait du fric en vendant des armes, Total qui fait du fric en détruisant la planète, HSBC qui fait du fric en permettant aux plus riches de ne pas payer les impôts qui financent les hôpitaux et les écoles de tous, ça ne vous aurait pas semblé plus utile, plus pressant, comme combats ?

J’ai déjà eu l’occasion de dire sur ce blog que si la Manif pour tous, les Veilleurs, le Printemps français et autres groupes du même tonneau avaient consacré à lutter contre la pauvreté l’énergie qu’ils ont consacrée à lutter contre la loi Taubira, il y aurait nettement moins de malheureux en France aujourd’hui. Les AFC, avec leur procès débile, reproduisent exactement la même erreur. Elles montrent qu’elles n’ont absolument aucun sens des priorités, des urgences, de ce qui est vraiment mal dans notre monde. Elles donnent des catholiques une image lamentable : celle de gens qui vivent dans leur bulle, coupés de la société et des vrais problèmes qui la déchirent, obnubilés par ce qu’il se passe dans le slip et dans le lit des autres. Elles continuent de mener les combats qui étaient déjà d’arrière-garde en 1969 ; alors pensez, en 2015… Réveillez-vous : le monde va mal, très, très mal, mais ce n’est pas à cause de ce que vous croyez.

mercredi 17 décembre 2014

Soit les animaux ont une âme, soit le pape est un peu hérétique

Que les animaux ont une âme, j’en suis convaincu depuis bien longtemps. Dans le monde catholique, je suis d’ailleurs loin d’être le seul. Tolkien, dans ses œuvres, accordait aux animaux, et même aux plantes, tout ce qui laissait supposer la présence d’une âme, en particulier le langage et la pensée. Saint François d’Assise considérait lui aussi les animaux comme les frères de l’homme, les soignait et leur parlait.

La Bible elle-même va parfois dans le même sens. Dans sa vision de la fin des temps décrite dans l’Apocalypse, Jean affirme que « toutes les créatures qui sont dans le ciel, sur la terre, sur la mer et tout ce qui s’y trouve […] disaient : “À celui qui est sur le trône, et à l’Agneau, soient la louange, l’honneur, la gloire et la force, pour les siècles des siècles !” ». Toutes les créatures vivantes louent donc Dieu. Daniel va dans le même sens : « Que les monstres marins et tout ce qui s’agite dans les eaux bénissent le Seigneur, qu’ils le chantent et le glorifient éternellement ! Que tous les oiseaux du ciel bénissent le Seigneur, qu’ils le chantent et le glorifient éternellement ! Que toutes les bêtes et tous les animaux bénissent le Seigneur, qu’ils le chantent et le glorifient éternellement ! »

Les Écritures tendent aussi à dire que les êtres vivants non humains seront présents au Paradis. Le psaume 36 déclare ainsi que le salut de Dieu s’étend aux animaux : « Éternel ! tu sauves les hommes et les bêtes. » De même, dans la description qu’il fait du Royaume de Dieu, Isaïe affirme que « le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra ; sur le trou de la vipère, l’enfant étendra la main. » Plus loin, il ajoute que « le serpent se nourrira de poussière ». Non seulement les animaux sont présents au Royaume de Dieu, mais ils y vivent dans une harmonie parfaite.

De manière plus générale, les descriptions du Paradis qu’on peut trouver dans la Bible, particulièrement dans l’Ancien Testament, le font ressembler à un vaste jardin, ou à une nature idyllique, dans lequel se trouveraient non seulement des animaux mais aussi des plantes.  Ce qui concorde avec nos représentations et nos désirs ; je pourrais reprendre à mon compte, en les déformant légèrement, les propos d’une lectrice du International New York Times qui disait en substance : s’il n’y a pas d’animaux et de plantes au Paradis, moi, je n’y vais pas.

Cette tradition a enfin été illustrée par plusieurs papes. Paul VI, à un enfant qui pleurait la mort de son chien, avait répondu qu’« un jour, nous reverrons nos animaux dans l’éternité du Christ ». Jean-Paul II, lors de l’audience générale du 10 janvier 1990, avait affirmé que « les animaux ont eux aussi une respiration ou un souffle vital qu’ils ont reçu de Dieu. De ce point de vue, l’homme, sorti des mains de Dieu, apparaît solidaire de tous les êtres vivants. » Contrairement à Paul VI, il n’affirmait pas qu’ils eussent une âme immortelle, et Benoît XVI avait même explicitement refusé cette hypothèse dans un sermon de 2008. Mais François, en affirmant que « le Paradis est ouvert à toutes les créatures de Dieu », reprend la position de Paul VI : non seulement les animaux ont une âme, mais cette âme est immortelle et destinée au Royaume de Dieu.

Pour moi, c’est assez évident quand on considère la simple biologie : certains animaux sont si proches de nous qu’il est assez délicat de leur refuser une âme à laquelle nous croyons pour nous-mêmes. Mais une fois ce premier pas franchi, où s’arrête-t-on ? Quand on a pris conscience qu’il n’y a pas de rupture radicale entre l’homme et les autres animaux (car l’homme, il faut le rappeler, est aussi un animal), on voit aussi qu’il n’y a pas de rupture radicale entre les animaux non humains. Ce qu’on accorde, métaphysiquement, aux singes et aux chiens, puis aux autres mammifères, pourquoi ne pas l’accorder aux oiseaux et en fait aux autres vertébrés ? Et pourquoi seulement aux vertébrés ? Et une fois qu’on l’accorde aux méduses, pourquoi ne pas l’accorder aux plantes ? Autant pour Jean d’Ormesson qui affirmait bien péremptoirement que « personne ne pense sérieusement qu’il puisse y avoir, après la mort, une vie éternelle ni un paradis pour les lézards, pour les fauvettes, pour les gorilles, les bonobos ou les chimpanzés[1] » !

Quitte à décréter des dogmes à tire-larigot, en voilà un qu’on pourrait poser : l’immortalité de l’âme des êtres vivants non humains.

Quelles en seraient les conséquences concrètes ? Je ne pense pas, contrairement à ce qu’imaginent certains en ce moment, que les déclarations du pape soient de nature à pousser les chrétiens au végétarisme ou a fortiori au véganisme. Les chrétiens croient en une âme humaine immortelle, et cela ne les empêche pas de tuer d’autres humains dans certains cas de figure (légitime défense, guerre légitime etc.). De la même manière, je pense avoir déjà montré qu’on peut parfaitement aimer et respecter les animaux – et les plantes – tout en les tuant pour satisfaire nos besoins, en particulier alimentaires.

En revanche, il est certain que croire que les êtres vivants non humains ont également une âme, et une âme immortelle, change forcément notre regard sur eux : s’ils ont une âme immortelle, c’est que fondamentalement ils sont nos égaux, parce que Dieu Se préoccupe autant d’eux que de nous ; aussi bien que nous, ils sont Ses enfants, nos frères. Nous n’avons donc pas de domination sur eux, mais seulement une responsabilité – qu’on relise ce que Tol Bombadil dit des créatures qui vivent sur son domaine. Cela n’interdit pas de les tuer, mais cela impose un grand respect dans l’élevage, la culture, le transport, la mise à mort, respect dont notre civilisation techno-industrielle est, pour l’instant, absolument dépourvue.



[1] Jean d’Ormesson, Comme un chant d’espérance, chapitre XXVII.

mercredi 5 novembre 2014

Église vieille-catholique : 1 – FSSPX : 0


La politique vaticane, c’est toujours une affaire très, très délicate, faite de mille petits secrets, de mille petites obscurités, de mille petites discrétions. Comme, à la base, les gens ne s’y intéressent en général pas plus que ça, pas étonnant que l’information ait souvent du mal à circuler, et surtout à se vérifier.

Nous venons d’assister à un de ces petits événements discrets mais potentiellement assez significatifs : le pape a rencontré les représentants de l’Église vieille-catholique.

Pour ceux qui ne connaissent pas cette auguste institution, un peu d’histoire. Le schisme vieux-catholique remonte à 1723 : les chanoines d’Utrecht, dans les Provinces-Unies (actuels Pays-Bas), mécontents du vicaire apostolique imposé par Rome, élisent à sa place Cornelius Steenoven comme archevêque. Ce dernier est consacré évêque par Dominique Marie Varlet, ancien coadjuteur de Bossuet et évêque in partibus de Babylone. Logiquement, le pape réplique en excommuniant le nouvel archevêque d’Utrecht et ses fidèles. Le schisme est consommé et l’Église vieille-catholique est née (quoique pas encore sous ce nom), bénéficiant, il est important de le noter, de la succession apostolique via Dominique Marie Varlet.

Par la suite, le fossé se creuse entre Rome et les vieux-catholiques. En 1851, le Saint-Siège nomme à Utrecht un archevêque catholique romain, ce qui exacerbe les tensions avec les vieux-catholiques. Ces derniers refusent en 1854 le dogme de l’Immaculée conception, puis en 1864 le Syllabus de Pie IX qui condamne les « erreurs modernistes » (parmi lesquelles la liberté de choisir sa religion, la liberté de culte, la possibilité d’obtenir le salut hors de l’Église catholique, l’idée que l’Église n’a pas le droit d’employer la force, celle que des catholiques puissent approuver un système éducatif séparé de l’Église, j’en passe et des meilleures).

La mesure est comble avec le concile de Vatican I, en 1870, qui proclame l’infaillibilité du pape. Ce nouveau dogme est lui aussi rejeté par les vieux-catholiques ; mais cette fois-ci, ils sont rejoints par de nombreux catholiques libéraux, originaires principalement d’Europe du Nord, qui s’organisent et se rassemblent en 1889 sous le nom d’Union d’Utrecht. Tout en recherchant la pleine communion avec Rome, elle travaille à une réforme profonde de l’Église catholique, en particulier par l’autonomie des Églises locales par rapport au pape, qui verrait son pouvoir grandement réduit. Elle œuvre d’ailleurs activement à l’œcuménisme, son ecclésiologie étant proche à bien des égards de celle des orthodoxes ou des anglicans (l’Union d’Utrecht est en pleine communion avec ces derniers).

L’Église vieille-catholique a depuis accompli de nombreuses évolutions heureuses : usage des langues vernaculaires dans la liturgie (en 1877, donc près d’un siècle avant que l’Église catholique romaine, avec Vatican II, ne se décide enfin à suivre le même chemin), abandon du célibat obligatoire des prêtres, autorisation des remariages après divorce ; aujourd’hui, certains groupes ordonnent des femmes et bénissent des unions homosexuelles.

L’Église vieille-catholique n’est peut-être pas exactement celle de mon cœur, mais elle est sans aucun doute une de celles qui s’en rapproche le plus. À vrai dire, à la fin du pontificat de Benoît XVI, je songeais très sérieusement à les rejoindre, et c’est seulement l’élection de François qui m’a convaincu d’attendre.

C’est donc cette Église que le pape vient de rencontrer officiellement – une première, même si une commission vaticane est depuis longtemps chargée de dialoguer avec elle.

On ne peut pas ne pas établir le lien avec la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (FSSPX). Tout comme l’Église vieille-catholique, quoique bien plus récemment (en 1988), la FSSPX a fait un schisme avec Rome sur des questions dogmatiques ; elle bénéficie également, par Marcel Lefebvre, de la succession apostolique. La seule différence entre les deux institutions – elle est évidemment de taille – réside sur le fond : alors que l’Union d’Utrecht porte la vision d’une Église profondément réformée, mais plus fidèle à ses origines anciennes, la FSSPX combat pour le retour à l’Église rigoriste qui va du Concile de Trente (1545-1563) à celui de Vatican II (1962-1965).

Sous le pontificat de Benoît XVI, la FSSPX était clairement l’objet de toutes les attentions. Ma théorie, déjà exprimée dès l’annonce de sa résignation, est même qu’il avait fait de la résorption du schisme lefebvriste la mission principale de son règne, et que c’est quand il a compris que cette tâche était irrémédiablement vouée à l’échec qu’il a décidé de laisser la place à quelqu’un d’autre.

François n’a pas renouvelé les efforts de son prédécesseur pour réintégrer les schismatiques traditionnalistes : le dialogue entre Rome et Écône est au point mort. Mais cette rencontre avec les vieux-catholiques indique qu’il pourrait rechercher envers eux ce que Benoît XVI recherchait avec la FSSPX.

Il est difficile d’en être sûr, car François, à l’inverse de Benoît XVI, est un véritable homme politique, rusé, dissimulé, calculateur, manipulateur même – ce ne sont, sous ma plume, pas des critiques. Mais si la tendance se confirme, il n’est pas exclu que François réfléchisse à une réforme profonde de l’Église, dans le sens de ce que demande l’Église vieille-catholique depuis près de trois siècles. Sandro Magister, sur le site Chiesa (pas franchement réformateur), fait une analyse comparable en rapprochant les évolutions soutenues plus ou moins ouvertement par le pape, la rencontre avec les vieux-catholiques et l’œcuménisme de l’École de Bologne.

Le travail est immense, la lutte est très loin d’être gagnée, l’échec est possible, si ce n’est probable ; mais il y a de l’espoir.

mercredi 15 mai 2013

Les catholiques et le mariage pour tous : l'espoir changea de camp, le combat changea d'âme

Aurais-je déjà raison ? À terme, je n’avais guère de doute, mais si vite ! je ne m’y attendais pas. Je ne sais pas vous, mais moi je sens comme un flottement dans l’opposition catholique à la loi Taubira.

Il y a six mois, ils avaient pourtant l’air bien motivés. Comme ils étaient fiers, en novembre dernier ! Il faut dire qu’ils avaient bien réussi leur coup. La « Manif pour tous » avait complètement éclipsé les pauvres bougres de Civitas, ce qui était aussi dommage pour eux que pour nous : pour eux, parce qu’ils avaient tout misé sur cet événement pour se lancer à la conquête de l’opinion et des municipales ; et pour nous, parce qu’ils étaient le moyen le plus rapide et le plus efficace de décrédibiliser et de ridiculiser toute opposition au mariage des couples homosexuels. Frigide Barjot les avait marginalisés, mieux : elle avait fait d’eux son faire-valoir. Elle avait réuni un nombre impressionnant de manifestants contre le projet gouvernemental, et elle réitérait l’exploit à chaque nouvelle occasion.

Aujourd’hui, où en est-on ? En apparence, les choses n’ont pas trop changé. Les « veilleurs » manifestent toujours leur opposition à la loi, mais de manière pacifique, histoire de faire oublier les débordements et les violences des manifestations traditionnelles. La grande manif du 26 mai reste prévue et espère réunir autant de monde que les précédentes. Bref, les leaders du conservatisme sociétal ont quelques arguments pour essayer de faire croire que la mobilisation ne faiblit pas.

Pourtant, je crois que c’est de moins en moins vrai. On peut remarquer plusieurs signes qui l’indiquent.

D’abord, la belle unité d’origine de la Manif pour tous est en train de se fissurer sérieusement. On le sentait venir, c’est de plus en plus net. Pour faire simple, une fracture idéologique est en train d’apparaître entre deux camps : d’une part, ceux qui rejettent la loi Taubira, mais proposent de la remplacer par une union civile qui offrirait aux couples homosexuels les mêmes droits qu’aux couples hétérosexuels, l’adoption en moins ; d’autre part, ceux qui ne veulent d’aucune forme de reconnaissance officielle pour les couples de même sexe. C’est l’opposition entre Manif pour tous et Printemps français, entre Frigide Barjot et Béatrice Bourges.

Ces deux camps partagent évidemment une certaine homophobie, ce qui a permis de les réunir dans un premier temps contre leur ennemi commun. Mais il faut bien reconnaître que leur rejet de l’homosexualité et des homosexuels n’est pas du même ordre, et je crois bien qu’in fine ils sont irréconciliables. Attention, je ne suis pas en train d’exprimer une préférence pour un camp par rapport à l’autre ! J’ai déjà écrit ici tout le mal que je pensais de la proposition d’union civile, inégalité qui ne dit pas son nom, discrimination dissimulée sous les dehors d’une fausse tolérance. À choisir, je préfère un adversaire qui s’affiche à un serpent qu’on réchauffe. Si en plus le premier a l’avantage de savoir se coiffer, il n’y a plus à hésiter. Mais blagues à part, l’essentiel est là : les opposants à la loi Taubira ne sont plus unis, le camp représenté par Civitas s’est considérablement épaissi, affaiblissant l’autre d’autant. Le coin est déjà bien enfoncé, il n’y a plus qu’à attendre – en mettant à l’occasion un peu de sel dans la plaie – pour que la cassure s’élargisse.

Ensuite, on commence à sentir une certaine gêne dans le monde catholique. Oh, je vous l’accorde, c’est encore bien ténu. Mais enfin, c’est là. Le journal La vie, qui ne représente peut-être pas la majorité des cathos français, mais qui n’est pas non plus Golias, a ainsi publié le 13 mai un article intitulé « Diaconia, un autre visage de l’Église », qui témoigne du ras-le-bol de certains croyants :

« Ils sont en effet nombreux, dans les associations et les réseaux caritatifs, à penser qu’il est temps de tourner la page sur ce sujet. “Pourquoi descendre encore dans la rue le 26 mai ?”, s’interroge Julien, 25 ans […]. À Lourdes, dans les conversations, beaucoup ont d’ailleurs dit leur ras-le-bol de voir leur Église associée à la droite ou à l’extrême droite, voire à des groupes franchement homophobes. Et ont regretté que les catholiques se soient autant mobilisés sur cette question… au détriment d’un combat qui leur paraît bien plus légitime : la lutte contre l’exclusion. »

Et d’ajouter que même Gérard Daucourt, évêque de Versailles, pourtant opposant notoire du projet gouvernemental, aurait dit : « Si les catholiques mettaient autant d’énergie à combattre toutes les formes d’exclusion dans l’Église et dans la société qu’ils en ont mis à dénoncer le mariage pour tous, il n’y aurait plus un seul pauvre à l’entrée de nos églises. »

Mais que s’est-il donc passé ? Cette évolution qui commence tout doucement à se faire sentir s’explique évidemment par plusieurs facteurs.

L’usure, déjà. Forcément, au fur et à mesure que le processus législatif suit son cours et que François Hollande ne plie pas, les militants ont tendance à se décourager. Maintenant que la loi a été votée à l’Assemblée nationale et au Sénat, il est probable que les prochaines manifestations réuniront moins de monde. À moins d’une très improbable censure du Conseil constitutionnel, de plus en plus d’opposants vont se rendre compte qu’ils ont perdu la bataille, et finiront par se lasser de manifester en vain. Il y aura toujours un noyau dur qui restera et se déchirera un peu pour savoir s’il faut devenir un parti ou un lobby, mais ça ne changera rien sur le fond.

Mais l’usure, il me semble, n’explique pas tout. Il y a autre chose. Quoi ? L’Église catholique a renouvelé son équipe de direction.

Ça vous semble sans rapport ? Je ne crois pas. Malgré leur prétention au multiculturalisme, tout le monde sait très bien que les « manifs pour tous » ont principalement rassemblé des catholiques conservateurs. En novembre dernier, ces gens pouvaient se sentir pleinement soutenus par la hiérarchie, que ce soit par André Vingt-Trois à la tête de la Conférence des évêques de France ou au plus haut niveau par Benoît XVI.

Mais depuis, les choses ont changé. Benoît XVI a été remplacé par François, André Vingt-Trois par Georges Pontier, archevêque de Marseille. Deux personnalités beaucoup moins préoccupées par la morale sexuelle, et beaucoup plus par l’attention aux pauvres. Et c’est là qu’on voit que la papolâtrie des catholiques est une arme à double tranchant : que le pape soit dépassé par les événements, comme l’était Benoît XVI, et c’est toute l’Église qui s’enlise ; mais qu’il ait une meilleure compréhension des choses, et les catholiques sont capables de se réveiller d’un coup. D’où l’affaissement prévisible des manifs pour tous, et l’arrivée de nouvelles initiatives comme Diaconia 2013, tournée vers les pauvres.

Et je me hasarde peut-être en disant cela, car personne ne l’a encore clairement exprimé, mais je crois bien que, dans la foulée de ces deux élections, un certain nombre de catholiques, y compris parmi les évêques, se réveillent avec la gueule de bois. Ils commencent à entrevoir l’étendue de leur erreur : ils ont mis tout leur honneur, toute leur énergie, toute leur crédibilité au service d’une bataille qu’ils ont perdue et qui va contribuer à éloigner encore un peu plus l’Église du Monde auquel elle doit pourtant apporter la Bonne Nouvelle, comme à chaque fois que l’Église, comme elle le fait avec constance depuis plus de 200 ans, se trompe de camp et tente de remonter le courant de l’Histoire. Je crois même qu’à l’exception des plus fanatiques, tous savent très bien que leurs prédictions apocalyptiques en cas de passage de la loi ne se réaliseront pas, et ne pourront que les ridiculiser à l’avenir.

Pour finir, je vais risquer un pari. Dieu sait qu’il n’a pas été facile, ces derniers mois, d’être catholique et favorable au mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels. Largement regardé comme un traître des deux côtés, je me voyais reprocher d’une part mon soutien à une loi que, dans leur grande majorité, mes coreligionnaires conspuaient, et d’autre part mon appartenance à une Église rétrograde et dangereuse. Eh bien je crois que le vent est en train, très légèrement, de tourner. Je crois qu’une partie de l’épiscopat va s’apercevoir de son erreur ; au fur et à mesure qu’ils prendront conscience de s’être profondément ruinés, ils vont trouver les agités qui « ne lâchent rien », comme ils disent, de plus en plus gênants ; inversement, ils seront bien contents de pouvoir se raccrocher à ceux des fidèles qui, envers et contre tous, auront soutenu la loi Taubira, et auront refusé de se taire.